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” Le grand cri nègre de Césaire est une vibration “

Par Christian Tortel

” Le grand cri nègre de Césaire est une vibration… “. Nous sommes dans le quartier-monde de la Goutte d’Or, au Nord de Paris, dans le Lavoir Moderne Parisien.

Précision de taille : les cœurs intellectuels, parisien de la Sorbonne (les universités de Paris III et Paris IV), américain de New-York et du Québec et des Antilles, africain de Côte d’Ivoire, se sont déplacés pour un colloque sur l’oeuvre du dramaturge KoffiKwahulé

Ce samedi matin, le dialogue autour de Judith Miller (New York University) donnera une belle partition intellectuelle et… politique, établissant une haute portée au travail de KoffiKwahulé (objet d’un festival de plusieurs semaines ici) et d’une dramaturge africaine-américaine très jouée outre-atlantique : Suzan Lori Parks

L’auteur de Topdog/Underdog a bénéficié d’une belle prestation à l’Athénée théâtre Louis-Jouvet en septembre 2007 [Papalagui, 30/09/07]. Son metteur en scène français, PhilippeBoulay, a prononcé cette question en forme de plaidoirie : ” Koffi Kwahulé comme Suzan Lori Parks n’ont-ils pas une vision post-raciale à l’image du discours récent du candidat à la candidature démocrate Barack Obama à Philadelphie ? “

L’homme de théâtre qui vit et travaille en Seine-Saint-Denis précise : ” Koffi Kwahulé et Suzan Lori Parks sont au-delà de l’aspect communautaire mais ils veulent récréer de la communauté, humblement. Ce n’est pas courant. “

Cris, souffrances et lieux clos

XavierGarnier rappelle la propagation de ” l’effet Senghor ” et de ” l’effet Césaire ” :  ” Le grand cri nègre de Césaire est une vibration. “

Xavier Garnier est enseignant-chercheur à Paris XIII, université localisée (délocalisée ?) à Villetaneuse tout au Nord de Paris, en Seine-Saint-Denis. Sa spécialité : les littératures africaines en anglais, français et swahili. Et oui, en swahili !

” Il y a ce mot de Senghor : ” L’émotion est nègre comme la raison est hellène “. Le Nègre serait pure vibration. On n’arrête pas une vibration. Or la vibration part d’un lieu. Oui SonyLabouTansi ou WoleSoyinka ont pris leurs distances avec la négritude [Sur l’après-négritude des écrivains africains contemporains, lire Dominique Ranaivoson, Senghor, Le profane et le sacré, Africultures, décembre 2005]. Mais la négritude de Césaire part d’un lieu fondateur. Pour Césaire comme pour Glissant c’est la cale du bateau négrier.

C’est ainsi que la modernité a inventé des lieux clos dans lesquels des souffrances s’installent.

Il y a cette phrase incontournable : ” On ne savait pas ! “. Les lieux de souffrance seraient hors du regard. La cale jadis, le wagon naguère, les centres de rétention aujourd’hui. Ces lieux d’où la vibration part. Des lieux où l’on souffre. Cette interview de Céline : la prison où l’homme souffre.

Le jazz est un lieu clos, poursuit Xavier Garnier [Koffi Kwahulé ne se définit pas en écrivain mais en jazzman, cf. Papalagui , 06/04/08]. Or le jazz vit dans des lieux clos partout, avec des vibrations qui se sont développées. Les lieux clos posent la question des médias et des trois attitudes possibles : 1. VOYEUR : On met des caméras, on voit, mais la vibration ne passe pas. 2. OBSERVATEUR, MILITANT : dans le centre de rétention. 3. ASPIRANT à créer une communauté : on est dans un lieu et on se laisse pénétrer par cette vibration.

Ainsi, le continent africain capté par les caméras, nous fait poser la question : avons-nous la possibilité d’installer un lieu ou des territoires où la vibration pourraient passer ? “

Dans l’assistance, une certitude : ” La vibration passe toujours à travers les murs. “ On pense au dernier roman de Chamoiseau, Un Dimanche au cachot [Papalagui , 09/10/07] , où tout est vibration et se constitue en mémoire de l’absence. Xavier Garnier s’interroge : ” … mais la vibration passe sous forme moléculaire. D’où cette question de la visibilité/invisibilité. Les artistes ne nous aident-ils pas à savoir par où on souffre ? “

À  noter : ” Le grand cri nègre ” se réfère à Une tempête, adaptation très libre de Shakespeare, publiée en 1969 : ” Je pousserai d’une telle raideur le grand cri nègre que les assises du monde en seront ébranlées. ”

Contacts : Sylvie Chalaye , responsable à l’Université Paris III du tout nouveau Laboratoire ” Scènes francophones et écritures de l’Altérité ” de l’Institut de recherche en études théâtrales (IRET), et Virginie Soubrier à l’Université Paris IV, Centre de recherches en histoire du théâtre (CRHT ).


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