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Maroc : les agences de l'État prospèrent...

Publié le 19 février 2013 par Unmondelibre
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Au moment où, en ces temps de disette, la réduction du train de vie de l’État est un leitmotiv, étonnamment la problématique de l’inflation des agences de l’État continue d’être occultée du débat public. Qu’il s’agisse des agences de développement régional, de régulation et de contrôle ou encore des agences sectorielles, le bilan est très décevant au regard des budgets mobilisés. Il n’y a qu’à regarder l’aggravation du déficit commercial, la persistance du chômage des jeunes, les pratiques anti-concurrentielles, les déficits sociaux, etc. Quelles sont donc les raisons d’un tel échec ?

Trois raisons permettent de comprendre ce fiasco : d’abord, leflou juridique entourant la définition et la délimitation de leurs attributions, ce qui est à l’origine de la difficulté de leur pilotage. On est donc face à des « satellites » de l’État difficile à évaluer et à contrôler, et donc à responsabiliser.  En outre, cela crée des chevauchements avec les autres entités publiques et donc des conflits, à l’image de ce qui s’est passé entre le ministère de l’habitat et Al Omrane. La coordination devient ainsi difficile face à la multiplicité des intervenants, chacun s’estimant le plus habilité à prendre la décision, ce qui pousse chacun à entreprendre des actions désordonnées de manière non coordonnée avec l’ensemble des dispositifs. Résultat des courses : des redondances, des actions contradictoires et donc un gaspillage de l’argent du contribuable. Ce qui se passe dans les domaines du commerce extérieur, de la promotion des PME, et des investissements est très éloquent. Plus grave encore, cela génère le blocage de plusieurs dossiers et immobilise la décision publique causant des manques à gagner pour les entrepreneurs et l’État.

La création d’agences de manière ad hoc explique pour une part leur prolifération parfois irrationnelle. Le déficit de mécanismes de bonne gouvernance régissant le fonctionnement de ces agences est un facteur structurant de leur incapacité à atteindre leurs objectifs. L’absence d’appels d’offre, de tableau de bord pour un suivi réel des réalisations, de planification prévisionnelle, le lancement de certains projets en l’absence d’études de faisabilité et d’impact, et le recrutement sur la base du copinage et de calculs politiques, tout cela est en complète contradiction avec les principes de gestion privée dont l’État prétend vouloir s’inspirer à travers ces agences. Il n’est pas étonnant alors que dans chaque rapport de la Cour des comptes, une ou plusieurs de ces agences soit épinglée pour la médiocrité de sa performance.

Enfin, le problème de fond de ces agences est lié aux incitations des bureaucrates qui, comme n’importe qui, défendent en priorité leur intérêt personnel, mais ici, en mettant en avant l’intérêt général. Ils cherchent avant tout à maximiser la taille du budget de leur agence de façon à augmenter leur rémunération et leur influence au sens large. Par conséquent, soit les objectifs ne sont pas atteints, afin de légitimer davantage de crédits budgétaires « insuffisants », soit quand ils le sont, le coût est plus élevé que ce qui est nécessaire. D’où leseffets pervers sur le plan budgétaire, notamment quand il arrive très souvent que des agences aient tendance à perdurer dans le temps, y compris lorsqu’elles avaient vocation à n’être que temporaires (Agence Hay Ryad à Rabat par exemple). Et même quand leurs résultats sont médiocres, elles continuent à être financées, comme l’ANAPEC, l’ADS, l’ADPN, et bien d’autres.

Si l’État a délégué certaines de ses missions à ces agences, pour moderniser le management public, cela reste insuffisant car une gestion moderne suppose d’autres ingrédients qui étaient négligés, notamment une définition rigoureuse de contrats avec des objectifs et des missions précises, claires et mesurables ;  la définition de mécanismes de coordination et de coopération avec les autres entités concernées, la responsabilisation à travers des mécanismes rigoureux et effectifs de suivi et d’évaluation assortis de sanctions comme la non reconduction ou du moins la réduction des budgets en cas de mauvaises performances ; la mise en concurrence avec d’autres acteurs pour une meilleure responsabilisation (À titre d’exemple, il sera intéressant de remettre en cause le monopole de l’ANAPEC sur le marché de l’intermédiation et ouvrir ce dernier à des entreprises privées.), et enfin un management des ressources humaines fondé sur le mérite et les résultats. Ces agences doivent se conformer à la nouvelle constitution en ce sens qu’elles doivent faire preuve de davantage de transparence, se soumettre au contrôle parlementaire et rompre avec la culture de bureaucrates rentiers. Faute de quoi elles continueront à être des alibis pour échapper aux contrôles budgétaires et à la reddition des comptes.

Bref, au lieu d’une action publique plus performante le peuple marocain a droit à des conflits et des situations de blocage avec de piètres réalisations. A la place d’économies réalisées, on a assisté à l’explosion des coûts. Et à la place de la discipline, irresponsabilité et laxisme. Tout à fait le contraire aux objectifs de départ. Comme quoi, les bonnes intentions ne suffisent pas : même l’enfer est pavé de bonne intentions. Il faut donc s’assurer que les incitations des acteurs concernés aillent dans le sens de l’intérêt public.

Hicham El Moussaoui, maître de conférences à l’université Sultan Moulay Slimane de Beni Melal et analyste sur www.LibreAfrique.org, le 19 février 2013.


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