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Faim d’Haïti

Par Christian Tortel

Cinq morts et une quarantaine de blessés en une semaine, au cours des manifestations de la faim en Haïti. Pendant cette période, le sac de riz est passé de 35 à 70 dollars. L’agence Alter-Presse signale des barricades et des pillages.

Selon Radio Kiskeya, qui cite le témoignage de confrères journalistes, le photographe Jean-Jacques Augustin (auteur de la photo de foule ci-dessus) aurait été blessé par balle.

Les casques bleus des Nations Unies ont dispersé des manifestants alors qu’ils se dirigeaient dans la zone du Palais national.

René Préval, le président de la République, propose de soustraire dix pour cent du salaire mensuel des fonctionnaires de l’État percevant plus de 30 000 gourdes (environ 540 euros) au profit des démunis.

Comme mesure phare pour soulager les souffrances de la population, le chef de l’État propose la subvention de la production agricole et de la consommation nationale.

Selon René Préval, en permettant aux paysans de trouver des engrais à moitié prix et en subventionnant la vente du riz produit en Haïti, la production nationale en sortira renforcée et les prix baisseront.

Des mesures similaires sont également prévues pour relancer la production d’œufs et de poulets parallèlement à des négociations avec les importateurs.

Rétrospectivement, la « bonne gouvernance » haïtienne semble avoir fait long feu. En octobre 2007, le Parlement haïtien avait voté un budget pour 2008 de 69 milliards de gourdes (1,14 milliards d’euros) avec « la priorité donnée à la bonne gouvernance, la sécurité, la justice, l’État de droit, la stabilité politique, et la stabilité macro-économique ». avait annoncé le ministre de l’économie et des finances, Daniel Dorsainvil. Il était prévu « des dépenses pour faire reculer la pauvreté ».

L’année 2007-2008 était annoncé alors comme la première année de mise en œuvre du ” Document de stratégie nationale pour la croissance et la réduction de la pauvreté “(Dsncrp).

De Guadeloupe, Monique Mesplé-Lassalle écrit :

« La faim au ventre n’est pas pacifique », et dans le silence feutré de mon île en distance de la vie, je n’entends que ce cri poussé par Haïti, le Sénégal, le Burkina, l’Egypte. Le cri de la faim poussé par des êtres humains qui préfèrent encore mourir par balles. Cinq morts en Haïti et des dizaines de blessés, deux en Egypte et plus de cent blessés, combien de morts sans parole en Afrique…

Silence feutré de mon île en écho à celui, assourdissant, d’un monde nécrosé sur son « je ». Je me jette sur les journaux dans l’espoir d’un appel solidaire… dans le Monde, un entrefilet noyé dans les 400 000 euros payés pour protéger une seule flamme, toute olympique qu’elle soit. Noyé dans les millions des détournements de fonds. Noyé dans les dérives d’égos malades en quête de pouvoir.

Noyée la faim, niée, néantisée.

Ici, on fait la chasse aux Haïtiens qui sont venus chercher la vie. Ici, on méprise, on insulte, on rejette. Frères du sangversé pourtant, de la douleur partagée. Exemples d’Histoire pourtant. Mais, l’un a oublié la faim, l’autre n’a le droit que de se taire et de crever la gueule ouverte…sur sa faim.

Mal au monde.

[Lire de Monique Mesplé-Lassale, Etrangère de nulle part, recueil de poèsie édité en 2007 par les Presses nationales d’Haïti. Ecouter sa douce voix de rocaille en lectrice attachante de James Noël sur le site Ile en île .]

Monique nous rappelle cet extrait de Rue des pas-perdus, roman de Lyonel Trouillot, écrivain résidant en Haïti :

Je vous dirai, mes messieurs-dames, je ne suis qu’une vieille femme qui radote, une vieille pute exilée dans ses trous de mémoire et sa grande maison vide, hier bonne au lit, de santé ferme et sérieuse en affaires, mais qu’importe ce que je fus, ce qui reste, ce qui n’a jamais bougé, pire que le pian ou les morpions, pire que tout, pire que vous-mêmes, mes messieurs-dames, parce que c’est elle qui vous nourrit et qui vous crée tels que vous êtes, c’est la misère. Alors permettez que je crache sur les drapeaux et les parades, sur vos titres et vos slogans. Au nom du pain. Sur vos haines et sur vos mensonges. Au nom du pain. Sur les rats que vous devenez quand il vous prend de mordre et de souffler dans la misère de qui n’a rien à mordre et pas de souffle pour souffler. Au nom du pain. Sur vos diatribes, vos têtes d’affiche, sur les galons que vous vous inventez parce qu’à force de mentir on finit par croire en la vérité du mensonge. On finit par se dire c’est pas si mal, ça peut aller, ils ont vu pire et de toute façon ce n’est pas du jour au lendemain qu’on changera leurs habitudes d’abstinence, de pas assez de ci, d’insuffisance de ça. Alors de prophète en prophète, de dictateur en dictateur, il suffit de leur foutre une poignée de sel sous la langue et des vivants à tuer ou des morts à pleurer, de la poudre de toc d’héroïsme dans les documents officiels. Permettez que je crache sur vos monuments. Au nom du pain. Vous n’êtes même pas foutus de leur faire des fontaines qui coulent. Tant il est vrai, mes messieurs-dames, que vous n’avez à leur offrir que des orgies d’apocalypse, des jérémiades de poitrinaire. Et vos gueules de couteaux de pharmacie qui viennent trancher dans leur misère. Et eux comme des chiens errants qui n’ont plus de place pour errer parce que la misère ça prend toute la place et ne laisse que les recoins, ils chassent les mouches avec des gestes que vous prenez pour des vivats, pour ne point perdre l’illusion de leurs bars, ils miment des airs de semence en attendant qu’un jour ils accourent demander justice à vos mensonges et à la faim. Au nom du pain. Croyez m’en, mes bons messieurs-dames, il n’y a pas que don Cristobal que les vents jetteront à la mer. Mais voilà que je parle comme vous, moi qui n’ai jamais rien jeté, parce que tout me semblait valoir la peine d’être conservé. Les odeurs des hommes, des parfums. Celle du pain surtout. Les petits présents de rien du tout des amants qu’on ne reverra plus. Tous les souvenirs. Même les oublis. Parce que l’oubli aussi, c’est une façon de se souvenir. Non, je n’ai rien à jeter à la mer. Même pas vous, mes bons messieurs-dames. Tout est paré pour la parade. Les morts. Les justes. Les vivants. Moins le pain.


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