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Dix ans après, le Web sert toujours à se regarder le nombril

Publié le 07 avril 2008 par Daxlebo
Dix ans après, le Web sert toujours à se regarder le nombril

Il y a dix ans, seuls les geeks racontaient leur vie sans intérêt sur leur "page perso". Aujourd'hui, tout le monde peut exhiber en direct toute la banalité de son existence quotidienne. La vraie amélioration du Web 2.0, c’est donc de permettre à tout le monde d’être un geek prépubère.

Dix ans après, le Web sert toujours à se regarder le nombril

Je venais d'avoir dix-huit ans, j'étais teigneux comme un Cioran, et je mettais en ligne mon premier site Web. C'était 1998, et j'avais poussé un coup de gueule contre la pauvreté nombriliste des sites persos. En fait, il n’y avait presque que ça sur le Web français. On appelait ça des « sites persos » pour dire à quel point ils étaient nuls. Vous savez, ces pages où l'auteur (un geek prépubère, car faire son site c'était encore un peu compliqué pour les vrais humains) racontait sa vie (merdique), son oeuvre (sans intérêt), sa configuration de PC tonitruante, ses goûts musicaux et ses citations inoubliables.

Ce n’était même pas pour montrer à ses parents ou à sa famille, ses anciens camarades de classe ou ses cousins éloignés (tous ces gens n’avaient pas encore idée de l’existence d’Internet) : c’était de l’exhibition pure et simple. C’était la starification du rien. C’était la croyance débile que sa petite vie minable pouvait intéresser le reste du monde. A l'époque, j'avais fait mon caca nerveux en constatant que tout cela ne faisait que consacrer le vide de nos existences : je souhaitais très fort que la sélection naturelle ne mette un terme à cette exposition navrante de soi. Mon calcul était simple : puisque cette pratique était une affaire d’insipides fanatiques des technologies, il suffisait d’attendre que le Web s’ouvre à d’autres publics plus matures et cela disparaîtrait. L'histoire allait me donner tort.

Retour vers le présent : 2008, on parle de Web 2.0 ou plus, de réseaux communautaires, il paraît que la révolution est en marche. Et pis quoi encore ? Le Web sert encore et toujours à l’ostentation masturbatoire de ses adeptes. Pire ! C’est devenu encore plus facile de montrer à tout le monde à quel point notre vie est chiante. On connaissait déjà Twitter, qui sert à dire au reste du monde ce qu’on est en train de faire (« je travaille », « j’écoute le dernier tube de Francis Cabrel », « je fais caca »). Mais c’était encore trop compliqué, il fallait écrire. Des gros malins ont trouvé un moyen de faire un macheupe (mashup : mélange d’applications existantes censé créer des interactions super utiles, comme voir les embouteillages sur une carte Google Map) pour dire en direct ce que vous êtes en train de foutre sur Internet. Ça donne « machin est en train de regarder une vidéo de Mimi Cracra », « machin écoute le dernier tube de Francis Cabrel » ou « machin surfe sur un site érotique ».

La vraie amélioration du Web 2.0, c’est donc de permettre à tout le monde d’être un geek prépubère. Traitez moi de vieux con (m’en fous, j’étais déjà de mon avis à 18 ans), mais tout ça me file les jetons. Loft Story et les Sim's ont-ils réussi à nous faire croire qu'il suffit de vivre pour être admirable ? Ce truc me terrorise pour deux raisons :

  1. parce qu’on se désintéresse de tout le reste pour ne plus s'occuper que de soi-même. On tourne en boucle autour de son nombril. Fuck me I’m famous, chacun son quart d’heure de célébrité, etc. Et les autres dans tout ça ?
  2. parce qu’avec ce genre de système, l’effort de convaincre l’autre est superflu. On se contente de livrer un catalogue brut de notre vie, sans y insuffler d’âme, sans mettre les formes. Quel type de relation sociale peut-on créer par ce biais ?

Vouloir la communication la plus fluide entre les individus ne dispense pas de filtrer tout le bruit que contient notre quotidien. Chaque jour, je lis plein d’articles sans intérêt, je regarde plein de vidéos nullissimes et j’écoute plein de merdes, et au milieu de tout cela, quelques rares perles méritent le détour. Si quelque chose me plaît, je veux bien d’un outil qui me facilite la tâche (un blog, un "signal social" vers les gens que j’aime…) mais cela ne suffit pas (le medium n’est pas le message). Il faudra encore que je prenne le temps de connaître mon public, ses attentes et ses manques. J’essaierai de lui délivrer un message qui le touche personnellement, qui l’interpelle. L’effort que je fais pour atteindre l’autre et le séduire, c’est aussi une manière de le respecter.

A choisir, je préfère donner à un petit nombre ce que j’ai de meilleur, plutôt que de jeter en pâture au monde entier le flot inintéressant de la vie ordinaire.


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