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La courte année de Rivière-Longue

Par Fibula
La courte année de Rivière-Longue, Elise Lagacé, Éditions Hurtubise, 2013
La courte année de Rivière-LongueQuel petit livre intéressant que ce premier roman d'Elise Lagacé ! Par sa plume faussement naïve et son style imagé, l'auteure se rapproche du conte, et nous offre plusieurs niveaux de lecture. Le monde décrit nous semble bien réel par ses éléments palpables, mais la présence de quelques ingrédients surnaturels (le chat, l'ours), et de personnages ou de situations hors-normes nous amènent ailleurs, même si « À Rivière-Longue, on rejette l'ailleurs. Ailleurs, ça n'existe plus, même en pensée, même en secret, même en rêve. À Rivière-Longue, on préfère Nulle part et l'on se contente d'ici. » (p.24). Le lecteur, lui, ne se sent pas nulle part. Il se retrouve dans ce village imaginaire où il est interdit d'avoir des chiens. Où la suspicion des habitants entraîne une omerta omniprésente et empêche quiconque de s'en aller. Où l'on « se nourrit de veilles rancunes et des colères du jour » (p.22). Où il n'est pas bien vu d'acheter ailleurs ce que l'on peut trouver sur place. Rivière-Longue, d'où Aline, la mère de Marcelle, s'enfuira cependant, tournant le dos à la violence qu'elle subit de son mari Son, et qui est évoquée à demi-mots au début du roman. Plusieurs années s'écoulent, entre non-dits, routine du village, violence de Son, jusqu'à l'apparition d'un "étrange", sorte de survenant arrivé de la ville, de cet ailleurs que les habitants de Rivière-Longue redoutent tant.Lié à Aline par les mots que cette dernière a écrit à sa fille et qu'il est le seul à pouvoir lire, cet étranger, Roland, se met en tête de construire une maison pour qu'Aline revienne au village. Mais cela signifie également revenir vers son bourreau, qui sera enfin clairement identifié comme tel par Martin, le doux et bon Martin, dans une confrontation qui scellera le destin de Rivière-Longue.
« Faut pas croire tout ce qu'elle raconte, Martin. C'est une hostie de menteuse, comme la plupart des femmes. Si t'es trop faible pis trop naïf pis que tu la crois, c'est ton problème. Je te dis ça en ami.
Martin devient de plus en plus enragé et sa voix s'éteint dans un chuchotement :
Elle a pas eu besoin de dire grand-chose. T'as jamais fait dans la dentelle, pis t'as jamais été discret. Crisse ! Tu fermais même pas les fenêtres quand tu la battais, pis tu hurlais après pendant des heures. Penses-tu vraiment qu'on entendait rien? » (pp. 140-141)
Roland s'entourera de tous les originaux du village (Mario le verbomoteur, simple d'esprit qui récite du Michel de Montaigne, Simone, enfant de 3 ans qui parle et agit comme un adulte), les solitaires (Gitane l'avocate du village), et les animaux, comme la chatte Verlaine :
« Verlaine, c'est le seul chat du village. Même sur la ferme à Bourrassa, il n'y en a pas. Ce qui fait qu'il y a bien des rats. C'est pourquoi elle habite avec Gitane et Simone. Personne n'oserait faire de mal au chat d'une avocate. elle connaît le Code civil, et le Code civil, ça fait peur. » (p. 79)
Le récit s'essouffle par moment mais quelques beaux passages et une certaine dose d'humour viennent relever le tout pour au final en faire un premier roman très agréable à découvrir.
« Elle le sait, tout cela n'est que temporaire, c'est une famille de secours et elle ne peut prévoir ce qui en restera. Gitane profite donc du moment présent. Le seul qui nous appartienne vraiment. Le passé se travestit de nos souvenirs et le futur s'habille de nos craintes » (p.118)
« La vieille Sophie, qui avait passé sa vie à courir après son temps, mourut écrasée sous son horloge grand-père. C'était un frêle petit bout de femme, toute brune, qui ne sortait presque jamais de sa maison. Un soir, elle tentait de remonter l'horloge qui trônait, paternelle, dans son salon, quand l'étalon à Bourrassa, en rut et en fugue, vint ruer contre le mur extérieur de sa maison. Le choc fit basculer l'horloge qui sombra sur la vieille sans défense et le temps s'arrêta à cinq heures et vingt de l'après-midi. Cela permit au moins au docteur de prononcer l'heure du décès. Ce fut pour lui une mort bien commode, quoique peu commune. Le dimanche suivant, la vieille Sophie ratait la messe pour la première fois en soixante-dix-huit ans. » (p. 177)

Une plume que je rangerais dans le même genre que certains nouveaux jeunes auteurs québécois des derniers mois, comme Stéphanie Pelletier, qui magnifient la nature et accueillent le mystérieux avec un naturel désarmant. Élise Lagacé se définit elle-même comme « écrivailleuse, autodidacte, chercheure, trouveuse, gosseuse de fiction, gastronome des mots, terre d'asile pour personnages en quête d'un foyer ». Ça promet d'autres futures belles créations...
Lætitia Le Clech
Humeur musicale : Nick Cave and The Bad Seeds, Push the Sky Away ( Bad Seed Limited, 2013)

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