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« Les nouveaux horizons de l’Union européenne »

Publié le 26 janvier 2013 par Ncadene

Je vous invite à lire le très beau discours de Jean-Louis Bianco prononcé lors de la conférence coorganisée avec l’ambassade d’Allemagne en Italie, à Rome au Palais Farnese, le 22 janvier dernier.

N’hésitez pas à le commenter !

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« « Les nouveaux horizons de l’Union européenne, vaste programme. La France, L’Allemagne et l’Italie. Est-ce que c’est un triangle ? Moi, il me semble que dans la construction de l’Europe et dans le couple franco-allemand, pendant très longtemps, la troisième pointe du triangle c’étaient les Etats-Unis d’Amérique. On se rappelle et aujourd’hui on sait mieux que le fameux préambule du Traité de l’Elysée qui a fait du chagrin au Général De Gaulle a été imposé par les Etats-Unis d’Amérique et par le président Kennedy lui-même. Je crois que les uns et les autres, Italiens, Français, Allemands et même Britanniques nous avons en partie dépassé cette époque, nous sommes des amis des Etats-Unis d’Amérique. Nous n’oublions pas leur rôle pour libérer notre continent, nous sommes des alliés mais nous sommes Italiens, Français, Allemands … des Européens.

Et dans le fonctionnement de ce qu’on appelle le couple franco-allemand, sans doute y a-t-il eu souvent par le passé, le sentiment d’une arrogance, d’une certitude. Je crois que ce sentiment ne doit plus exister, il ne doit plus être une réalité, l’Europe se construira avec la volonté de tous les pays qui voudront avancer sans exclusive et d’abord bien sûr trois des pays fondateurs qui sont
rassemblés ici ce soir. Je suis d’autant plus attaché à l’Europe, permettez-moi un mot personnel, qu’aucun de mes quatre grands parents n’était français. C’est pourquoi je me sens à la fois très français et très européen. Mon grand-père était italien comme mon nom l’indique, ma grand-mère était anglo-irlandaise – étonnant mélange- et de l’autre côté j’avais une grand-mère suisse et un
grand-père belge flamand. Voilà pourquoi encore une fois je suis vraiment heureux d’être ici ce soir et de retrouver en partie ce qui dans cet héritage est pour mille raisons pour moi le plus important, c’est à dire mes racines italiennes puisque ma famille vient d’un petit village du Piémont, de la province de Cuneo, qui s’appelle La Morra, où on fait le Barolo -pour ce qui ne connaissent pas La Morra, je suis sûr que tout le monde connait le Barolo !

Alors aujourd’hui je crois que l’Europe va mal et je dirai que si elle va mal ce n’est pas principalement, me semble-t-il, à cause des difficultés que le monde traverse et que l’Europe traverse encore plus singulièrement, liées à la crise et au déficit. Je crois que l’Europe va mal parce que nos peuples ont tendance à ne plus croire en l’Europe. C’est peut-être plus accentué encore en France mais il me semble que ce projet européen, cette réalité européenne dont nous avons tendance à oublier qu’elle est unique dans l’Histoire, et qu’elle est unique au monde. Ce projet, on ne le voit plus, le sens et la perspective on les a perdus, et la réalité est que l’Europe est trop souvent perçue comme une contrainte, comme une gêne, comme une obligation et pas comme un projet enthousiasmant et donc je crois qu’au-delà des questions institutionnelles qui sont importantes, des questions budgétaires et économiques, il faut que nous cherchions ensemble à retrouver le sens de l’Europe et à le redonner à nos compatriotes, à nos concitoyens.

Je disais à l’instant que je pense qu’il ne faut surtout pas commencer par le débat institutionnel. J’ai fait campagne dans mon pays, de toutes mes forces, pour le Oui au traité européen dit Traité Constitutionnel. Vous avez vu ce qui l’en est advenu dans notre pays, je pense que dans d’autres pays, je ne dis pas forcément l’Italie et l’Allemagne, un référendum aurait pu donner également un résultat négatif. Et nous nous sommes focalisés, partisans de ce traité et adversaires de ce traité, sur des questions certes importantes mais qui évacuaient beaucoup, évacuaient souvent le « pour quoi faire » et le « que faire » et dès qu’on parle de ces questions institutionnelles, on retombe dans ces difficultés. Il faut quand même les aborder bien sûr.

Il y a des personnalités éminentes en France qui pensent que le mot fédéralisme est un mot à ne surtout pas prononcer. Je ne suis pas de cet avis. Je suis pour une fédération européenne mais je ne commence pas mes discours et mes débats quand je parle à mes électeurs en parlant de fédération. J’y arrive, je ne pars pas de là.

Alors comment faire ? Puisque nous sommes un jour anniversaire, regardons un instant l’histoire, remémorons nous le fameux papier Lamers- Schäuble de 1994, rappelons-nous aussi le discours de Joshka Fisher à l’université Humboldt. Chacun avec leurs auteurs, avec leurs époques, avec leurs styles, ils ont marqué un moment clé de l’histoire européenne et je n’hésite pas à dire que ce
moment clé a été manqué notamment par la France. Ce qui est intéressant dans ce que Karl Lamers, Wolfgang Schäuble ont dit comme Joshka Fisher c’est qu’ils se préoccupaient entre autre chose, mais Karl me dira si je me trompe ou non, de ce que serait l’avenir d’une Europe à 26, 27, 28, 29, 30. Il yavait cette idée de gouvernabilité de l’Europe qui imposait, disait Karl Lamers et Wolfgang Shäuble, disait Joshka Fisher, de faire un saut vers un noyau dur, vers une fédération d’Etats-Nations. Donc pour avancer, je crois qu’il faut d’abord comprendre, regarder nos différences. Nous sommes ici à Rome avec un public qui, très certainement connait bien l’Italie, la France et l’Allemagne. Nous croyons nous connaître, avec beaucoup d’échanges, mais nous sous-estimons parfois les différences culturelles. Je n’en citerai qu’une : les Français ont l’idée que les Allemands sont disciplinés et les Allemands ont l’idée que les Français ne sont pas disciplinés. Pour qui connait l’école, les collèges allemands et français, on a plutôt l’image inverse. Et quand un papa ou une maman dépose son fils à l’école, il/elle lui dit « travaille bien » et le parent allemand lui dit « viel Spaß ». C’est un détail, ça peut vous sembler une anecdote mais ça montre que nous devons connaitre nos différences et les comprendre parce que nous sommes héritiers, chacun d’entre nous, chacun de nos trois pays en particulier, d’une histoire certes en partie commune, certes avec un patrimoine commun, mais nous sommes différents. Il faut connaître ces différences pour bien se comprendre. Différences qui font d’ailleurs la force de l’Europe.

Je crois qu’au-delà de cette nécessité de connaître et de comprendre, nous devons nous efforcer de construire beaucoup plus activement l’Europe des peuples. Beaucoup de choses ont été faites, en particulier dans la coopération franco-allemande, en particulier avec un programme comme Erasmus, mais je pense que nous devons rechercher toutes les manières d’aller plus loin et d’ailleurs ça se passe déjà dans nos sociétés civiles ; des jumelages autres que des jumelages de collectivités locales. Moi je rêve d’une Europe où il faudrait avoir passé six mois ou un an dans un autre pays européen pour avoir le diplôme du niveau du baccalauréat. Je rêve d’une Europe où chacun de nos collégiens passerait au moins plusieurs semaines dans l’année dans un autre pays européen et ainsi de suite.

Il faut aussi avoir un vrai programme de croissance. C’est quelque chose qui a commencé à se faire, c’est quelque chose, cher Karl, qui ne nous dispense pas des réformes structurelles, nous tous les pays européens – ceux en tout cas qui ne l’ont pas fait ou pas fait complètement – mais je crois que nous ne surmonterons la crise que si nous avons une vraie perspective de croissance et de relance et je sais que Emma Bonino, avec d’autres, a signé un papier remarqué ou l’on parle à la fois d’ Europe fédérale et d’une Europe de la relance.

Il faut aussi construire une gouvernance, comme on dit aujourd’hui, économique, européenne, démocratique. Ça veut dire qu’il y aura là-dedans, et c’est ce qui ne plait pas trop aux français, de gauche comme de droite, un partage de souveraineté. Je préfère dire un partage que des abandons parce qu’en étant ensemble on reconquiert une souveraineté sur l’extérieur et sur les marchés. Mais
un partage de souveraineté. Ceci ne pourra être accepté, me semble-t-il, par nos peuples, dans toute l’Europe, que si cette gouvernance est démocratique, c’est-à-dire si au-delà du rôle des ministres des finances, au-delà du rôle des représentants permanents, au-delà du rôle des conseils des chefs d’Etat et de gouvernement, nous avons une implication beaucoup plus forte du parlement européen et des parlements nationaux. Des progrès ont déjà été faits avec le fameux semestre européen, il faut aller beaucoup plus loin, pour qu’on réfléchisse ensemble aux perspectives budgétaires, pour qu’on discute ensemble des hypothèses économiques, pour qu’on commence à regarder, ensemble, où sont les différences et les divergences qui pourraient compromettre la stabilité budgétaire et la croissance économique de l’Europe.

Il faut aussi, me semble-t-il, construire une communauté européenne de l’énergie. Je n’arrive pas à comprendre, en tout cas je suis choqué de voir que nous nous présentons en ordre dispersés face aux grands pays producteurs de gaz et de pétrole. Après tout, les pays producteurs de pétrole ont su, à peu près, depuis 1973 et l’OPEP, s’unir et il est quand même dommage que nous Européens ne
soyons pas capables de faire un front commun. Mais au-delà de ça, une Europe de l’énergie – nous sommes très différents sur le nucléaire et nous ne nous convaincrons pas les uns les autres à ce stade- par contre, nous voulons un autre modèle de développement, un modèle de développement durable et soutenable , ce qu’on appelle la transition énergétique, d’autres manières de faire nos villes, d’autres modes de transports, rechercher l’efficacité énergétique, développer les énergies renouvelables, dans tous ces domaines-là, je crois que l’Europe pourra apporter un plus aux initiatives nationales et que ce plus serait visible et contribuerait à construire l’avenir.

Il faut aussi essayer, et c’est difficile, de faire des pas en avant vers l’Europe sociale –c’est un mot que les Français notamment emploient souvent et auquel il est difficile de donner un contenu concret parfois. J’ai noté avec intérêt que dans la déclaration commune de Berlin de ce jour, entre la chancelière Angela Merkel et le président François Hollande, il avait été décidé de travailler sur ces questions et je m’en réjouis.

Et puis, parce que la politique de concurrence est à la fois quelque chose de très important et de parfois difficile à comprendre – c’est une discussion que j’ai eu le plaisir d’avoir, à de nombreuses reprises, avec M. Monti, et qui sont des questions passionnantes pour moi – je pense malgré tout que l’Union Européenne est la seule zone au monde à avoir érigé comme principe l’interdiction des aides d’État pour les entreprises. Je pense qu’il faut d’autres critères, il faut videmment la concurrence, je ne le nie pas, je le sais, il faut d’autres critères que la taille des parts de marché ou les aides d’État. Nous avons à réfléchir pour continuer à avoir une politique de
concurrence qui stimule l’innovation, pour avoir une politique de l’innovation qui ne soit pas un désavantage comparatif par rapport à d’autres zones du monde. Bref, avec tout ça il faut bâtir ce que nos amis allemands disent, appellent « Ein Wir-Gefühl », le sentiment d’être ensemble, le sentiment d’appartenance.

Et puis je terminerai sur une histoire que François Mitterrand aimait à citer, et d’autres que lui d’ailleurs ; ce sont deux hommes, des maçons, qui construisent un mur et on demande au premier homme, au premier travailleur, au premier maçon : « Qu’est-ce que tu fais ? », « Tu vois bien, je construis un mur ». Et on demande au second, « Qu’est-ce que tu fais ? », il dit : « Je construis une cathédrale ». »


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