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Juncker Forever

Publié le 07 décembre 2012 par Paulo Lobo
Quand les mots vous lâchent, qu'est-ce qu'il vous reste?
Un grand vide, l'envie de dormir, un spleen diffus.
Le monde n'a plus besoin de vous, vous pouvez vous assoupir, devenir incertain, flotter.
Ce matin, je libère ma pensée, je lui ordonne de s'échapper et j'attends pour voir ce qui se passe.
J'essaye d'être moins exigeant vis-à-vis de moi-même. J'essaye de respirer tranquillement. J'essaye de ne pas avoir peur.
Que suis-je sans les idées qui me moulent? Sans les images que je me renvoie à moi-même? Si j'arrête de frapper la balle contre le mur?
Combien d'années déjà? Je veux me décharger de cette comptabilité petit-bourgeoise de l'existence. Je n'ai plus d'âge. Je suis ce que je suis et j'ai ce que j'ai.
La police m'interpelle et me demande mes papiers. Je réponds que je n'en ai pas, que j'écris toujours sur mon IPhone. Le gendarme secoue la tête d'un air peiné. "Ça ne va pas ça, monsieur, vous devez utiliser un support réglementaire".
Cette expérience me traumatise. Je me rends subitement compte que je vis en déphasage totale avec mon époque. Que je ne suis pas dans la norme. Que je suis une sorte de rescapé du passé. Oui, un dinosaure.
Pendant que le représentant de l'ordre note mes coordonnées - "je suis navré, monsieur, vous allez devoir payer une amende"-, je me sens pris d'un vertige insurrectionnel du plus mauvais goût. Et soudain, voilà que je me mets à crier, à gesticuler, à sautiller de rage.
Le temps d'un clin d'oeil, je suis appréhendé, immobilisé, menotté et embarqué dans la fourgonette. On me dit de me calmer, on me dit que ça va me coûter cher, on me dit que j'ai le droit de me taire et d'appeler un avocat. Je ne me tais pas, je continue d'invectiver la corruption et le manque d'audace des responsables politiques dans la construction identitaire supranationale. Les policiers, un tantinet agacés par tant de verditude, finissent par me coller une baffe. Plusieurs baffes, même. Ça fait mal, et tout à coup j'ai moins envie de me révolter. Les portières arrière se referment dans un claquement sec. Je suis assis sur la banquette rabattable, solidement encadré par deux gaillards aux airs de gorilles échappés du zoo.
L'abattement et la tristesse se saisissent de moi. Pourquoi cette situation affreuse tombe-t-elle sur moi? Pourquoi cet acharnement du destin sur ma personne? Qu'ai-je fait pour mériter cette galère? Je me sens comme un être insignifiant et mal dans sa peau. Je me rappelle mon enfance, les humiliations et injustices que m'infligeaient mes petits camarades, le sentiment terrible d'être seul au monde.
Les années ont passé et rien n'a vraiment changé.
Arrivé au poste, on me fait subir un interrogatoire. Dans une pièce sombre aux parois métalliques, deux inspecteurs passent une heure à me poser des questions. Je réponds avec beaucoup de bonne volonté, car je veux obtenir une bonne note et me dégager de ce mauvais pas.
Je finis par m'excuser de mon emportement irraisonné de tout à l'heure. Oui, vous avez raison, je n'aurais pas dû insulter les officiers de police. Oui, je vais m'équiper correctement à l'avenir. Utiliser un cahier avec de vraies feuilles de papier et un stylo avec de l'encre écologique. Comment? Vous me confisquez l'Iphone pour éviter toute rechute? C'est la loi? Ok, je me résigne, il faut bien donner raison à plus fort que soi...
L'interrogatoire est terminé. Je signe deux ou trois déclarations, je paye l'amende par carte bancaire, je demande une nouvelle fois aux agents de me pardonner, ils ont le sourire bienveillant maintenant, ne vous en faites pas, ça peut nous arriver à tous de péter les plombs, pour cette fois-ci on passe l'éponge.
On rigole tous ensemble un bon coup et on se quitte en se promettant d'aller boire un verre au bar du coin un jour prochain.
Libre. Je suis dans la rue, mes mains et mes pieds font ce qu'ils veulent, j'ai envie de rentrer chez moi, je rentre chez moi, je m'écroule sur le canapé et je branche la télé. Quelle journée mes enfants!
Je m'endors très rapidement et me réfugie dans le monde des songes.
Juncker Forever

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