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Ecrire en état de grâce !

Publié le 10 décembre 2012 par Perce-Neige

Ecrire en état de grâce !Les romans s’écrivent toujours un peu malgréles écrivains. C’est ce que semble malicieusement suggérer Antonio Lobo Antunes, au décours de ses conversations avec Maria Luisa Blanco, publiées aux Éditions Christian Bourgeois. Conservations traversées d’une excessive modestie à l’encontre de son travail… Car il ne fait guère de doute aujourd’hui que son œuvre est celle d’un immense écrivain qui a renouvelé le rapport au texte et à la manière dont la langue construit le monde qui nous entoure.
Les idées nous viennent pendant qu'on écrit. Ce sont les mots qui inventent le texte. C'est si clair pour moi que je n'ai aucun doute à ce sujet. C'est un processus que j'ai surtout rencontré quand j'ai écrit mes derniers romans. C'est le texte qui se construit malgré nous. J'ai eu un professeur à la faculté de médecine qui disait : Les malades guérissent malgré le médecin. Et c'est souvent ce qui se passe avec les livres. Parce que je n'ai pas de plans concrets, je commence par aller dans une direction, et c'est le livre qui m'emmène là où il a décidé d'aller. Tout à l'heure, on disait qu'écrire, c'est comme être en état de grâce... Et c'est ce que je ressens de plus en plus. J'éprouve une grande humilité parce que je ne sais pas grand-chose en matière de littérature. En réalité, je ne sais rien; le monde littéraire est un monde très compliqué. Je pense à Tchékhov, à ses pièces de théâtre où il ne se passe apparemment rien... Et pourtant, il s'y passe tant de choses. Il parvient à tout exprimer avec la plus grande simplicité et une extraordinaire économie de moyens. C'est comme quand on écoute Schubert, Mozart ou Chopin. Il y a des gens qui composent ou interprètent à la perfection des mélodies très difficiles à jouer et, pourtant, elles ne nous touchent pas sur le plan émotionnel. On peut apprécier leur talent, mais ils ne nous émeuvent pas. En revanche, il y en a d'autres, comme ceux que j'ai cités, qui, sans être aussi parfaits, nous émeuvent toujours. En ce qui concerne les livres, c'est ceux qui sont les plus simples en apparence qui s'avèrent être les plus difficiles, comme le Quichotte, par exemple. Cervantès est l'un des écrivains qui me transportent le plus, qui me laissent toujours bouche bée. Sterne, avec son Tristram Shandy, ce roman extraordinaire, est de ceux-là également. Quand j'ai écrit Le Traité des passions de l'âme, j'étais très content parce que je pensais avoir fait une découverte magnifique et définitive : faire avancer l'action par le dialogue. Mais après, je me suis aperçu que quelqu'un d'autre l'avait fait avant moi, un siècle plus tôt. Ça me donne aussi une sensation de respect et d'humilité. D'un autre côté, je suis conscient du fait que, par moments, je ne suis pas juste envers moi-même. Je crois que je n'ai aucun talent et que tout ce à quoi je suis parvenu est l'aboutissement d'un grand effort, de beaucoup de travail. Je pense que je ne suis pas né avec un talent naturel, comme Scott Fitzgerald, par exemple. Chez moi, aucun livre ne m'a été donné; je les ai tous écrits au prix de grands efforts, en me corrigeant toujours beaucoup. Pourtant, je me souviens aussi d'un manuscrit de Cortázar où, sur une page, il n'y avait pas une ligne exempte de corrections. Je suis vraiment persuadé que je n'ai pas de talent littéraire. Ce à quoi les autres parviennent avec aisance, j'y parviens très laborieusement, et l'effort que je fournis est très variable. Il y a des jours où j'écris cinq lignes, et d'autres où j'arrive à faire une page. Il y a des chapitres qui m'ont demandé quatorze ou quinze jours de travail et d'autres sur lesquels je n'en ai passé que quatre ou cinq. J'écris tous les jours, mais le résultat n'est jamais le même.

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