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"Le temps de l'innocence" de Edith Wharton

Par Leblogdesbouquins @BlogDesBouquins
Après la station Mir, la grippe aviaire ou l’épidémie d’anthrax, faites place au calendrier Mayas. Pour faire simple, si vous n’êtes pas ce soir niché sur un des flancs de la colline de Bugarach, vous êtes cuits. Alors si vous avez préféré comme moi prendre cette tragédie avec courage, pourquoi ne pas passer quelques heures à lire. Claquez vos pages au rythme des éclairs, abritez vous du vortex derrière la couverture ou apprenez à utiliser votre livre comme repoussoir anti créature cosmique : la fin approche on vous dit. Certains plus organisés nous lisent sans doute depuis le boudoir d’un bunker dans le Wisconsin ou dans l’excitation d’une après midi dans un abri anti-atomique. En cherchant bien il est peut être même encore possible de monter un igloo avec quelques centaines de mauvais ouvrages et un peu de super-glue. Enfin installé, et pour juguler le torrent de regrets, il ne vous reste qu’à vous plonger dans un ouvrage au titre chantant. « Le Temps de l’innocence », pas mal non ?
L’avis de JB :
J’ai découvert l’existence d’Edith Wharton il y a quelques semaines au détour d’une conversation. Le fait qu’elle fut la première femme à recevoir le Pulitzer en 1921 ou que « le Temps de l’innocence » ait été adapté à l’écran par Scorcese n’a semble- t-il pas été jugé suffisant par mes capteurs culturels. Fierté ravalée, perspective de la découverte, affront dégarni. C’est dans sa vie d’insider de la haute société new-yorkaise de la fin du XIXème siècle que l’auteur puisera la matière et la diabolique précision de son ouvrage. Nous sommes en 1870 à New York, pas de cuisinier barbu à Williamsburg ou d’Alicia Keys en 3D sur Broadway. La bonne société va à l’opéra, reçoit et complote gentiment. Ces messieurs ont « fait leur droit » ou mieux ne travaillent pas, ces dames tricotent ou tuent l’ennui à l’heure du thé. Newland Archer, jeune homme de très bonne famille doit épouser dans l’année la sage May Welland. Mariage convenu et convenable. Mais scandale, lors d’une représentation à l’Opéra, la comtesse Ellen Olenska fait son retour en public. En instance de divorce elle est revenue à New York après des noces compliquées avec un riche parti en Europe. Cousine de May et connaissance d’enfance de Newland, la jeune femme s’intercale à merveille entre les deux fiancés qui tentent de lui servir de guide dans la jungle des us et coutumes de cette société si particulière. Evidemment l’inévitable arrive et le jeune homme si conservateur tombe amoureux de la moderne Comtesse.Sous couvert d’une histoire finalement assez banale, l’intérêt du livre se situe dans sa capacité à reproduire avec détails et justesse les mœurs de cette haute société new yorkaise dont l’existence tangue entre conservatisme et modernisme, à l’image de leur champion déchu et héros de l’ouvrage Newland Archer. L’auteur, en montrant, voire en caricaturant plus qu’en condamnant ses homologues réussit la carte postale parfaite. Tout n’est que détails parfaitement choisis, descriptions pointues ou analyse psychologique pertinente. Edith Wharton est à l’aise, chez elle dans les lieux qu’elle décrit et remet en scène (plus qu’elle ne crée) des personnages qu’elle a sans doute vraiment côtoyé.
« En dépit des goûts cosmopolites dont il se piquait, Newland remercia le ciel d'être un citoyen de New York, et sur le point de s'allier à une jeune fille de son espèce. »« Il serait tenu à défendre, chez la cousine de sa fiancée, une liberté que jamais il n'accorderait à sa femme, si un jour elle venait à la revendiquer. »
Passée la qualité de la reconstitution, on pourra reprocher aux personnages et au récit un certain manque d’épaisseur. Passifs et à demi ligotés dans le carcan de leur société, ils sont fait prisonniers à nouveau par l’auteur qui ne les laisse exister que comme constitutif de sa parfaite étude sociétale. May est parfaite dans son rôle d’ingénue, Newland se pose beaucoup de questions, prend beaucoup de décisions qui ne se concrétisent pas. La légère touche de caricature qui donne du piquant aux descriptions a malheureusement maintenu les personnages au rang d’acteur. La comtesse qu’on imagine forte et fière ne l’est pas tant que ça et la cour flaubertienne du jeune prétendant perd en intérêt au fil des pages. C’est lorsque Edith Warthon décide de lâcher un peu de lest que l’étincelle se produit, trop peu fréquemment malheureusement :
 « N’oubliez pas d’aller voir Ellen » Ce fut le seul mot prononcé entre eux sur ce sujet, mais dans leur code il signifiait : « vous comprenez bien entendu que je sais tout ce qui a été dit sur Ellen et que je suis de tout cœur avec ma famille dans l’effort tenté pour l’engager à retourner chez son mari… » 
L’écriture est quant à elle agréable et le livre se lit très facilement. Le style qui se fait descriptif, piquant ou drôle est précis et intelligent. Les amateurs de belles phrases définitives, dont je suis, auront même droit à quelques pépites comme :
« C’était ainsi dans ce vieux New-York, où l’on donnait la mort sans effusion de sang ; le scandale y était plus à craindre que la maladie, la décence était la forme suprême du courage, tout éclat dénotait un manque d’éducation »
A lire ou pas ?A lire sans doute mais aussi à voir. Winona Ryder qui n’avait encore rien volé, Michelle Pfeifer sans botox et Daniel Day Lewis qui n’a d’autres défauts que de se faire trop rare le tout orchestré par Scorcese… avouons que c’est alléchant. Rien que pour ca, nous devrions enchaîner sur un calendrier plus ambitieux…
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