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Benoit XVI : les grandes lignes d’un grand pontificat

Par Tchekfou @Vivien_hoch

La renonciation du pape a une saveur médiévale, car il faut revenir à Grégoire XII, en 1415, pour trouver un tel acte. Déjà, le 21 décembre 2005, en portant le camauro pour se protéger du froid, le pape Benoît XVI avait renoué avec l’antique chapeau réservé aux papes à partir de 1646. Mais cette renonciation a également une saveur extrêmement moderne.

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S’il invoque ses forces déclinantes pour justifier cette décision, c’est dans la mesure où le repli de sa vigueur physique l’empêche d’accomplir la charge de Pierre telle qu’elle est attendue aujourd’hui. En s’exprimant en latin, langue de l’Église universelle, et en diffusant cette allocution sur l’ensemble des réseaux sociaux, le pape a démontré tout au long de son pontificat, et jusqu’au jour de sa renonciation, qu’il avait cette faculté rare de pouvoir être extrêmement moderne parce qu’il restait lié à la sève de la tradition. Par la même, il a renvoyé à la poussière les débats inutiles sur la classification des papes entre conservateurs et modernistes. Ni conservateur ni moderniste, mais évêque de Rome, telle pourrait se résumer sa charge pontificale au cours des huit années écoulée. Essayons-nous toutefois à un bilan plus précis de ce pontificat qui s’achève de façon inattendue.

Nous voyons cinq domaines majeurs où l’action du pape a été décisive, que nous classons ici par ordre de priorité :

La liturgie

C’est l’élément le plus important du pontificat, et c’est le moins compréhensible pour un non chrétien. Le terme restauration n’est peut être pas le plus approprié, mais en tout état de cause, le pape a réindiqué tout le sens profond de la messe. À cet égard, l’événement fondateur fut la messe célébrée aux Invalides, en 2008, lors de la venue de Benoît XVI à Paris. C’est là qu’il a demandé à ce qu’un crucifix soit installé sur l’autel, et que la communion donnée de sa main le soit à genoux. La beauté liturgique fut un des points constants de son pontificat, marqué notamment par le choix des habits usités. À Paris, les chasubles avaient été fournies par l’abbaye du Barroux. La beauté est revenue dans l’Église, et les expériences liturgiques malencontreuses des années précédentes remisées au placard. Son motu proprio Summorum pontificorum a signé, espérons-le, le retour à la paix liturgique et la réconciliation des chapelles et des clans. La liturgie est première, parce que c’est ainsi que l’a voulue Benoît XVI, et parce que la liturgie ouvre vers le Christ, unique point fondamental du chrétien.

L’action magistérielle

Vient ensuite l’action magistérielle. Le pape a publié peu d’encycliques, et elles n’auront probablement pas, dans les cent prochaines années, la portée des grands textes comme Rerum novarum, Humane vitae ou Veritatis splendor. Son action magistérielle est ailleurs, dans l’acuité de ses homélies et de ses catéchèses. Si l’encyclique est un vecteur de communication moderne, dans la mesure où c’est Léon XIII qui lui a donné sa grande portée, la catéchèse est l’élément le plus traditionnel de l’Église mais, encore une fois, mis au service de la modernité du message. Benoît XVI s’est ainsi inscrit dans la lignée des grands pasteurs, comme Saint-Augustin, saint Grégoire le Grand, ou saint Charles Borromée. On pourra longtemps méditer ses homélies sur Pâques et Noël, et celles prononcées lors de ses grands voyages.

Le thème essentiel de son œuvre magistérielle aura été la foi. Avec cette injonction, maintes fois répétées, notamment aux jeunes lors des JMJ : connaissez votre foi, et soyez plus croyants que vos parents. Il n’a cessé de prêcher pour que les catholiques s’approprient leur foi, la connaissent, et la vivent. L’année de la foi que nous vivons actuellement est, à cet égard, son véritable testament spirituel.

 L’éducation

Ses discours sur l’éducation et sur le rôle du professeur sont d’une profonde beauté, et d’une claire justesse. Benoît XVI a été professeur et a conservé la haute estime de ce métier. Sa confiance pour la jeunesse a été constante, notamment à Paris, lorsqu’il a confié la croix comme trésor aux jeunes rassemblés sur le parvis de la cathédrale, et lorsqu’il leur a rappelé que l’Église leur faisait confiance. Mais surtout à Londres, le 17 septembre 2010, où il a enjoint les lycéens catholiques anglais à être les futurs saints du XXIe siècle. Autour de lui s’est opérée cette alchimie qui déroute tous les commentateurs, de voir qu’un million de jeunes se rassemble à Madrid, sous une chaleur torride, pour écouter un homme de plus de 80 ans, et que lui seul sait leur parler, et non pas les attirer vers le culte des fausses idoles.

La vie de l’Église

Il lui a fallu nettoyer les écuries d’Augias des prêtres pédophiles, avec un courage jamais vu dans les autres institutions planétaires. Il a œuvré sans cesse pour l’unité de l’Église, avec la Fraternité Saint Pie X, les orthodoxes, les anglicans, les protestants. Pour la première fois, des pas significatifs de réconciliation ont été faits, et l’espoir de la pleine unité a de nouveau brillé. Le dialogue avec le judaïsme a été intensifié, notamment lorsqu’il a utilisé l’exégèse hébraïque dans son livre sur Jésus, ou lorsqu’il a cité le grand rabbin de France dans un discours à la Curie.

Sa renonciation même est sûrement très importante pour les décennies à venir. Cet acte tout médiéval sera peut être la norme au XXIe siècle. Avec l’allongement de la durée de vie, et la nécessité d’avoir un pape vaillant pour mener la barque de Pierre, il est possible que d’autres papes, élus vers 60 ans, renoncent vers leurs 85 ans. Si Léon XIII a pu mourir en 1903 à l’âge de 93 ans, chacun comprend que la charge d’un pape au début du XXe siècle n’est pas celle d’un pape du XXIe siècle.

La politique

Benoît XVI, pape européen, a redonné élan et vitalité spirituelle à l’Europe qui reste le continent du futur. Ce n’est que le début d’un printemps timide, mais les JMJ fondatrices de Madrid en 2011, la manifestation de janvier 2013 à Paris, sont des événements évidents d’un grand renouveau spirituel de l’Europe, alors même que les autres continents, au-delà des trompes l’œil, s’affaiblissent. Là aussi, ce qui n’est qu’un faible signal dans les années 10 de notre siècle annonce des mouvements beaucoup plus importants dans les décennies à venir. Après les drames du siècle précédents, le temps long de l’histoire a repris son cours. Benoît XVI n’a cessé de rappeler l’Europe à elle-même et à sa culture, et il a montré lui-même la voie, à travers son goût pour la musique et l’importance donnée au latin. On aurait tort de rejeter, comme superficiel et volatil, l’étude des vêtements, de la langue, de l’alimentation ; ce sont au contraire des thèmes fondamentaux, des éléments extérieurs de l’état interne de la culture. Quand Benoît XVI restaure la beauté liturgique dans le choix des tissus et des ornements sacerdotaux, c’est la culture de l’Europe qu’il restaure. Quand il crée, en novembre 2012, une Académie Pontificale de Latinité, c’est aussi la culture de l’Europe qu’il maintient. Et quand, dans ses homélies et ses discours, il médite sur la place de la vigne dans la tradition chrétienne, c’est encore à la tradition de l’Europe qu’il fait appel. Ce renouveau culturel et spirituel de l’Europe est le moteur de son nouvel essor économique et politique.

Un texte, me semble-t-il, résume tout le pontificat de Benoît XVI, c’est son discours à Ratisbonne. D’abord parce que les journalistes n’ont pas voulu le comprendre, c’est-à-dire qu’ils l’ont commenté sans chercher à le lire, ce qui a été récurrent durant tout le pontificat de Benoît XVI. Dans ce discours, une lectio qu’il affectionne tant, le pape a insisté sur la nécessité de la raison dans la foi, et l’attachement à l’hellénisme.

La raison est son thème dominant. La foi est rationnelle, c’est-à-dire intelligible, elle peut être connue et comprise, grâce au logos incarné. Or notre monde manque cruellement de raison, le rationalisme n’étant que la négation de la raison. Le refus du pragmatisme et de la réflexion sur les sujets de fond sont à cet égard éloquents.

Notre monde manque aussi d’hellénisme. L’hellénisme renvoie à la culture, notamment européenne, et aux échanges entre l’Orient et l’Occident. C’est, par l’intermédiaire de la musique, de l’art, de la beauté, tout l’apport spirituel du christianisme. Dans ce discours, le pape invitait les hommes à renouer avec la raison et avec l’hellénisme. Maintenant qu’il s’en va, il est temps d’appliquer ce programme.

Quelles perspectives désormais s’ouvrent à l’Église ?

Le nouveau pape ne changera ni le dogme ni la foi, c’est pourquoi sont stériles les batailles qui visent à nommer comme conservateur ou progressiste le futur pape. Ce qui est vrai c’est que c’est un long cycle de trente ans qui s’achève. En tant que pape et préfet de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi, Joseph Ratzinger a été au cœur du Vatican durant les trente dernières années. Il a pu poursuivre, comme pape, le travail élaboré comme cardinal. Le prochain pape n’aura pas connu Vatican II en tant qu’acteur du concile, comme l’avaient été Jean-Paul II et Benoît XVI. Le 28 février prochain s’ouvre donc une nouvelle ère de l’Église. C’est la fin de la période postconciliaire. Que cela intervienne l’année des 50 ans de l’ouverture de Vatican II n’est nullement anodin dans le choix du pape, puisqu’il a pu décider de sa sortie.

De cette octave de Benoît XVI nous retenons trois discours majeurs : Ratisbonne, pour la raison et l’hellénisme, les Bernardins, pour la place de la culture, et le discours au Bundestag, pour le sens du politique.

Nous retenons aussi trois images : l’arc-en-ciel qui a illuminé le ciel d’Auschwitz lors de la visite de Benoît XVI, la tempête de Quatrovientos lors des JMJ de Madrid, et l’éclair qui a salué Saint Pierre de Rome le soir de la renonciation. Trois fiorreti pour un grand pontificat.


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