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"Diderot ou le bonheur de penser" de Jacques Attali

Par Leblogdesbouquins @BlogDesBouquins
Malgré une fréquentation de notre blog désormais honorable, nous n’avons reçu jusqu’alors que très peu de propositions de lectures. Il n’y a toutefois pas lieu de s’en étonner outre mesure, les deux critiques que nous avons jusqu’alors réalisées dans ce cadre ont en effet débouché sur des avis assez (voire très) négatifs (Au hasard et Mortelle hôtesse). Ce qui ne peut pas être du goût des auteurs et éditeurs qui cherchent évidemment dans le canal « critiques amateurs » un moyen de promotion à faible coût.Malgré cela, nous avons récemment été sollicités, quasi simultanément, pour lire et chroniquer deux nouveaux livres. Après nous être assurés qu’une acceptation de ces sollicitations n’entraînerait pour nous nulle obligation de réaliser une critique promotionnelle (notre honnêteté de lecteurs étant pour nous la caractéristique fondatrice du BdB), nous nous sommes empressés d’y répondre favorablement. Il faut dire que nous sommes toujours friands de lectures originales et inattendues. Et que des livres découverts dans de tels contextes ne peuvent que valider ces deux qualificatifs. Vous découvrirez donc bientôt la critique par JB de Furioso de Carin Bartosch Edström publié aux éditions JC Lattès. Mais pour l’heure, place à ma lecture de Diderot ou le bonheur de penser de Jacques Attali.
Lecture proposée par le site Myboox.fr – L’avis d’Emmanuel
ContrepointCompte-tenu de la côte de popularité de Jacques Attali auprès de l’immense majorité des français, il ne fait aucun doute qu’un nouveau livre de lui, quel qu’il soit, ne pourra que devenir un petit best-seller. Lorsque ce livre est une biographie d’un homme qui a tant compté dans l’histoire des lettres et de la pensée, et dont émane une aura au moins aussi brillante que celle de l’auteur, il devient évident que ce ne sera pas un petit mais un franc succès de librairie auquel on s’apprête à se confronter.Mais si l’on demande donc, dans ce contexte, à des blogueurs amateurs à qui l’on a offert le pavé, de donner leur avis à son sujet, on ne s’expose pas à un très grand risque. La lecture des autres critiques de l’ouvrage sur le site Myboox.fr ou sur Amazon.frsuffira à convaincre de la justesse de cette affirmation. Outre l’émerveillement suscité par le personnage de Diderot, on ne trouve en effet qu’éloges sucrés de l’écriture de l’auteur, bravos clinquants concernant sa pertinence légendaire et applaudissements tonitruants pour souligner la brillante construction de son ouvrage. Plus une chose très amusante, conséquence probable de la position de grand homme bienveillant dispensant sa parole au petit peuple acquise par l’auteur, un message lui étant directement adressé (du genre « Bravo M. Attali ! ») dans un nombre non négligeable d’avis. On a pourtant, en essayant de lire entre les lignes, l’impression qu’un certains nombre de lecteurs n’ont pas entièrement été satisfaits par leur lecture, tout en s’étant infligé une très classique auto-censure.
Golden DenisJe ne peux, bien sûr, que rentrer dans les rangs pour ce qui est d’admirer, par bien des aspects, Denis Diderot. Car, bien que je n’aie jamais rien lu d’autre de sa plume que de vagues extraits de Jacques le fataliste il y a bien des années, les écrits et la pensée qu’il a légués aux générations futures font partie de notre plus précieux patrimoine intellectuel. Sans parler de l’Encyclopédie qui a ouvert la voie à une aspiration jusqu’alors inconcevable à une répertoriation exhaustive du savoir qui, si elle est évidemment devenue une utopie depuis longtemps, a sans doute été, et continue d’être, un vecteur incomparable de progrès. Découvrir donc le parcours qui a mené Diderot jusqu’aux débuts de l’Encyclopédie, suivre les péripéties qui ont occupé les 25 ans qu’a nécessité la rédaction et la publication de sa première version, réaliser les échanges incroyables qui ont pu avoir lieu entre ceux qui sont devenus pour nous les Lumières (Montesquieu, Voltaire, Rousseau…) ne peut en effet laisser le lecteur de marbre. Et réaliser, grâce au dernier chapitre du livre qui décrit (et c’est une très bonne idée) le devenir des écrits de Diderot, dont une grande partie n’avait pas été publiée à la date de sa mort, et l’évolution de l’opinion publique concernant sa pensée de son décès jusqu’à nos jours, réaliser donc qu’il aura fallu attendre le début du XXe siècle pour prendre la mesure de sa contribution à la pensée humaine, ne peux que laisser un peu groggy.Un brin de lucidité doit toutefois permettre de se rendre compte que, si le livre est bien le vecteur de ces découvertes, l’auteur qui couche une vie sur le papier n’est objectivement pour rien dans la manière dont la dite vie s’est déroulée, et ne peut donc guère en tirer de gloire.
Candidat Attali : admissibleCe qui est du ressort de l’auteur, c’est la manière dont il va retranscrire la vie qu’il veut nous faire connaître. Selon les tempéraments et les ambitions, il pourra colorer son exposé d’un style, d’un point de vue, ou des deux. Jacques Attali, lui, ne fait ni l’un ni l’un ni l’autre. Ce qu’il semble appliquer à la rédaction de Diderot ou le bonheur de penser, c’est une méthode. Une méthode apprise durant ses études et probablement mise tant de fois en pratique dans ses fonctions de conseiller auprès de François Mitterand pour rédiger ce qu’il lui a apporté de plus précieux : ses notes de synthèse. Car la biographie qu’il nous propose n’est rien de plus que cela : une compilation de notes de synthèse thématiques, réalisée à partir de plus de 700 sources bibliographiques. Les conseils de rédactions que vous trouverez ici, destinés aux étudiants qui préparent l’ENA, devraient vous donner une idée très fidèle du résultat qu’il vous sera donné de lire. Un style parfaitement neutre, un effacement quasi complet de l’auteur, une synthèse objective des éléments clés du sujet. Autant de gages de qualité ? Malheureusement non car il s’agit bien d’un assemblage de dizaines de notes que l’on parle, et non d’un seule grande note organisée. Avec pour conséquence une dispersion considérable des idées, une redondance fréquente du propos, une narration chronologique (qui n’était pas obligatoire mais est le parti pris par l’auteur) malmenée et surtout une dramatique dilution des éléments clés. Car avec un tel système, un échange de lettres enflammées avec Sophie (l’une de ses nombreuses « maîtresses ») ou une dispute particulièrement houleuse avec son frère suscitent l’écriture d’une note aussi bien que la rupture définitive de Diderot d’avec Rousseau ou la révocation du privilège de l’Encyclopédie. Hors il me semble que ces événements, s’ils ont peut-être eu un retentissement similaire sur la vie de Denis, n’ont en aucun cas la même valeur pour la postérité de Diderot…
A lire ou pas ?Je n’ai lu et ne connaît aucune autre biographie de Diderot. Sa vie méritant d’être découverte, je ne peux terminer cette note de lecture en tentant de dissuader complètement les lecteurs potentiels de ce Diderot ou le bonheur de penser. Ce d’autant que le mode de rédaction ci-dessus identifié, combiné à quelques cliffhangers low-cost assez régulièrement disséminés dans l’ouvrage (du genre « Le choc fait sortir Denis de sa jeunesse heureuse. A trente-six ans, le voici en prison. ») m’ont fait réaliser ce que je n’avais naïvement jamais soupçonné : que l’on peut écrire une biographie pour un public précis. Hors le public ciblé par celle écrite par Jacques Attali n’est de toute évidence pas le jeune curieux amateur de littérature que je suis. Et se rapproche beaucoup plus, à mon avis, de l’homme d’âge mur, issu de la classe moyenne aisée, qui, après avoir consacré sa vie à autre chose que se cultiver, se dit qu’il serait temps de rattraper le retard. A vous de vous situer...
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