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La biologie synthétique comme intelligent design?

Publié le 08 avril 2008 par Timothée Poisot

Chez Synthekidia, on s’interroge sur le futur de la biologie synthétique, et on lui prédit un avenir en trois points : la création d’un génome from scratch, c’est-à-dire depuis rien, la programmation du génome, et enfin la création d’un “langage de programmation du génome”.

La conclusion du billet est laissée à Craig Venter, et le moins qu’on puisse dire, c’est qu’elle me laisse songeur.

Le futur de la vie ne dépend pas seulement de notre capacité à comprendre et à utiliser l’ADN mais aussi de celle à créer une nouvelle forme de vie ; une vie forgée non pas par l’évolution Darwinienne mais conçue par l’intelligence humaine.

La biologie synthétiquelet’s go back to basics — consiste à organiser des éléments d’information génétique (des gènes, leurs éléments de régulation, et leurs partenaires), pour créer des fonctions biologiques nouvelles. On ne considère plus la cellule et son patrimoine génétique comme une entité vivante, mais comme une librairie de fonctions, qu’on peut réorganiser pour leur faire faire à peu près tout et n’importe quoi. On approche la génétique comme un ingénieur, disait en substance Dvanw.

J’en reviens à la citation d’un des chercheurs les plus horripilants du domaine, Craig Venter. Il nous promet une vie qui n’est plus forgée par l’évolution Darwinienne, mais par l’intelligence humaine. Une évolution “non-Darwinienne”, en quelque sorte (et de ce point de vue, ce qui promet Venter, et que je m’apprête à vertement critiquer, est bien plus prometteur que la pathétique Introduction à une Biologie Non-Darwinienne de Jean Staune — sur laquelle je reviendrai un jour je l’espère).

Comme souvent quand Venter nous fait une sortie, il faut se demander si on est en train d’écouter le patron d’entreprise ou le scientifique. Peut-on former une nouvelle forme de vie? J’ai du mal à y croire. Dans le meilleur des cas, on va se contenter de démonter une ou plusieurs structures, pour en assembler une autre. Les briques fondamentales seront les mêmes que celles qui ont été lentement mises au point par la vie elle-même, au cours de l’évolution. On aura toujours du carbone et de l’eau, des bases qui s’apparient deux à deux, et des molécules dont le seul objectif est de se répliquer [1].

D’autre part, cette vie n’échappera pas à l’évolution Darwinienne, elle sera soumise aux même pressions, et sera sélectionnée — ou non — comme le premier colibacille venu. Bien qu’elle ne soit pas un produit de l’évolution classique, la vie synthétique y est soumise.

Peut-on, de même, dire que la biologie synthétique représente le futur de la vie? J’ai du mal à avaler quelque chose d’aussi énorme. Certes, cette approche est promise à un futur assez brillant, puisqu’elle offre la possibilité de créer des outils vivants, pour répondre à des besoins spécifiques. Mais on ne vas pas réinventer la roue, et décider de tirer un trait sur l’ancienne vie, pour tout resynthètiser au labo. La biologie synthétique nous promet une révolution conceptuelle majeure — comme Rostand l’avait dit, nous allons devenir des Dieux, capables de créer la vie — mais ne changera en rien la nature profonde de la vie. On ne pourra jamais faire que ce que la nature a déjà fait, à bien plus grande échelle.

J’en viens à mon opinion profonde sur la biologie synthètique : ce n’est jamais que l’aboutissement du génie génétique. Plutôt que de modifier un gène ou une région du génome, on refait tout depuis le début. Si la perspective de créer de la vie en laboratoire est scientifiquement — et épistémologiquement — excitante, elle ne fait à mes yeux que poursuivre un effort déjà engagé.

C’est la que je reviens sur la deuxième partie de mon titre : La biologie synthétique comme intelligent design. En prenant des morceaux de gènes, des éléments régulateurs, on ne fait jamais que ce que les tenants du dessein intelligent proposent : la vie est tellement complexe qu’il faut bien qu’un grand horloger assemble toutes les pièces. Ca à de quoi séduire, imaginez vous; devenir Dieu. On comprend pourquoi Venter s’intéresse de près au domaine. J’ai dans l’esprit qu’il ne serait pas contre une église de Venterologie.

Je parlais d’excitation épistémologie quelques paragraphes auparavant. Prenez une longue inspiration, et lisez la phrase suivante : créer la Vie. C’est fait? Créer la Vie, c’est étudier ce que l’évolution a forgé, comprendre comment tout s’articule, et le refaire. On va pouvoir se lancer dans l’exploration de l’univers des possibles, et créer des éléphants photosynthétiques! Mais la question se pose : comment considérer ces nouvelles créations? Font-elle partie de l’arbre du vivant? Bien évidemment elles ont de l’ADN, un métabolisme, on peut aligner leurs séquences [2] avec celles d’autres organismes…

Mais elles sont à part, puisque crées intentionnellement par l’humain. Le créateur, en fait, celui qui a décidé comment cette espèce vivrait. Finalement, on ne va pas influence sur le futur de la vie. On va tout simplement créer un nouvel embranchement, un nouvel ordre, avec des espèces qui, bien qu’ayant tout du vivant, ne seront jamais que des artefacts : des productions de l’homme, créées à dessein. Une vie en parallèle à l’évolution.

Note: De retour bientôt avec des billets un peu moins concept, et un peu plus factuels, si mon emploi du temps m’y autorise…

Notes

  1. Parce qu’au risque de vous décevoir, la vie, ce n’est jamais que de l’ADN qui se réplique, nous disait François Renaud [↩]
  2. mesurer la proximité de leurs gènes [↩]

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