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Fabrice Brovelli (BETC Musique) dans l’Interview très Stratégique

Publié le 01 février 2013 par Darkplanneur @darkplanneur

Un vrai moment rock, que cette interview fleuve avec Fabrice Brovelli, avec la complicité de Sidney Biolley.

Darkplanneur : « Une phrase m’a marqué en relisant tes itw c’est «je me fous de la vérité, j’ai besoin de pureté et d’inculquer au monde le pouvoir du sacré»? »

Fabrice Brovelli : « J’ai dit ça moi? Putain. (Rires) »

D : « Non mais sérieusement c’était une vérité a la quelle tu crois ou c’était une posture cynique par rapport à l’Itw? »

FB : « Pfff… Non mais c’est vrai en plus. En fait tu vois aujourd’hui, en théorie dans la pub, t’es censé convaincre le plus grand nombre de gens, tout le monde a peur, alors que moi je me dis je m’en branle, essayons de faire au maximum ce qu’on aime , ce pour quoi on a envie de se battre et comme on le fait avec sincérité, ça passe toujours. Pour moi l’exemple qui a été le plus typique dans ma carrière jusqu’a maintenant ça a été AirFrance, le premier projet avec l’avion qui avance dans le ciel. C’est un truc qui s’est fait contre l’avis de tous, qui est sorti tel quel et qui a fait l’unanimité. Donc du coup si j’avais dû écouter la vérité des autres ce projet n’aurait jamais existé. »

D : « C’est ça «croire à son étoile plus qu’a soi-même»?

FB : « Ouais. En fait ce que je dis souvent à mes équipes ou à mon entourage, c’est accrochez vous a vos rêves, et à un moment donné, si on s’accroche bien , si on est sincère y a un truc qui va se passer. Par exemple, j’aurais jamais du être là, de la où je viens je n’avais aucune raison d’être ici. Donc j’essaie de continuer au maximum à rêver. Et je me retrouve dans un monde, chez BETC qui est certainement  la plus belle enseigne, mais dans un monde qui ne rêve plus, qui a peur. Tu vois même ici, quand je leur dis «tu peux me faire un café», ils me répondent «oui, t’inquiètes pas il arrive.» Mais ça va les gars je suis pas inquiet. Justement je sais qu’il va arriver. C’est un peu ça qui m’ennuie. L’inquiétude ambiante. »

 D: « T’es Optimiste? Faut être sacrément optimiste pour tenir bon face à tout le monde? »

FB : « Je suis déterminé, je sais pas si je suis optimiste. Parce que c’est dur d’être optimiste dans un monde où tout le monde te dit que tout va mal, j’ai même parfois honte de dire que je suis optimiste, que ma vie est cool, je demande souvent en réunion, et vous «C’est quoi vos rêves? Pourquoi vous faites ce job? Et là il y a un grand vide ….» Bon je devine ( ?)un peu mais bon… » 

D : « J’ai lu que pour une marque de luxe il y a deux ans ( ?), tu t’étais immergé dans les ateliers, y’ a un travail de fusion entre toi et une marque? »

FB : « C’est marrant ce que tu dis. Je ne m’en étais jamais rendu compte, mais j’ai tous les idiots du village (tu peux le laisser dans l’itw, ca fera trop plaisir ) qui viennent me voir et qui me disent  «alors ca va être quoi la musique du film?» Avant que le film soit tourné. Je leur réponds «j’en sais rien». Ca vient sur le tournage, au contact du réel. Au contact de la vie … »

D: « C’est extraordinaire d’avoir réussi à sacraliser la musique en pub, qui est habituellement le parent pauvre du film, perdu au milieu des contingences de budget, de process de validation, tu fuck un peu le créatif au fond…? »

FB : « Y a un truc compliqué dans la pub au sujet  du créatif. Moi par exemple je n’ai pas d’idée de publicité,je suis incapable de pondre un concept de pub, mais pourquoi du fait d’avoir le statut de créatif, qui est de mon point de vue archaïque et mal défini, il devrait se prévaloir d’avoir une opinion sur l’expertise de professionnel de la musique, de l’image, du montage pour réaliser son idée de base? Il y en a très peu qui possèdent toutes ces qualités et nombreux qui osent se l avouer. C’est pas inné à tout le monde. On devrait  donc accorder plus de crédit aux spécialistes ? Qui prévalent par rapport au mec qui va à 300 concerts/an et qui écoute 4000 nouveaux morceaux par an ? La musique c’est un truc en mouvement qui se vit au quotidien. Dans la pub on essaie toujours de figer les choses. Quelque part, d’avoir défié la dessus les créas, ça a contribué au succès de BETC. Si on avait mis que du Wagner on n’aurait pas eu ces films ni cette agence… »

 DC’est une profession de foi ou un combat contre le fonctionnement d’un système établi ce que tu nous dis? »

FB : « C’est tellement un combat d’arrière garde pour moi, que je réfléchis même à comment monter une nouvelle agence qui travaillerait en open source avec les meilleurs talents, qui peuvent être en interne ou en externe. On vit en circuit fermé, avec nos habitudes, dans un système classique. L’avantage de m’être investi dans la musique, dans un monde vivant, c’est comme toi avec Darkplanneur, j’ai une autre vie parallèle que celle de la pub. Bon ça fait une vie à 28h par jour. Donc c’est plus une profession de foi pour le coup. »

D : « Pourquoi tu bosses pas chez Universal? »

FB : « Mais parce qu’ils sont encore plus archaïques, eux il sont resté en 98, ils ont pas compris. Pourtant quand ils ont racheté l’Olympia, lancé Off Tv, j’ai cru qu’ils allaient créer des synergies de groupe. Pas du tout. Tu vois il ya Universal, Canal+ & SFR appartiennent au même groupe. Il n’y a aucune synergie marquante entres les 3, c’est un truc de fou non?

Mais pour que ca marche il faudrait créer aussi ce que j’appelle de la synergie légitime, pas juste un truc financier. »

 D : « Ce qui te fait avancer en fait, c’est de faire vivre un objet, un projet dans son ensemble? »

FB : « Oui d’est d’être un assembleur…De créer les espaces de liberté pour que chaque talent puisse donner le meilleur de lui-même. Là par exemple j’ai un projet Evian, faut que je me mentalise dessus. Me dire «tiens, voilà un embryon d’idée, comment le transformer en tuerie.»Quel va être le meilleur casting pour fabriquer cet objet publicitaire. Mais je suis aussi manager d’artiste, là c’est plus de relations de RH, c’est rigolo, c’est de l’aventure humaine. On vient de faire la clôture de Rock en Seine avec Agoria, on a monté le show en partenariat avec Guetty Image pour en faire quelque chose d’étonnant. Je me suis aussi à un moment aventuré sur d’Amadou & Mariam pour « un dimanche à Bamako », en m’engageant  sur ce projet pour qu’il existe. Voilà, ça fait du travail tout ça. Là on vient avec Christophe de signer un  contrat d’artiste (KCPK) avec le plus gros label indépendant ( Pias ) donc je me suis remis à la musique, je vais organiser de nouvelles soirées, et je suis un peu dans la quête absolu de l’objet de com parfait, le long métrage, la série .. J’ai l’impression de prendre une revanche sur la vie dans ce milieu qui est quand même complètement fermé, je veux arriver avec cet objet parfait qui mettrait tout le monde d’accord, même ces membres du jury à Cannes. Le premier Lion d’Or de l’agence en 2003/2004 c’était Evian, «we will rock you» mais au début c’était pas un projet de pub. Quand je racontais le projet autour de la table tout le monde me disait «c’est impossible ça marchera pas». Moi je suis pas créatif, je continue de croire en leur talent indéniable, d’être capable d’inventer une histoire sur un pot de yaourt, c’est un vrai job, ça demande une énergie. Aujourd’hui on a des marques de biscuits, des trucs comme ça, si on laissait un peu carte blanche on ferait des trucs de fous. Mais t’as des clients qui sont tellement compliqués, qui laissent si peu d’espaces aux idées, que je laisse ce boulot à d’autres. Moi je sais pas faire. Je suis dans la fabrication c ‘est plus concret. Aujourd’hui les PPM, c’est kafkahien,  « 99 francs » à côté c’est rien. Donc ça ça m’intéresse pas. Et comme j’ai la chance d’être patron de la tv prod, j’oriente les projets. »

D : « T’es un peu libre au fond?

FB : « Oui, ceux qui me laisse le plus d’espace de liberté c’est Air France.

Aujourd’hui on peut construire pour eux en plein désert un miroir de 400 mètres carré sur lequel on fait de la danse classique. »

D : « De toute façon, avec Air france tu fais parti de l’ADN de la marque? »

FB : « Je sais pas si je fais partie de la marque, je crois pas. »

D : « Ton imaginaire fait parti de l’imaginaire collectif de la marque quand même… »

FB : « Je sais que je leur doit beaucoup, mais leur confiance quotidienne nous oblige à être vraiment sincère. »

D : «C’est quoi la ligne de goût?» tu dit souvent ça en itw, qu’est ce que tu entends par là?

FB : « C’est quand tu vas harmoniser ou créer un lien entre des choses qui ne sont pas évidentes au départ. De toutes ces formes, tous ces aspects, chacun différent,  peut naître une unité clairement identifiable. Par exemple la ligne de goût musicale d’ Air France tout le monde peut l’appréhender mais c’est super dur de l’expliquer.Il y a d’autres marques  qui  finissent par me dire, on veut une musique à la Air France. Voilà donc une ligne de goût. »

D : « Tu fais construire des sons spécialement pour la pub? Ou tu prend le son tel quel? »

FB : « Je fais rarement fabriquer spécifiquement pour la pub..

Dans la démarche ça me fait penser à Kubrick, toute proportion gardée, lui ne bossait jamais avec des compositeurs…

J’ai une analogie pour ça. Le mec qui pond un tableau il peut le pondre en 2 heures, mais ça fait 10 ans qu’il se nourrit pour faire sa toile. Donc je me dis que face à un artiste dont j’aime un morceau je ne peux pas lui dire, «tiens tu peux me faire quelque chose dans ce style pour tel jour». Un morceau fabriqué pour une occasion n’aura jamais la même profondeur et le même impact qu’un morceau qui résulte de l’histoire intime de son créateur. Je pense qu’il y a une authenticité qu’on n’a pas ailleurs. »

 D : « Comment es-tu vu par les musiciens?

FB: «  Ceux que je fréquente sont  des potes,on se connaît depuis longtemps. Je fais de la musique avec eux. On est plutôt bienveillants envers les artistes et ils nous le rendent bien…

La première fois que MIA a fait un concert en France, c’est nous qui l’avons fait venir à PaniK (soirée organisé par Fabrice et Christophe Caurret à l’époque). L’artiste est devenue une grosse star à(supprimer) internationale par la suite. La première fois que Justice à mixé de sa vie, c’était une fête qu’on avait organisée à  Montréal. On a encore des photos, où ils ont pas les mêmes têtes qu’aujourd’hui. La liste est longue. J’avais une discussion sur la légitimité avec les mecs d’Havas Sport, c’est pas quelque chose qui se construit dans le temps. Ca vient pas comme ça. C’est comme si t’avais connu Zidane à 12 ans. Le mec tu l’as suivi pendant 12 ans. T’as vu ses matchs, ses entrainements, ses défaites. Ils se souvient de qui était là dans les coups dur. Ceux sur qui il peut compter. Je cherche pas à être crédible, je me suis pas dit, «tiens ce matin je vais être branché».et je m en fous de louper des trucs… C’est le parcours qui fait l’écosystème autour de toi. »

 D: « Par exemple imaginons que tu sortes un album, une marque veut bosser avec ton son, tu dis oui ou non?

FB : « Ca dépend du troisième tiers. J’ai aucune raison de dire non. Y a une problématique média, aujourd’hui tu mets ta musique dans une pub, ça te permet d’être écouté par énormément de gens. Je te donne un exemple incroyable. Je participe de loin à l’aventure de Woodkid, le clip est sorti y a 2 ans, 12 millions de vue sur youtube, et 2 ans après M6  appelle pour passer le clip. On leur demande combien de fois ils vont le passer/jour, ils me disent «écoute pour le moment on va le passer en manuel» (1 fois). Au au(enlever) pire y’aura 20 000 personnes qui vont tomber dessus. La pub donne une audience de masse et au milieu de 3 trucs horribles dans la pub, tu tombes devant ta tv sur 20 secondes de musique qui t’accroche. C’est quand même efficace pour se faire entendre. »

 D : Y a pas un risque d’une musique plus forte que la marque?

FB : « Je pense que souvent des musiques ont sauvé des films pas terribles. »

D : « Ça les sauve ou ça les vampirise? »

FB : « La vampirisation elle marche quand le titre c’est un énorme «god», d’un coup si t’as Bowie sur Orange et la Poste, ben Bowie il est quand même plus connu que Orange et la Poste réunis. Donc les mecs se sont payés «Space Odity». Et dans les tests de l’ancien siècle qui sont toujours d’usage aujourd’hui dans la pub, tu demandes à un panel, «as tu reconnu la musique ?». Forcément le panel dit oui. Et là t’as tout le monde qui crie victoire.» On a l’Agrément du panel». Puis ensuite on demande au panel «alors vous avez aimé le spot de pub?» Les gens répondent «oui on a adoré la musique». C’est débile. Les mecs ont juste aimé la zik mais le spot ils s’en branlent. Ecris le ça stp… »

 D : « J’ai rencontré il y a 4 ans Mirwais… »

FB : « Perturbé comme garçon hein? J’adore ce mec. Une rigueur exemplaire, pas de compromis même en ayant bosse pour Madonna »

 D :  » Je l’avais reçu pour Arabologie qui est pour moi une objet musical incroyable, il me disait «de toute façon ok les musiciens ont peur des marques mais dans quelques années ce ne sera plus Universal ou une major qui produira obligatoirement des disques». 

FB : « T’as des marques qui essayent, mais je pense que ce qui va réellement changer c’est le rapport des artistes à leur public. Il va falloir le trouver sur différents terrains d’attention, donc il va y avoir plusieurs chemins pour accéder à ce public. La pub et les marques peuvent en être un. Si tu considères que TF1 est une marque et qu’il produisent déjà des artistes, ben c‘est pas des choses extraordinaires ce qu’ils sortent. Malgré tout l’argent qu’ils y mettent. Je pense que t’es obligé d’avoir un équilibre. Comme dans nos métiers, les créatifs ils ont besoin de moi pour faire un bon film en tv prod, si les créatifs faisaient leur film tout seul, on verrait ce que ça donne, on voit déjà parfois ce que ça donne (rires). On a besoin de se confronter, d’un peu de résistance pour améliorer le projet. Quand TF1 fait chanter des decerebres (sûr de ce terme ?) sur des anciens tubes, et que par effet de levier et de rotation ça vend, mais est ce que ça restera, ça grandira? J’ai pas de certitudes, quand je vous vois tous à parler de digital, de brand content, avec plein de certitudes, je sais pas moi.

J’essaie de défendre un projet fabriqué de manière artisanale, ce qui est le cas dans nos projets musique. D’ailleurs quand on a eu le temps et les moyens pour faire des projets artisanalement, ça a eu un impact plus pérenne et plus porteur en terme d’image pour la marque. »

 D : Comment vends tu un artiste? par exemple Tellier à Air France?

FB : « Air France c’est pas un bon exemple, ils ont confiance en nous, c est simple on est arrive avec l’idée, ils ont dit oui . « 

 D: « Mais pour les autres?

FB : « L’oeuvre souvent s’impose d’elle même. J’ai pas besoin d’argumentaire. Par contre je suis stratège dans le choix du moment où je leur fais écouter le morceau. Je m’explique. Nous sommes mentalisés par la date d’antenne dans nos jobs. Donc avec BETC Music, on regarde la date de tournage, j’y vais puis on échange sur le ressenti pendant et post tournage. Alors pour gérer les réalisateurs et les boites de prod, j’ai contractualisé que comme il n’y avait aucune compétence reconnue en terme de musique, ils n’ont pas leur mot à dire, par contre ceux qui en ont, ils échangent avec nous, ils font parti du processus. Ensuite les créatifs ont rarement de bonnes idées pour la musique donc ils se plantent, le DC devient alors stressé parce que les créatifs n’ont pas de bonnes idées musicales et que la date de diffusion arrive, le mur est proche, les commerciaux eux ne comprennent rien  ils sont en panique. Et là tu dois présenter au client. Donc nous on prépare le morceau, on choisit bien le moment quand on le va présenter , on attend le pic de stress  et en théorie ca marche, mais ca marche parce que on est sincère … »

D: « J’imagine que le lieu de contact de la musique est hyper important pour saisir l’auditeur-cible de la marque. Donc as-tu des règles particulières pour une musique diffusée dans un lieu, une pub au travers de l’écran ou dans un avion.. ?

FB : « Le plus précis la dedans c’est encore Air France, on re-masterise toutes les playlists d’Airfrance pour les diffuser sur des fréquences spécifiques qui sont là pour que le son soit le plus audible et confortable possible dans un avion en vol. On fait aussi gaffe pour le mixage si ça part en pub ciné. C’est tout. »

 D: « As-tu une muse? »

FB : « Moi j’ai ma muse au quotidien, j’ai envie de lui plaire. Tu as souvent envie de plaire, d’être le héros de la femme que tu aimes. Si j’étais tout seul je m’en fiche, je pourrais me contenter de moins. Mais, elle j’ai toujours envie de l’impressionner, donc je suis condamné a faire des trucs qui pètent. »


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