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desperate house deputies

Publié le 09 février 2013 par Polluxe

Le débat sur le " mariage pour tous " à l'Assemblée nationale fait un tabac. Je ne compte plus les hashtags #DirectAN sur mon fil d'actus Twitter. Hashtag - pardon mot-dièse - qui arrive souvent dans les cinq premiers du classement. Incroyable ! Grâce aux chaines d'infos en continue, à la longueur des débats, aux différents rebondissements, chahuts, altercations, bref au caractère passionnel du débat, le " Direct AN " est en train de devenir la série du moment où LCP se rêve en HBO...

Rien à voir avec les interminables questions au gouvernement d'un obscur député du Cher sur l'alignement des primes européennes ou l'augmentation du prix du lait. Non, là ça dépote, ça brasse, ça sent la sueur de cravate et les coups de boule au vestiaire. On a droit à tout : les références historiques déplacées, les citations incongrues, les noms d'oiseaux, les invectives et heureusement les fous rires. Ambiance virile garantie. Ne manquent plus que les caméras dans les coulisses et les pubs autos pour concurrencer le foot. Il n'a qu'à voir NKM, un peu perdue au milieu de ces mâles vociférants, telle un moineau sur sa branche. N'est pas Taubira qui veut.

C'est du théâtre et du bon (3). Les députés sont d'immenses acteurs qui jouent leur propres rôles avec plaisir. Les spectateurs suivent haletants et les twits fusent. Inutile de dire que le " mariage pour tous " a placé la barre haut. Ça ne va pas être facile d'enchainer pour la 2e saison. Ça risque d'être fade.

Alors pourquoi tant de passion ? Parce qu'on est au croisement d'une norme sociale majeure - le mariage - et de l'intimité - la sexualité. En fait, en donnant le droit aux couples homosexuels de se marier, il est tout bonnement question de graver dans le marbre que l'homosexualité n'est pas seulement tolérable comme une déviance, une immaturité ou un exotisme, mais qu'elle est est normale c'est-à-dire qu'elle rentre à égalité - de droit justement - avec l'hétérosexualité dans la norme de notre société. D'ailleurs certains opposants seraient prêts à accepter plein de droits dans un autre type d'union, dans une union spécifique, à condition que ce ne soit pas pareil. C'est le pareil qui coince. Halimi ne disait pas autre chose en 1981, au moment de la dépénalisation :

" Il n'est pas possible, semble-t-il, de prévoir des solutions différentes pour les hétérosexuels et les homosexuels, car cette discrimination repose en vérité, qu'on le dissimule ou non, sous des arguments politiques ou de droit constitutionnel, sur un jugement moral implicite ou explicite : l'homosexualité est l'anormalité. "

Le " mariage pour tous " n'est que l'aboutissement logique du processus - si j'avais fait une pancarte à la manif c'eut été " le divorce pour tous ". Comme le dit Badinter (2) :

" Le couple homosexuel est tout aussi légitime que le couple hétérosexuel. [Le refus est lié à] la représentation millénaire de l'union d'un homme et d'une femme [...] jugée seule légitime dans nos sociétés [alors que] le couple homo [a été] jugé monstrueux, honteux et scandaleux, contraint de se dissimuler sous peine de la peine de mort pendant très longtemps ".

En effet, beaucoup de gens " tolèrent " l'homosexualité à condition qu'elle soit loin : loin des lois, loin des principes, loin de leur famille, loin d'eux... Au fond ils ne l'acceptent pas comme normale. Or ,à regarder ce qui se passe dans la nature ou la préhistoire des humains, l'homosexualité est là, dans le champ des possibles. C'est d'ailleurs pour cela que je ne comprends pas les opposants quand ils prennent comme argument la nature : c'est doublement faux, puisque l'homosexualité existe dans la nature et puisque le mariage est une construction sociale. Et la meilleure preuve que l'homosexualité est naturelle, c'est que des siècles de conditionnement social, d'éducation et de normes en faveur de l'hétérosexualité n'ont pas réussi à l'éliminer ! Je suis persuadée que l'être humain est bisexuel par nature, de même qu'il n'est ni de genre masculin, ni de genre féminin, ou alors les deux.

Certains députés ont été accusés d'homophobie - mot pratique bien que je ne sois pas très fana de l'inflation des -phobes et de leur utilisation - même si aujourd'hui les débats ont été sans doute moins ouvertement homophobes que par le passé. Mais leur attitude relevait aussi du sexisme. Ce n'est pas étonnant. Les ressorts à l'œuvre sont sans doute les mêmes. L' homophobie comme le sexisme sont des " préservatifs psychiques " afin de ne pas être assimilée à une femme, c'est-à-dire un être plus ou moins consciemment considéré comme inférieur. Ça me rappelle un très bon bouquin sur le sujet : La peur de l'autre en soi (1) dont voici la 4e de couv :

" Quelle est cette peur de l'autre en soi ? Qu'est-ce que l'homophobie ? C'est l'appréhension de cette femme qui sommeille en chaque homme, de cet homme qui dort en chaque femme, de cet homosexuel ou cette homosexuelle qui, sait-on jamais, n'attend peut-être qu'à s'éveiller en nous. En ces temps où l'égalité dans les rapports entre hommes et femmes n'est pas encore acquise, où le besoin de droits égaux pour les personnes d'orientation homosexuelle se fait de plus en plus pressant, où les préjugés alimentés par la peur du sida banalisent la discrimination, où la montée de l'extrême droite donne cours à une intolérance renouvelée face aux différences, comprendre cette peur de l'autre est une nécessité pour qui veut combattre sexisme et homophobie. Cette part de mystère, donc de menace, que recèle l'autre dans sa différence, ne l'avons-nous pas tous redoutée en notre for intérieur ? "

(1) La peur de l'autre en soi. Du sexisme à l'homophobie. Michel Dorais, Pierre Dutey, Daniel Welzer-Lang, VLB éditeur, Montréal, 1994.

(2) E. Badinter sur le " mariage pour tous " :

(3) extraits des débats à l'AN :


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