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Les châtiments d’Apophis par Patrice Dauthie et Maryse Cherruel

Par Livresque Du Noir @LivresqueduNoir

Maryse : C’est une bonne idée ! Tu as raison, tuer avec du venin de serpent hybride, je crois qu’on n’a jamais vu ça dans un polar ! Il faut en tirer quelque chose. Tu devrais t’y mettre. Après tout, tu aimes ça, l’écriture !

Patrice : Franchement je ne sais pas. Oui, l’idée est originale, je te l’accorde. Imagine ce que pourrait en faire un maître du genre… Mais se lancer aveuglément dans l’écriture alors que tout a déjà été écrit, que la littérature foisonne de talents… Je te l’ai déjà dit, je me sens littéralement submergé par un océan de papier chaque fois que j’entre dans une librairie ou dans la modeste bibliothèque municipale de mon petit village picard. Ajouter un livre inutile à cette surabondance… Non, ce projet n’est pas réaliste. Je suis loin d’avoir ton courage tu sais.

M : Moi j’y vois l’occasion pour toi de montrer ce que tu sais faire. C’est sûr qu’il y a pléthore d’écrivains, mais c’est avant tout un plaisir, je t’assure. C’est valorisant de mener un projet à son terme. Et puis tu aimes ce milieu, tu n’arrêtes pas de me parler de tes découvertes. Et quelque part tu as déjà franchi un pas avec tes petits articles dans la revue de ton association, non ?

P : Oui, c’est sûr, mais je ne me sens pas « écrivain ». Je gribouille tout le temps mais je me qualifierais au mieux d’écriveur, non, même pas puisque Desproges lui-même recourait à ce qualificatif, alors… je dirais plutôt «écrivassier ». Oui, j’aime bien ce mot, écrivassier. Il me rappelle le nom de certains oiseaux de ma baie de Somme, tu sais, comme bécasseau variable, tournepierre ou chevalier guignette. C’est joli, ces bestioles qui piétinent la vase et la fouillent pour débusquer des choses plutôt molles et invertébrées. De toute façon je ne suis jamais satisfait de ce que je produit, je trouve mes phrases molles et invertébrées aussi, parfois.

M : Encore ton manque de confiance qui reprend le dessus alors que tu viens de me prouver par tes paroles que tu as le sens inné de l’image. Mais regarde, moi j’y suis bien arrivée ! Bien sûr c’est dur de trouver un éditeur, j’ai dû siphonner mon livret A pour le premier, passer par l’auto-édition pour le deuxième… Mais le troisième m’a valu plein d’encouragements. Et si on le faisait à deux ce bouquin ? Un quatre mains, ce serait sympa non ?

P : Tu sais bien que nos styles sont diamétralement opposés. Ton écriture est dépouillée, fluide, décomplexée et un peu fleur bleue. Et moi je suis anxieux, atrabilaire, porté sur l’humour noir, le cynisme et les idées tordues. Ça ne va pas marcher cette affaire. Et puis comment va-t-on procéder ? Ne compte pas sur moi pour passer des semaines dans ton appartement, il me faut ma baie de Somme, ma cabane de Démocrite, mon recours aux forêts, tu le sais bien !

M : Tu m’agaces avec ta philo à deux balles ! Prends ton courage à deux mains et arrête de gémir tout le temps ! Et puis ce sera l’occasion pour toi de dénoncer ce qui t’horripile, la dérive ultra-libérale de notre société avec tous ceux qui, la morale en bannière, dissimulent leurs déviances sous le tapis de la respectabilité, les politiques, les religieux, les chefs d’entreprise sans scrupules. L’occasion aussi de rendre hommage à ceux dont tu me parles souvent, les Desproges, Onfray, Houellebecq, Camus et j’en passe. Pour le côté pratique, j’ai une idée : on écrira les chapitres au fil de l’eau en se laissant guider par notre inspiration. Un livre fait de réparties par messagerie électronique ! Original non ?

P : Ouais, ça c’est pas mal. Mais il y a toujours ce choc de styles qui m’ennuie.

M : On va en faire une arme de cette différence. J’aime que la différence puisse s’exprimer. Je remettrai en scène Emma Telier, ma fliquette ordinaire, une personnalité aux antipodes des enquêteurs dépressifs, alcooliques et fâchés avec leur conjoint, l’éternel poncif de la littérature policière.

P : Une Emma confrontée à un justicier névrosé et sociopathe qui élève des serpents hybrides, un gars qui a été viré de sa boîte, par exemple, et qui veut punir les artisans de sa mise hors-jeu.

M : Ben voilà, on y est ! De mon côté je camperai le personnage d’une commandante déchirée entre les tourments de sa vie de famille et les impératifs de son métier. Je soulignerai le comportement machiste de la hiérarchie policière. Je resterai moi-même parce moi j’aime la vie telle qu’elle est. Ma femme-flic gérera les tracas avec lucidité et une certaine humanité. Une fliquette « normale » en quelque sorte. Et je ferai parfois parler mon cœur parce que c’est ce que je fais de mieux. Tant pis pour les esprits chagrins !

P : Tu crois que je peux y arriver ? Tu me connais, je suis un besogneux. Pour un simple billet dans le journal de mon association je prends plein de notes, j’enregistre mes idées sur dictaphone. Et il y a les recherches sur le Web et mon obsession du mot juste, celui que l’on a du mal à capturer. Et puis, j’ai trop tendance à partir en vrille, à devenir emphatique, on me l’a souvent reproché. Tu te souviens, la chanson de Bashung, « c’est comment qu’on freine ? »… Tout ça pour pondre un format A4… et toi tu me parles d’un livre !

M : Crois-moi, il faut te lâcher. Le plus difficile ce sera de respecter une chronologie, de recalibrer les chapitres et d’élaguer. Mais ces aspects-là on ne les regarde qu’à la fin. Pour le moment il faut se jeter à l’eau et écrire, c’est tout !

P : Bon. Admettons. Même si on ne le fait que pour nous ce serait déjà formidable. Après tout on ne cherche pas la gloire, on veut juste se faire plaisir comme tu dis. Et je le sens bien finalement,ce tueur aux serpents misanthrope, névrosé et revanchard. Un bon alibi pour jeter une encre venimeuse sur le papier. Faire un petit caprice tous les deux, ça me tente assez. Avec l’arachnide Internet comme outil, un travail distancié, des surprises à chaque ouverture de fichier… C’est tentant, je te l’accorde. Et si ça marche je pourrai m’asseoir à côté de toi dans les salons du livre au lieu de faire le pied de grue, ce sera plus confortable !

M : Bon, ne rêve pas trop mais je vois que tu deviens enfin raisonnable. Je savais que j’allais te convaincre. J’y arrive toujours, tu le sais bien !

Quelques mois après, Les châtiments d’Apophis est le résultat… du quatre mains à distance…

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