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"Paroles de Leaders" de Philippe-Joseph Salazar

Par Leblogdesbouquins @BlogDesBouquins
Les échéances politiques, qu'elles soient locales, nationales, ou mondiales, comme ce fut le cas de la très récente élection présidentielle américaine, sont toujours des occasions données de s'interroger sur la manière dont ceux qui nous gouvernent nous parlent et sur le pouvoir qu'exercent ces mots soigneusement choisis sur les gouvernés que nous sommes. La constatation de l'absence de programme politique clairement défini, d'un côté comme de l'autre, dans l’élection présidentielle américaine, a encore dramatiquement renforcé chez moi la force de ces questionnements. De plus si l'homme politique est un utilisateur boulimique de l'art rhétorique, il est bien évident que les mots guident (quand ils ne contraignent pas) chacun des pas qui constituent nos trajectoires dans le monde de l'hyperconsommation, de l'hypermédiatisation et de l'hypercommunication qui est le nôtre.
Et c'est effectivement, lors d'une précédente échéance électorale (l'élection présidentielle Française de mai 2012) que je suis tombé sur le livre de Philippe-Joseph Salazar intitulé Paroles de Leaders et sous-titréDécrypter le discours des puissants. Alors que je saisissais le volume sur le rayonnage et me dirigeais droit vers la caisse, seule une question empêchait l’éclosion du sentiments d’omniscience potentielle que je sentais poindre en moi : « Avec un tel programme, comment ce faisait-il que ce livre n’ait pas été le best-seller du moment ? Qu'importait, c'était trop tentant. Six mois plus tard (dont une petite semaine de lecture), j'ai la réponse à cette question. Et à celle-là seulement.
L'avis d'Emmanuel
Tout un ensemble de concepts passionnantsLa rhétorique, c'est à dire la faculté de bien parler (pour persuader), fut longtemps considérée comme un art. Avec l'évolution des moyens de communication et d'enregistrement, le boom des sciences humaines et la professionnalisation de la fonction de « communiquant », il est fort logique que d'art, elle ait peu à peu accédé au statut de science. Et c'est en tant que scientifique spécialiste de la chose que Philippe-Joseph Salazar se présente au lecteur : il est réthoricien, c'est à dire que son métier consiste à « observer la vie politique sous l'angle de la parole ou, plus justement, sous l'angle des effets de réalité que produisent ceux qui sont aux affaires lorsqu'ils nous parlent ». En tant que tel, ce sont de grand coups de concepts scientifiques, ou d'allure scientifique, qu'il commence par asséner à son lecteur. Ainsi réfléchit-on au poids de l’étymologie sur le sens d'un mot, tel le « peuple », terme devenu bien anodin mais qui recouvre pas moins de quatre accessions différentes en grec ancien (ethnos, le peuple en tant que groupe partageant des comportements communs ; genos, le peuple qui partage des liens de parenté ; laos, le groupe de personnes « liées par une conception du service à rendre » ; et demos, le peuple fait d'individus libres et égaux qui participent à la vie publique). On découvre également l'accousmatique, qui « caractérise cet art très humain, et très politique de « dire ce que l'on a entendu dire », littéralement, [...] la connaissance par le ouï-dire redit ». Jusqu'à finalement assister à une démonstration d'efficacité de l'allégorèse, cette technique qui consiste à se servir « d'un événement actuel pour le projeter sur un événement passé afin de légitimer l'actuel en lui donnant de la profondeur et, du même geste, justifier le passé en lui donnant un héritage actuel ». Concepts à la fois élémentaires et puissants, exemples concrets à l'appui, je suis hypnotisé, prêt à mordre à l'hameçon.
La came était trop bonneTous les espions vous le diront, le risque principal que l’on encourt lorsque l’on est contraint de fricoter avec l’ennemi, c’est de basculer. Pire, de ne pas se rendre compte que l’on a basculé. Comme ces flics infiltrés devenus héroïnomanes qui, les bras bleus et les pupilles plus fines que des têtes d’épingles, crachent sur ces pauvres camés qui courent après leur dose. Ou ces anciens ouvriers qui continuent de chanter l’internationale en costard-cravate sur les bancs de l’Assemblée Nationale. Malheureusement pour lui, Philippe-Joseph Salazar n’aura pas échappé à cette triste destinée. Car pour dénoncer les détournements de l’art rhétorique, il cède bien vite lui-même à ses facilités. Et voilà que bientôt les tournures ambivalentes se mettent à pleuvoir, les faux arguments à se multiplier et les démonstrations hasardeuses à être posées en vérités absolues. Pire, le savant entreprend de polluer son exposé de petites allusions déplacées et de règlements de compte mesquins. Impossible autant qu’inutile de recourir à la citation, car passé une première page d’introduction à peu prêt claire et objective des problématiques, la plupart des trente chapitres sont composés d’un verbiage inconsistant et, vous l’aurez compris, fort décevant.
A lire ou pas ?Si vous cherchez un brûlot politico-médiatique qui essaie de masquer cette qualité sous une caution universitaire, oui. Si vous avez des aspirations plus scientifiques et/ou techniques et cherchez un manuel de réthorique illustrée par l’exemple (ce que Paroles de Leader semble vouloir faire croire qu’il est), malheureusement non. Dommage car l’auteur n’a pas du voler ses galons et car le sujet ne manque pas d’intérêt.
P.S. : peut-être aurais-je du faire un tour plus tôt sur le Rétheur cosmopolite, le blog de l'auteur, pour me rendre compte de sa manière très scientifique d'exploiter ses connaissances en matière de rhétorique.
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