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Le règne de cendre - I -

Par Blackout @blackoutedition
LE RÈGNE DE CENDRES Agenouillé devant l'autel de ses dieux, égrenant son chapelet davantage par habitude que par ferveur particulière, il se remémora que, tout au long de son existence, il ne s'était jamais plié devant personne. Il se souvint même de la première fois que son regard avait touché le sanctuaire et du sentiment qui s'était alors emparé de lui.

- I -

Il était jeune à l'époque, en pleine force de l'âge et briguait un poste militaire qui lui aurait permis de gravir rapidement les échelons et obtenir une place de dirigeant dans un corps de métier. Mais, malgré ses protestations, son père l'avait envoyé ici, espérant ainsi calmer son tempérament fougueux. Après un voyage pénible durant lequel il avait traversé la moitié du pays à dos de mulet avec pour seul compagnon un novice pieux et inintéressant qui n'avait pour seul sujet de conversation que les saints textes, il avait enfin posé le pied sur le parvis de l'édifice religieux, et, tandis que son compagnon s'extasiait de la sensation de vertige qui l'avait saisi lorsque son regard avait tenté d'en toucher le sommet, lui se désolait de se sentir comme un condamné qui voit approcher la potence. Cet état d'esprit ne l'avait pas quitté durant ses premières années de noviciat, mais le fait de porter la robe n'avait toutefois pas contribué à tempérer son ardent caractère. Il lui arrivait parfois de songer à son père et se réjouissait en imaginant son visage se crisper de colère en lisant les lettres que son mentor ne manquait pas de lui envoyer pour signaler son manque de discipline et son comportement indigne d'un serviteur des dieux. Il lui arrivait de recourir à cette image lorsque son maître le punissait, ainsi, sous les coups de fouets qui semblaient ne jamais vouloir cesser, ses lèvres esquissaient un sourire. Et, dans ces moments douloureusement marquants, là où tous les autres se seraient résignés, lui en tirait force et témérité. Malgré les sévères punitions dont témoignait son dos lacéré, il lui arrivait parfois d'éprouver de la compassion pour son maître car il fallait bien avouer que tenter d'inculquer un tant soit peu de discipline à un esprit aussi retors que le sien n'était pas tâche aisée. En effet, plutôt que d'assister aux offices qui avaient lieu trois fois par jour – une pour chaque dieu –, il préférait déjouer la vigilance de ses pairs et arpenter la ville pour en découvrir les secrets. Et, un jour, pareil aux autres, alors que ses chairs meurtries lui rappelaient ses escapades des derniers jours, une vision des plus charmantes lui apparut. Dans les rues de la vieille Remus, capitale de l'Empire depuis des temps immémoriaux, une Vénus vêtue d'une robe légère laissant deviner des courbes divines lui apparut. Avançant d'un pas gracieux, elle évoluait sur une place commerçante, insensible aux regards qui s'attardaient sur elle. D'un étal à un autre, ses mouvements faisaient jouer l'étoffe de sa toilette, dévoilant de temps à autre un carré de peau d'une blancheur pure et parfaite. À mesure qu'il s'approchait de cette apparition, il put en distinguer les traits et juger du sens du détail dont les dieux avaient usé pour cette créature. Son visage, en tout point harmonieux, était digne des anges ; des lèvres ourlées et légèrement teintées de rouge appelaient le désir, son nez fin et aquilin tendait vers la perfection, ses pommettes rougissantes évoquaient les paroles interdites que les amants s'échangent dans le plus grand secret et lorsque son regard capta sa présence et se posèrent sur lui, il découvrit un iris d'un bleu d'une intensité sans pareille qui aurait pu faire pâlir de jalousie l'azur lui-même, d'une profondeur insondable, l'œil fardé de couleurs discrètes si naturelles qu'elles semblaient presque faire parties de ce magnifique portrait. Le sourcil se fronça, le regard se durcit, la voix qui émana de la Vénus se fit sèche. « Dîtes à vos maîtres qu'ils cessent de m'envoyer chaque jour un nouveau novice pour me faire changer d'avis. Je n'épouserais pas cet homme de la petite noblesse sous prétexte qu'il est le cousin de l'un des vôtres ! » Aussi vif qu'à l'accoutumée, loin de se laisser déstabiliser par la dureté du propos, il répliqua aussitôt. « Mes maîtres se sont bien gardés de m'envoyer auprès de vous. C'est par le plus pur des hasards que je vous ai rencontré et, croyez-moi, je ne tiens en aucun cas à vous voir partager la vie d'un homme qui ne serait pas moi. » Ce fut finalement la douce apparition qui perdit pied face à l'aplomb du novice. Ne lui laissant pas le temps de chercher davantage ses mots, il ajouta : « À chaque jour que les dieux m'accorderont, nous nous retrouverons ici, sur cette place. Et je passerai ce temps précieux à les dénigrer en faveur de votre beauté. Comme vous le savez, le temps fait son œuvre, et, comme je sais ce qu'il réserve fatalement à chacun d'entre nous, j'ai la certitude qu'il fera en sorte que vous m'aimiez. » Et sans attendre de réponse, il tourna les talons.

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