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"L’euro a affaibli les pays du noyau européen"

Publié le 29 janvier 2013 par Vincentpaes



Selon vous, pourquoi l’Europe s’enfonce-t-elle dans une telle crise ?

Michel Santi : C’est une tare congénitale qui est responsable du déclenchement de la crise subie par l’Union depuis trois ans. Cette superstructure, fiscalement et budgétairement décentralisée, est effectivement aux sources de son amplification. Comme les nations européennes périphériques sont privées du monopole d’émettre la monnaie avec laquelle elles s’endettent, les prêteurs considèrent dès lors qu’elles empruntent dans une devise qui leur est étrangère. En outre, cette absence d’intégration fiscale et budgétaire des membres de l’Union y exacerbe les tensions financières, car les déboires des établissements bancaires nationaux contaminent irrémédiablement leur pays de tutelle. Le système financier et les États interagissent en effet très différemment selon que l’union monétaire soit décentralisée ou qu’elle soit de type fédéral. La solvabilité d’un État membre des États-Unis d’Amérique n’est ainsi nullement remise en question par la faillite d’une banque incorporée et domiciliée dans l’État en question. Les seules et uniques réponses de l’Allemagne et des fourmis nordiques consistent à insuffler aux cigales sudistes la culture de la rigueur et de la discipline, préalables indispensables à l’intégration fiscale et budgétaire européenne.
C’est parce que la séquence exigeant d’équilibrer les budgets et de restreindre dettes et déficits fut en effet le point de départ de cette Union, dont tout devait découler. C’est donc la forme qui fut privilégiée, au détriment de la substance et au mépris de la solidarité. Ce faisant, cette construction décentralisée sous estimait grossièrement les vulnérabilités des pays ayant une inclination naturelle aux déficits, ou simplement confrontés à des difficultés ponctuelles. Pays particulièrement dépendants des influx de capitaux privés, dans un contexte où ils n’avaient nulle latitude de battre leur monnaie. Autrement dit, le pêché originel fut de mettre en place l’euro avant l’union fédérale et en l’absence d’institutions organiques consacrant une intégration en bonne et due forme. L’euro a ainsi affaibli les pays du noyau européen. Et il a rendu inévitable la formation de bulles spéculatives dans les pays périphériques, qui ne pouvaient plus désormais compter que sur ces bulles pour entretenir et pérenniser leur activité économique. En réalité, les tourmentes financières de l’Union ne sont que le symptôme profond du mal endémique de la construction européenne relégué au second plan la croissance et l’emploi.

Quelles solutions apportées à ces problèmes ?

M. S. : C’est donc forcément de l’intérieur de l’Union que viendra la solution et elle est une et unique car elle se résume en une consommation allemande (et nordique) plus importante. Il est vital pour l’ensemble de l’Union que ce « gap » de compétitivité intra européen soit rapidement comblé par des nations européennes périphériques qui intensifient leurs exportations. L’Allemagne devra donc impérativement stimuler sa croissance, probablement (mais pas seulement) en réduisant sa taxation, afin de participer activement à ce ré équilibrage intra européen. La zone euro, dans son ensemble, a ainsi désespérément besoin d’une relance de sa consommation intérieure. Et ceci passera nécessairement par une relance de la consommation allemande. Une nation souveraine et des dirigeants dignes de ce nom peuvent – et doivent – dépenser plus que leurs recettes ne leur permettent, si leur objectif est bien de juguler la récession. Une nation et un ménage doivent donc appliquer des stratégies diamétralement opposées dès lors que leurs revenus s’effondrent tandis que la diminution des dépenses de l’individu a un effet négligeable sur l’économie de son pays, la réduction du train de vie du secteur public a un impact désastreux sur le secteur privé comme sur la consommation. Tout autre stratégie est donc vouée à l’échec.

En outre, l’intégralité des pistes sont caduques et restent sans effet si l’État décide de réduire drastiquement son train de vie. Keynes nous l’enseignait déjà : les dettes ne doivent être remboursées qu’en cas d’embellie économique. Sinon : la croissance est condamnée à être étouffée dans un environnement où l’activité est très fragile. Hausses d’impôts, remboursement des dettes et réduction de la dépense publique ne peuvent se concevoir sans risque que dans un cadre économique sain. Il faut donc refuser tout net ces programmes insensés d’économies, comme il est impératif de s’opposer à toute réduction des dépenses sociales, dont l’efficacité est systématiquement démentie par la réalité. Car l’État doit au contraire se montrer généreux et investir dans son économie – c’est-à-dire augmenter ses déficits ! – tant que perdure ce contexte récessionniste. Les seules et uniques voies de salut consistent donc aujourd’hui en des mesures typiquement keynésiennes. Seule l’intervention stimulatrice de l’État à même d’encourager l’investissement et la création d’emplois peut effectivement sauver l’économie, en l’absence d’initiative privée et dans le cadre d’une demande anémique.

"Il devient « trop cher » aujourd’hui d’être honnête !"

Et seule l’action déterminée des banques centrales dans le sens d’une compression des coûts de financement motive les entreprises à investir dans l’économie réelle, pour peu que le système de l’intermédiation bancaire joue le jeu. L’objectif étant la fameuse « euthanasie des rentiers » qui favorise la canalisation de l’épargne vers l’investissement et donc vers l’emploi. A cet effet, reprenons la « Théorie Générale » où Keynes affirmait que « les fautes majeures de la société économique où l’on vit sont de ne pas procurer le plein emploi et consistent en une redistribution arbitraire et inéquitable de la richesse et des revenus ». Voilà pourquoi les partisans du keynésianisme sont aussi pour un renforcement des pouvoirs et prérogatives de l’Etat, dont l’action seule est susceptible de lisser les inégalités criantes, tout en imposant une régulation protectrice des intérêts publics. Keynes avait démontré que le chômage durable était causé, non par la quête du profit, mais par un investissement privé variable et volatil en des temps incertains. Comme c’est la chute de cet investissement privé – ou l‘investissement à mauvais escient – qui est aux sources des ralentissements économiques et de l’escalade du chômage, il est impératif de « socialiser » cet investissement. Pour ce faire, les entreprises doivent assurer à leurs salariés du pouvoir d’achat autorisant en permanence un investissement privé, garant du plein emploi. Dans la vision de Keynes, le secteur public se devait donc d’agir en complément du secteur privé, sans jamais chercher à le remplacer. Aujourd’hui, soit soixante-dix ans plus tard, l’égalité et l’emploi sont toujours au cœur des préoccupations de nos nations développées.

Comment expliquez-vous les dérives de la finance ?

M. S. : Dans la vraie vie comme dans la nature, la sélection darwinienne nous apprend que les plus forts survivent aux plus faibles. Dans l’univers de la finance – qui déteint hélas sur notre vie quotidienne –, ce sont les malhonnêtes qui restent, voire qui prospèrent, tandis sont damnés ceux qui se conforment aux règles du jeu. Ce rouleau compresseur des escroqueries et des malversations porte un nom, la dynamique de « Gresham », qui fut décrite par George Akerlof, né en 1940 et prix Nobel d’économie 2001 : « Les transactions malhonnêtes tendent à faire disparaître du marché les transactions honnêtes. Voilà pourquoi le coût lié à la malhonnêteté est supérieur au montant de la tricherie ; ce coût doit aussi inclure la perte relative à la faillite de l’intervenant légitime. » Cette dynamique de Gresham – devenue aujourd’hui une dominante dans les marchés financiers – a donc pour conséquence une volatilisation de l’éthique au profit de la fraude qui devient dès lors endémique. Ceux qui respectent la loi et la morale sont donc appelés à disparaître alors que leurs rivaux peu scrupuleux se maintiennent grâce à des artifices et à des manipulations qui compriment leurs coûts, ou qui gonflent leurs bénéfices. En d’autres termes, il devient « trop cher » aujourd’hui d’être honnête !

Selon vous, quel rôle devrait avoir les agences de notation ? Et avec quels moyens ?

M. S. : C’est le fiasco des agences de notation qui devait par la suite être aux sources de la crise des subprimes dont nous subissons tous encore aujourd’hui les effets pervers. Pourtant, ces agences – responsables de la seconde crise la plus grave dans l’histoire économique et financière mondiale – ont depuis cet épisode tragi-comique paradoxalement bénéficié d’une montée en puissance de leur influence car elles sont aujourd’hui écoutées religieusement lorsqu’elles notent les États souverains. S’il est absolument légitime de s’inquiéter des conséquences à long terme des déficits publics, il serait tout aussi utile de se demander ce qui fait qu’une quelconque attention est encore accordée aux agences de notation. Initialement créées afin de jouer les arbitres – donc pour faire preuve d’impartialité et de neutralité – entre le vendeur et l’acheteur d’un titre, ces agences ont donc lamentablement échoué dans cette mission d’utilité publique, tout en s’arrogeant un pouvoir considérable sur nos niveaux de vie. Elles se sont totalement décrédibilisées, pour ne pas dire sabordées.

Vous commencez et finissez votre livre avec la métaphore du mythe de Sisyphe. Pourquoi ?

M. S. : Le châtiment de Sisyphe consiste à rouler un rocher jusqu'en haut d'une colline dont il redescendait chaque fois avant de parvenir au sommet. Le mythe de Sisyphe symbolise donc un éternel recommencement - dénué de tout sens -, à l’instar de celui que nous impose la finance et le néo-libéralisme : bulles spéculatives, inégalité, malversations... Tandis que Camus disait qu’il fallait « imaginer Sisyphe heureux », j’espère pour ma part qu’il sera un jour libre. C’est-à-dire que nous aurons pu nous libérer du joug des injustices.

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