Magazine Humour

Punta coma

Publié le 03 novembre 2012 par Histoiresdecabincrew
Punta coma
   Souvent, il arrive que les crews soient accompagnés d’un membre de leur famille ou d’un ami. Ceux-ci peuvent apprécier la saveur épicée de notre vie aux 4 coins du monde.  C’est un peu comme de la télé-réalité : tantôt ils nous regardent déambuler en cabine, au rythme des services, tantôt ils nous voient vivre les escales, le feu ravivé par cette présence extérieure. Pour nous, c’est un véritable plaisir d’emmener un proche. Avec un regard neuf, nous redécouvrons ces destinations de rêve. C’est aussi un moment privilégié, plus intime. Dans notre travail, nous n’en savons que trop la valeur : entre deux voyages, nous avons si peu de temps que nous ne pouvons le partager avec tout notre entourage. Pas autant qu'on le voudrait en tout cas.Il faut dire aussi qu’à la longue, passer du temps libre en escale avec des collègues qu’on ne choisit pas,  ça peut être franchement rasoir ! Lorsqu’on n’a pas d’affinités, on n’a très vite plus rien à se dire, à part se raconter nos vies quotidiennes… Avec certains, on a parfois l’impression d’être un psy de supermarché : oui, Brigitte, quand tu me racontes les exploits et déboires de ton ado de 15ans, comment elle a changé d'appareil dentaire, comment elle joue bien du violon ou elle fait de l'équitation, combien tu t'inquiètes pour sa première boum, etc, etc ; je crois à chaque fois que je vais en crever d’ennui…Heureusement, dans ce boulot, on trouve aussi de belles amitiés et là, ça devient des vacances authentiques et mémorables.   Cette fois-là justement, j'ai proposé à Arment, un ami ex-steward, de m’accompagner sur un stop de 3 jours en Rep’Dom. Ce fou furieux, amateur de fêtes, toujours prêt à me faire entrer dans ses délires, connaissait bien la déjantée Rihanna (rien à...) , ma collègue pour qui l’alcool est un sacrement !Tout avait commencé la veille, juste avant de prendre l’avion… Arment avait entamé les festivités à la tequila avec des amis. Puis, à bord, il avait siphonné un ou deux verres de champagne. Généralement, nos proches étaient choyés pendant le vol, l’alcool était servi gracieusement et quand il y avait de la place en classe VIP, on les upgradait. Ensuite, dans le bus de transfert vers l’hôtel, nous avons éclusé le fameux jungle juice préparé par la chef mais aussi des bouteilles de cava apportées par mon pote comme le veut la tradition ! En effet, chaque buddy qui accompagnait un membre d’équipage apportait un cadeau : souvent des chocolats mais parfois des gâteaux et de temps à autre, des bouteilles qu’on dégustait en escale. Le all-in ne nous suffisait pas !Arrivé à l’hôtel, il s’est jeté, comme un aigle sur sa proie, sur le minibar de la chambre et s’est envoyé quelques shots de vodka.  Epaté, il a pris les bouteilles exposées en photo et a commenté sur Facebook "A Punta Cana, en mode fiesta." Chaque chambre était en effet équipée d’un distributeur d’alcool : gin, vodka, rhum et cognac, il y en avait pour tous les goûts. Combien de fois n’ai-je pas surpris des collègues en train de mettre en pratique le phénomène des vases communicants entre des bouteilles de soda vides et celles du bar ?  Pour ma part, j’agrémentais mes soirées entre amis en confectionnant d’authentiques mojito ou cuba libre au bon Brugal brun de République Dominicaine.A la piscine, les rhum coca s’évaporaient l’un après l’autre. J’avais observé un curieux phénomène : les collègues qui buvaient exclusivement du cuba libre pouvaient tenir jusqu’au petit matin, même après un vol de plus de 10 heures ! Probablement que le glucose du rhum et du coca cola alimentait les crews comme le charbon, les antiques locomotives. Ca les rendait presque increvables.Le soir, au bar de l’hôtel, il commandait avec Rihanna des TGV, 3 shots à boire l’un après l’autre : Tequila, Gin, Vodka.  Ce combustible explosif réagissait dans leur corps, catalysé par la musique latino et les plaisanteries. Eux buvaient ça comme de la limonade. La soirée se terminait au Mangu, où on sortait souvent le premier soir pour être sûr d’avoir le temps de récupérer de nos déchéances alcoolique et d’être opérationnels en vol.Sur la piste de danse, un redbull vodka à la main, il se déchainait littéralement. Rihanna, elle, s’envoyait des tequilas au bar, avec la barmaid. Elle ne les payait même plus : la serveuse était épatée de la voir descendre tous ces shots, sans sel ni citron, comme une Amazone, à cheval sur son tabouret.  Quant à moi, un peu ivre, j’admirais le spectacle des danses pré-coïtales des autochtones.   Nos têtes ne tournaient plus très rond. La fatigue nous envahissait peu à peu, après plus de 36 heures d’éveil et le jetlag. Au moment où j’ai décidé de me trainer vers ma couche, je ne trouvais plus Arment. Tel un Sherlock Holmes aviné, je me suis mis à sa recherche, assisté par une Watson explosée. Après une demi-heure d’investigation désespérée dans tous les lieux où il était susceptible de s’être abandonné, je l’ai enfin retrouvé dans les chiottes de la discothèque, affalé sur les toilettes, riant comme un âne, complètement déchiré. A part ça, il avait la réactivité d’un crustacé. J’ignore comment nous l’avons manœuvré vers la sortie mais nous avons enfin pris un taxi. Et le voilà qui s’endort dans une position acrobatique de contorsionniste puis soudain, il se réveille et gueule qu’il doit vomir. En panique, le taximan s’est arrêté juste à temps pour qu’il éructe son mélange éthylique, comme un cocktail Molotov, par la portière entrouverte.  Il avait tellement englouti de vodka que le taxi a dû s’arrêter à plusieurs reprises pour qu’il gerbe. Enfin, le taxi a repris sa vitesse de croisière et  il s’est endormi comme la Belle au bois dormant, sur les trois sièges arrière. Dix minutes plus tard, c’était l’exorciste ! Il était secoué de spasmes et ses yeux se révulsaient ; d’une voix d’outre tombe, il se plaignait d’avoir mal au foie. Justement il m’avait raconté qu’il s’était fait hospitalisé quelques mois auparavant pour cette raison. Je croyais vraiment qu’il allait claquer ! Puis, il  s’est calmé et s’est endormi en rigolant. Mais à nouveau possédé, il s’est mis à crier en respirant bruyamment. Moi, je m'attendais à voir sa tête faire un 360° et me dire des obscénités ; j’étais prêt à appeler un prêtre mais Rihanna m’a dit que c’était juste normal. Non mais elle était sérieuse ?!? Et s’il y passait, je ferais quoi, moi !? Contrairement à elle, je n’avais jamais vu quelqu’un faire une crise de boisson. C’était vraiment impressionnant !   Finalement arrivé à la réception, après l'avoir trainé sur le sol sur quelques mètres, il a vomi une dernière fois, en plein sur le beau tapis qui décorait l’entrée de l’hôtel. Comme dans un Indiana Jones, j’ai hurlé à Rihanna : «  Attention ! Attention !- Oh noooooon c’est dégueulasse, putain de sa race ! »Rihanna  venait de mettre ses pieds nus en plein dans la gerbe. Le réceptionniste a demandé s’il fallait appeler un médecin. J’ai préféré mettre un terme à l’aventure. Je n’avais qu’une chose en tête : le ramener  très vite dans la chambre avant qu’un des crews ne nous aperçoive. Je ne savais pas comment j’allais faire pour le tirer jusque dans la chambre. Bien éméché moi aussi, j’arrivais à peine à le soulever. J’ai regardé à gauche puis à droite et là, j’ai aperçu un chariot à bagage de l’hôtel : je savais ce qu’il me restait à faire !Avec l’aide de Rihanna, on le taperait dans le chariot pour le voiturer jusqu'à destination.  La scène était décalée, marrante et stressante à la fois. Heureusement que c’était en pleine nuit : imaginez la même scène devant les autres clients de l’hôtel médusés !« Mama Mia j’ai jamais fait ça, gloussait Rihanna- Shhhut ferme-la et aide-moi ! »Je tenais sa tête, pour ne pas qu’elle traine par terre, tout en poussant le chariot. Rihanna prenait soin que ses jambes ne dépassent pas en montant dans l’ascenseur. Et là, face au miroir,on a éclaté de rire ! On se croyait dans un film de Pierre Richard, à deux en train de pousser un caddie, avec comme seul bagage un pote dans un coma éthylique. Enfin, dans la chambre, nous avons pris soin d’immortaliser cette scène décadente en prenant quelques photos et même une vidéo. Quelle tête il ferait en visionnant cette déchéance…   Le lendemain après une bonne nuit de sommeil, Arment s’est réveillé, comme si rien de tout cela ne s’était passé. Je lui ai demandé si ça allait mieux et il m’a répondu d’un air surpris que tout allait très bien. Il ne se souvenait vraiment de rien ! Nous lui avons montré la vidéo et les photos de sa folle nuit. Il en était pas fier, il s’en excusait auprès de nous puis, devant autant de surréalisme, il a éclaté de rire. « Vous m’avez ramené dans la chambre sur le chariot a bagage ?! Ca, c’est la meilleure de l’année ! J’avais jamais fait ça ! - Ben nous, on s’en rappellera, on a bien galéré pour te convoyer comme un cadavre à la morgue ! Et surtout, on a bien déliré en te prenant en photo ! »Dans l’après-midi, il a changé son statut Facebook :  « Still in Punta cana but in Punta coma.»

Retour à La Une de Logo Paperblog

A propos de l’auteur


Histoiresdecabincrew 17 partages Voir son profil
Voir son blog

l'auteur n'a pas encore renseigné son compte l'auteur n'a pas encore renseigné son compte

Magazines