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[Critique] AU BOUT DU CONTE de Agnès Jaoui

Par Celine_diane
[Critique] AU BOUT DU CONTE de Agnès Jaoui  Au bout du conte : dans le titre déjà, du dernier essai de Bacri & Jaoui après les excellents Comme une image et Parlez-moi de la pluie, il y a tout. Les couleurs de faux conte de fées dont se teinte le long-métrage. L’idée d’un désastre final, en bout de ligne. Agnès Jaoui, pour narrer son histoire de princes et de princesses modernes, n’a d’ailleurs pas lésiné sur la surcharge formelle : il y aura des encarts façon peintures tout droit sorties d’un livre pour enfants, des costumes féériques, des protagonistes volontairement canonisés (la tante, qu’elle incarne, devient la marraine-fée des contes ou le grand méchant loup joué par Benjamin Biolay- tout de noir vêtu- se nomme subtilement Wolf). Partout, il y a mille clins d’œil de faits à la fable : le bar s’appelle la Licorne, l’auto-école Leconte, le Prince- un Cendrillon au masculin- perd sa chaussure, la belle-mère souhaite garder sa jeunesse éternelle à coups d'opérations chirurgicales. A l’écran, si le jeu apparaît comme un exercice de style plutôt ludique au départ, il trouve aussi rapidement ses limites face aux autres enjeux du récit. En effet, Jaoui & Bacri, qui signent tous deux le scénario, ne parviennent pas tout le temps à allier déstructuration des codes, croyances du conte, et réalisme moderne. On est quelque part perdus, entre forme étouffante, personnages sans chair, fond trop visible. Lorsque Sandro (Arthur Dupont) rencontre Laura (Agathe Bonitzer), victime d’un coup de foudre prédéterminé par les rêves de la jeune femme, le décor est planté : nous avons le Prince d’aujourd’hui (fauché, musicien, dans la lune) et la Princesse version XXIème siècle (enfant gâtée qui souhaite prendre une année sabbatique parce que « le droit ne l’a fait rêver »). Leur histoire d’amour est-elle possible dans le monde tel que nous le connaissons ? L’amour est-il vraiment semblable à ce que nous racontent les contes de fées depuis l’enfance ? Non, répond en cœur le cynique duo tout au long de l'apologue. 
Intervient ensuite le personnage de Bacri, moniteur d’auto-école, en contrepoint à la naïveté générale: obsédé par la date de sa mort révélée par une voyante, il incarne le rationalisme et la maturité du mec qui a vécu. Il ne croit pas en grand-chose. Il doute. Il contient à lui seul toutes les interrogations et dissertations du film sur la foi. Foi en soi-même, foi en autrui, foi religieuse, mystique, ésotérique, foi en la vie, foi en le couple. Le duo passe en revue toutes les formes de croyances (même la rumeur, les superstitions, les clichés) et les différentes remises en question, voire changements d’opinion des personnages. Au bout du compte, on ne peut croire en rien, disent-ils, et pas même à nos propres croyances. Le couple, lui, est une autre grande victime du conte amer de Jaoui & Bacri ; mirage ingurgité à coups de livres et de dires depuis l’enfance, impossible qui fait pleurer tout le monde si ce n’est ceux qui ont su laisser de côté les visions étriquées et idéalistes de la chose : destinée, fidélité, éternité. On le scrute à la lumière des composantes contemporaines : la famille nucléaire, les parents divorcés, ou, le besoin insatiable de posséder autrui, le corps que l’on consomme, celui dont on se lasse, la peur de l’engagement, la volonté de rester à tout prix indépendant et libre de toute contrainte. A l’instar des contes dont ils s’inspirent, les fabulistes Jaoui & Bacri livrent également leur morale personnelle, de quoi se pendre comme à l’accoutumée. Car s’ils finissent par un baiser de coutume, les deux cinéastes se rattrapent en une seule phrase-morale, placardée à la toute fin : ils furent heureux et se trompèrent beaucoup. Bizarrement, leur constat, d’habitude tranchant et joyeusement ironique, se veut ici davantage morne et blasé. Une tristesse et grisaille de cœur qui traverse d’ailleurs largement un long-métrage qui peine à décoller, suffocant à l’intérieur d’un schéma, narratif et formel, qui ne laisse que peu de place à la fantaisie. Tout y paraît figé, cloisonné, démonstratif, là pour aller dans un certain sens, tout le beau monde finissant prisonnier du cadre en quelque sorte. 
[Critique] AU BOUT DU CONTE de Agnès Jaoui

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