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Content de vous voir...

Publié le 28 janvier 2013 par Perce-Neige

Content de vous voir...Il est des textes, sans doute, qui ne devraient jamais être écrits (car trop cruels). Il est des textes, sans doute, qu’à toute force on devrait éviter de vraiment lire (car trop effrayants). Il est des textes, sans doute, dont on devrait, à tout prix, éviter de parler (car trop dangereux pour l’équilibre du monde)(j’exagère à peine). Pour le dire autrement, les Corrections (Points romans), de Jonathan Franzen - prodigieux roman d’un auteur à succès, qui n’en finit pas, longtemps après, d’œuvrer de manière souterraine - semble incontestablement devoir se classer dans cette catégorie… Cet extrait, qui semble pourtant tellement léger, pourtant tellement insignifiant, pourtant tellement drôle : 
Ils traversèrent le long hall d'un pas mal assuré, Enid ménageant sa hanche douloureuse, Alfred brassant l'air de ses mains désarticulées et martelant la moquette d'aéroport de ses pieds mal contrôlés, tous deux portant des sacs Nordic Pleasurelines en bandoulière et se concentrant sur le sol qui les attendait, jaugeant les périls par tranches de trois pas. Pour quiconque les voyait détourner le regard des New-Yorkais aux cheveux sombres qui les dépassaient à grandes enjambées, pour quiconque apercevait le chapeau de paille d'Alfred planant à la hauteur du maïs de l'Iowa à la fin de l'été, ou la laine jaune du pantalon tendu sur la hanche fichue d'Enid, il était clair qu'ils venaient du Midwest et étaient intimidés. Mais pour Chip Lambert, qui les attendait juste après le contrôle de sécurité, ils étaient des tueurs. Chip avait croisé les bras dans une attitude défensive et levé une main pour tirer sur le rivet en fer forgé qu'il portait à l'oreille. Il était inquiet à l'idée d'arracher le rivet de son lobe - que le maximum de douleur que les nerfs de son oreille pourraient lui communiquer soit inférieur au choc qui lui aurait été présentement nécessaire pour retrouver son calme. De là où il s'était posté, à côté des détecteurs de métaux, il regarda une fille aux cheveux bleu ciel attraper ses parents, une fille aux cheveux bleu ciel d'âge étudiant, une très désirable étrangère aux lèvres et aux sourcils percés. Il fut frappé par l'idée que s'il pouvait baiser une seconde avec cette fille il pourrait affronter sereinement ses parents et que s'il pouvait continuer de baiser avec cette fille chaque minute que ses parents seraient là il pourrait survivre à leur visite. Chip était un grand type athlétique avec des pattes-d'oie et des cheveux jaunes clairsemés; si la fille l'avait remarqué, elle aurait pu trouver qu'il était un peu trop âgé pour les vêtements de cuir qu'il portait. Lorsqu'elle passa devant lui, il tira plus fort sur le rivet pour compenser la douleur de sa disparition à tout jamais de sa vie et pour concentrer son attention sur Son père, dont le visage s'illuminait à la découverte d'un fils parmi tant d'étrangers. Avec les mouvements désordonnés de celui qui se noie, Alfred se rua sur Chip et s'empara de sa main et de son poignet comme si c'était une corde qui lui avait été lancée. « Eh bien! dit­ il. Eh bien! » Enid le suivit en boitillant. « Chip! S'écria-t-elle, qu'est­ce que tu as fait à tes oreilles? - Papa, maman, murmura Chip entre les dents, espérant que la fille aux cheveux bleus était hors de portée. Content de vous voir. »

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