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L’Afrique tuera-t-elle Dieu ?

Publié le 14 février 2013 par Medzaher
L’Afrique tuera-t-elle Dieu ?
Et si Dieu était mort depuis longtemps en Afrique ?
Alors que le pape Benoît XVI vient d’annoncer sa démission, en Afrique et dans les diasporas africaines, athéistes, agnostiques, sceptiques ou même simples « curieux » remettent en question la parole divine.
Faut-il croire les récits qui, depuis les premiers missionnaires blancs jusqu’au pape Benoît XVI, nous présentent l’Afrique comme un puits de spiritualité intarissable ? Le continent est-il un réservoir de fidèles, le poumon de l’Eglise, une terre incorrigiblement religieuse… ?
Ils sont de différentes cultures et nationalités, vivent en Afrique ou font partie de la diaspora. Ils ont fait des études poussées, se sont souvent intéressés à la cause des femmes, des homosexuels, des minorités religieuses dans leur pays.
Issus de familles croyantes — musulmanes, chrétiennes ou animistes — ils se sont détournés de l’invisible. Eux, ce sont ces hommes et ces femmes qui ne croient pas en Dieu ou doutent de son existence. De plus en plus nombreux, ils prouvent que, non, les Africains ne sont pas tous religieux.
Certains ont été déçus. Ce n’est pas qu’ils ne croient plus, mais ils rejettent en bloc les religions.
L’écrivain béninois Marcus Boni Teiga est de ceux-là. Il a été chrétien, animiste, musulman et même secrétaire général adjoint de la Communauté nationale du culte vaudou et des religions traditionnelles du Bénin (CNCVB). Il est entré dans tous les costumes à sa taille :
« Je ne dirais pas que je ne crois pas en Dieu, puisque que je ne sais pas qui a créé l’univers et tout ce qui y vit. Mais je peux dire plutôt que je ne crois pas aux dogmes des religions. Là-dessus, je suis sans équivoque. »
« C’était ma dernière prière »
Pour Amira (le nom a été changé), une Egypto-Américaine se définissant comme libre penseuse, le changement a été plus radical.
Adolescente, la jeune femme ne manquait jamais une seule prière. Mais à l’université, elle se met à enfreindre les lois religieuses du cocon familial.
Amira a 23 ans. Elle consomme de l’alcool, ne porte pas le voile, est découverte par sa sœur sur le point d’embrasser un homme, puis par sa mère, une fois, deux fois, trois fois. Les garçons, les fêtes, le scepticisme religieux qui l’assaille… lorsqu’elle parle de son athéisme, Amira n’arrive pas à le distinguer de son mode de vie « occidental ».
« Cela m’a pris au moins dix ans pour m’avouer à moi-même que je ne croyais pas en Dieu. Tout ce temps, j’étais obsédée par la peur de décevoir ma famille. Je m’obligeais constamment à refouler mes doutes. »
Quand elle annonce finalement à ses parents son « scepticisme » — un mot soigneusement sélectionné ; censé atténuer le choc de la révélation — des murs se dressent devant elle :
« Mon père est devenu fou, il m’a même menacée de mort. Ce jour-là, pour garder la paix au sein du foyer familial, je me suis agenouillée avec ma famille. Mais, au fond, nous savions tous que c’était ma dernière prière », se remémore-t-elle.
En Égypte, les athéistes ne sont pas inclus dans les statistiques officielles. Ils n’existent pas, ou presque. Se révéler lorsque l’on n’est pas censé exister, c’est prendre le risque d’énerver du monde. Le blogueur athéiste Kareem Amer en sait quelque chose, lui qui avait été condamné en 2007 à trois ans de prison pour insulte à l’islam.
Mais, même au pays de Mohammed Morsi, la question de l’incroyance est de plus en plus présente dans la sphère publique. Comble de l’audace, un film au titre évocateur, L’Athéiste, s’est récemment faufilé entre les mailles de la censure égyptienne.
Les athéistes, une minorité avec des droits
Jamais très éloigné de la lutte pour le respect des droits des minorités religieuses, des femmes et des homosexuels, le droit à l’athéisme et à l’indifférence religieuse est un combat que les associations commencent à peine à mener.
En Afrique en particulier, il est quasiment impossible d’évaluer le nombre d’incroyants, notamment parce que beaucoup d’athées restent dans le « placard », préférant ne pas partager leurs opinions religieuses.
En définitive, on ne sait pas grand-chose des incroyants africains. A l’origine de cette méconnaissance se trouve peut-être l’idée, très répandue, que les Africains sont sans exception, sinon religieux, du moins enclins à la spiritualité.
En tant que rapporteur spécial auprès de l’ONU sur les questions de liberté de religion et de conviction, le professeur Heiner Bielefeldt est tenu de s’atteler aux droits des athéistes. A l’en croire, la question des droits des athées est ignorée un peu partout dans le monde, et les victimes athées de discriminations font souvent face à un vide juridique :
« Trop peu de gens savent que la liberté de penser, de conscience, de religion ou de croyance couvre également les personnes aux convictions athéistes. »
Il y a des pays où l’on considère tous les citoyens comme des croyants, analyse Bielefeldt. Beaucoup d’Etats d’Afrique entrent dans cette catégorie. Des pays où « dire ouvertement que l’on ne croit pas en Dieu, c’est faire face, au mieux, à de l’ignorance. Vos proches vous considèrent souvent comme des fous ».
Pire, ajoute le rapporteur, vous risquez aussi d’être confrontés à des discriminations et à diverses formes de violence :
« En Afrique du Nord, des athéistes ont ainsi été condamnés à des peines de prison, et il y a toujours un danger d’attaques physiques et même de torture. »
Dans les pays aux gouvernements islamistes, l’athéisme est souvent criminalisé par les textes, avec par exemple une législation qui condamne le blasphème.
« Le monde change, l’Afrique aussi, et je pense que les religieux se sentent en danger. L’idée que de plus en plus de gens quittent leur religion les inquiète. Alors ils réagissent », analyse, quant à elle, Amira.
Pour le rapporteur Heiner Bielefeldt, « de nombreuses personnes pensent que l’athéisme à des conséquences néfastes sur la fabrique sociale de la société ». L’athée est alors vu comme un être immoral. Dans certains cas extrêmes, on utilisera même la force pour le ramener à la « raison ».
 
Un scepticisme africain
Dominicain depuis des lustres, Eloi Messi Metogo est tout sauf un incroyant. La soixantaine élégante, ce Camerounais débute des études théologiques au Nigeria, avant de les finir à Yaoundé, où il officie aujourd’hui à l’université catholique d’Afrique centrale.
Il n’a jamais quitté son poste au service de l’Eglise, s’est consacré corps et âme à ses paroissiens, n’a pas fait un pas de travers. A l’exception d’un petit acte blasphématoire ; une publication tirée de sa thèse au titre extraordinaire — Dieu peut-il mourir en Afrique ? — qui constitue une somme sur l’indifférence religieuse en Afrique.
Son projet d’écriture sur l’athéisme en Afrique a germé de constats personnels. A l’université de Yaoundé où il étudie, Metogo fréquente des non-croyants, professeurs pour la plupart. Il se pose des questions. Les cercles chrétiens dans le monde, les médias, les chercheurs… Tous chantent la même rengaine : l’Afrique est de plus en plus religieuse. Lui constate le contraire. Et les années lui donnent raison.
Metogo n’a aujourd’hui plus besoin de fréquenter des scientifiques ou des intellectuels
 pour se rendre compte que l’indifférence religieuse progresse et que les athées s’assument.
Lorsqu’il fait du porte-à-porte pour fidéliser les habitants de son quartier à sa paroisse, il n’est pas rare qu’on lui claque la porte au nez en lui lançant un très franc :
« Je ne crois pas en Dieu ! ».
Et d’ailleurs, l’incroyance et le scepticisme religieux sont-ils vraiment des phénomènes nouveaux sur le continent ? Pour Eloi Messi Metogo, il y a effectivement un athéisme lié à la scolarisation, au développement des techniques.
Mais pas seulement. L’indifférence religieuse existerait en Afrique depuis des siècles. Selon Metogo, tout a été fait pour enterrer les recherches sur l’indifférence religieuse dans les sociétés africaines précoloniales, dans lesquelles on constate que « certains individus ne croient simplement en rien ».
« Ne pas exister dans la société soudanaise »
Nahla Mahmood est soudanaise. Réfugiée à Londres depuis trois ans, elle est l’une des principales porte-paroles du Council of ex-muslims (Comité des anciens musulmans).
Enfant, Nahla ne comprend pas pourquoi elle doit sacrifier ses désirs — dessiner, sculpter, avoir un chien — pour une religion. A l’université, elle croise le chemin d’un professeur opposant au régime d’Omar El Béchir, le président au pouvoir depuis 1989, qui vient d’être emprisonné et torturé pour avoir enseigné la théorie de l’évolution.
Dès lors, elle se sent différente. Comme si elle n’existait pas « dans la société soudanaise, en tant que femme, en tant que scientifique ».
Au Soudan, les lois sont bien plus discriminatoires pour les incroyants que dans le reste de l’Afrique. Ceux qui renoncent à l’islam ont trois jours pour faire repentance publiquement sous peine d’être condamnés à mort.
Et Nahla a étudié la question. Selon ses propres estimations, il y aurait eu entre cent-vingt et cent soixante-dix Soudanais déclarés coupables d’apostasie pour les années 2010, 2011 et 2012, et la plupart ce seraient repentis afin d’éviter une condamnation à mort.
Les crimes d’honneur n’étant pas non plus rares, Nahla décide à l’époque de garder ses convictions pour elle-même.
« J’ai essayé de ne pas me faire remarquer mais cela se voyait quand même. C’était évident que je résistais à certaines normes et préceptes. »
Plus le temps passe, moins la jeune femme parvient à concilier son athéisme avec son environnement. En 2010, elle décide de quitter Khartoum. Elle s’envole pour Londres pour pouvoir dire tout haut : « Je ne crois pas en Dieu ».
Sur la vie en tant qu’athéiste dans son pays d’origine, dont elle garde « des souvenirs intenses, bon et mauvais », elle tient à être bien claire : « Au Soudan, si je ne coche pas la case « musulmane » je peux être exécutée. »
Les incroyants donnent de la voix
« A la différence des personnes religieuses qui ont leur propre communauté, les athéistes restent souvent isolés. S’il s’organisaient en associations, ils auraient eux aussi plus de possibilités pour lutter pour leurs droits », avance le rapporteur Heiner Bielefeldt.
Pour le moment, les incroyants africains s’organisent en donnant de la voix sur les réseaux sociaux.
« Parfois, j’ai l’impression que j’appartiens plus à la communauté des humanistes qui se retrouve sur internet qu’à la communauté soudanaise », avoue la Soudanaise Nahla Mahmood.
Les athées, les sceptiques et les critiques de la religion, très actifs sur les réseaux sociaux, rivalisent de pugnacité pour exprimer publiquement leur point de vue. Ils savent aussi qu’internet est un outil à double tranchant :
« Internet est notre espace public, celui qui nous permet d’exposer nos idées, qui a fait exploser les barrières géographiques et sociales, et qui nous offre la possibilité de rester anonymes. D’un autre côté, on ne peut pas être aveugles à la censure. Internet a aussi été utilisé comme outil de contrôle et de persécution », commente ainsi Nahla Mahmood.
Quoiqu’il en soit, Nahla en est certaine : Internet et ses centaines de groupes athées plus ou moins anonymes ont au moins permis aux incroyants africains de sortir du placard. Dieu fasse qu’ils n’y retournent pas !
Lu sur Slate Afrique

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