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Philippe Bloch :« Le client d’aujourd’hui exige plus de service »

Publié le 15 mars 2013 par Brunoblanchard

Philippe Bloch - Magazine Club BusinessConférencier et chroniqueur sur BFM, Philippe Bloch fait partie depuis 25 ans des spécialistes français du service client. Pour le Club Business, le co-fondateur et ancien dirigeant de Columbus Café détaille ses recettes et comment il les a appliquées au sein de l’entreprise. Et revient sans langue de bois sur ses réussites comme sur ses erreurs.

Avec Service Compris 2.0, votre dernier livre, vous abordez les mutations du service client à l’heure de l’Internet. Quels sont les principaux bouleversements ?
Il s’agit notamment de la dématérialisation des échanges et de l’arrivée des nouvelles technologies. Le client d’aujourd’hui est mieux informé, compare les prix, exige des avantages, recommande etc. Il a également tendance à vouloir tout, tout de suite et se demande : Pourquoi attendre trois semaines pour un devis ? Pourquoi on ne me rappelle pas quand la communication coupe ?

Vous expliquez que la dématérialisation entraîne la suppression des points de contact avec le client. Et qu’on ne répond pas aux nouvelles demandes. Que voulez-vous dire ?
Alors qu’on assiste à une co-construction des services par le client, qui effectue désormais de nombreuses tâches lui-même, comme les commandes, l’important est de l’aider à réussir. Et s’assurer que tous, seniors inclus, ont les cartes en main pour être à la hauteur. Il convient aussi de redéployer les équipes dont le travail est aujourd’hui remplacé par celui des clients. Pour apporter aux clients dans la vraie vie - par opposition à la vie en ligne - un supplément de compétence, de formation et d’information complémentaire à celle qu’ils trouveront sur le net. De ce point de vue-là, le client exige plus de service. Le passage des vendeurs de billets SNCF sur le terrain pour aider, renseigner et assister les voyageurs dans les gares en est un bon exemple.

Que peut-on mettre en place à l’échelle d’une PME ?
La personnalisation de la relation client, une meilleure écoute et une vraie disponibilité, la vitesse d’exécution ou l’esprit commerçant… Souvent des choses toutes simples. Mais très importantes car elles déplacent l’échange sur un autre terrain que celui du prix, où l’entraîne systématiquement son client.

Pensez-vous qu’en période de crise, qualité de service et fidélisation doivent être une priorité des entreprises ?
Il faut comprendre que le client se trouve aujourd’hui dans un climat très anxiogène, il a peu confiance. Le moindre obstacle sur le chemin de son envie devient vite rédhibitoire : manque de transparence, retard de livraison, mauvais accueil etc. D’autant que le client d’aujourd’hui a globalement satisfait tous ses besoins primaires. Il peut techniquement se passer de beaucoup de choses.

Reprenez-vous des conseils de votre premier ouvrage Service Compris, sorti en 1986 ?
Oui, en particulier sur les conditions d’accueil. Malheureusement, les Français restent d’une indécrottable mauvaise humeur et sont extrêmement mauvais en la matière ! Un exemple : chaque année de nombreux Japonais développent ce qu’on appelle le « syndrome de Paris ». Un choc dû au décalage entre l’image qu’ils ont de la France et la réalité de la vie parisienne : l’humour gaulois, l’impatience, les moqueries… Résultats, des troubles de paranoïa qui débouchent parfois sur des rapatriements sanitaires ! La qualité de l’accueil ne fait pas partie de la culture française. Or c’est parfaitement possible de changer. C’était d’ailleurs le postulat de Columbus Café.

Justement avec Columbus Café vous avez décidé d’appliquer vous-même les conseils distillés dans vos livres. En quoi avez-vous innové ?
Nous avons voulu créer dès le début une véritable culture d’entreprise centrée sur le service. Notre devise n’était pas simplement de vendre du café et des muffins mais de faire passer au consommateur « les 15 meilleures minutes de sa journée ». Pour y parvenir, le plus dur est de maintenir un comportement irréprochable des salariés. Un vrai défi.Quand Mc Donald ’s dit qu’il distribue 64 millions de repas par jour, « un par un », ce n’est pas anodin. En fin de journée, celui qui sert n’a plus la même énergie, mais pour le client c’est la première fois qu’il entend son discours…

Quelles étaient vos recettes ?
D’abord recruter des gens qui aiment les gens. Les techniques ou les produits peuvent toujours s’apprendre ensuite. Lors des entretiens d’embauche je me demandais généralement : « Est-ce que je me verrais passer 8 jours de vacances avec lui ou elle ? »Ensuite, ne pas tolérer le moindre écart. En partant du principe qu’un mauvais élément entraîne tout le groupe. Cela consiste à repérer celui qui s’ennuie et le changer de poste, à redonner du sens à ce qu’il fait, voire dans le pire des cas par la séparation. C’est difficile mais il faut être franc et généreux.

Vos défendez « l’effet miroir » en termes de management. Autrement dit traiter les équipes comme ses clients. Pourquoi ?
Je crois fermement aux valeurs d’exemplarité. Par exemple, j’avais l’habitude de mettre d’abord à l’ordre du jour les points qui m’intéressaient en premier : chiffres de ventes, performance… Et puis un jour j’ai décidé de faire passer leurs problématiques avant les miennes : planning, congés, tickets-resto, tenues etc. Chez Columbus, nous avions aussi instauré le « Birthday off », un jour de congé supplémentaire pour son anniversaire. Car je considérais qu’un barista de 22 ans, qui n’a pas un haut revenu, avait plus envie de passer ce jour-là avec sa petite amie au cinéma ou sur les Champs-Elysées. Un investissement lourd, mais qui s’est révélé vraiment différenciant. C’est comme ça qu’on commence à dessiner une culture d’entreprise.

Vous dites aussi qu’il faut mettre le salarié dans la peau du dirigeant…
Oui, de faire comme s’il dirigeait sa boîte. Et notamment pouvoir décider en son bon sens dans certaines situations. Je me rappelle très bien d’un e-mail d’un client régulier qui s’était fait envoyer balader car il n’avait plus de monnaie. J’ai demandé au vendeur : pourquoi ne pas l’avoir avancé ? Même s’il ne revenait pas tant pis ! Mieux vaut perdre un peu d’argent que de ne pas satisfaire du tout le consommateur. J’ai contacté le client et le vendeur est allé lui-même livrer ses muffins directement chez lui.

Comment est née l’idée de Columbus Café ?
En juin 93, je suis à New York et je tombe sur un « Cooper’s Coffee » sur Columbus Avenue. Un concept inédit en France : absence de service en salle, gammes de Cappucino, Frappuccino etc. Dans l’hexagone, le marché du café roupillait et perdait de la vitesse, après être passé de 300.000 à 50.000 cafés. J’avais raté l’arrivé des livraisons de pizza plus tôt. Je ne voulais pas passer à côté de cette idée-là.

Vous affirmez croire à « la supériorité de l’échec sur le succès dans l’apprentissage ». Quelle a été votre principale erreur ?
C’est d’avoir voulu aller trop vite. Nous étions sur beaucoup de ruptures par rapport à l’environnement ancien du café : pas de service donc, que de la vaisselle jetable, pas d’alcool. Le marché n’était pas prêt. Ajouté à cela une mauvaise stratégie d’implantation. En effet, nous avons privilégié des emplacements peu coûteux pour mettre le paquet dans l’aménagement intérieur. Or nous aurions dû faire l’inverse et cibler un public déjà acquis à ce genre d’idées en ouvrant un fonds de commerce dans le Marais, comme nous l’avons fait après. Après trois ans, nous avions fermé nos deux premiers points de ventes, pour nous recentrer sur des corners installés dans des Fnac. En continuant certes l’aventure, mais avec une dette que nous avons traînée plusieurs années.

Et votre plus grande réussite ?
Après avoir surmonté l’adversité, c’est d’avoir forgé une image beaucoup plus forte que notre poids économique. Grâce à notre marque porteuse de valeurs. Concrètement, les choses se mélangeaient entre moi en tant qu’expert et Columbus Café vue comme un laboratoire des services en France. Entre 2000 et 2004, l’entreprise a vraiment pris son envol notamment grâce à des contrats avec des gares et des aéroports au Moyen Orient. L’enseigne exploite aujourd’hui 50 points de vente à travers le monde et emploie plus de 400 personnes.

Vous revenez aussi dans votre ouvrage sur votre éviction. Que retenez-vous ?
En 2001, nous avons fait entrer d’autres investisseurs au capital. Nous avions besoin de nous développer très rapidement car Starbucks arrivait sur notre marché. Des désaccords stratégiques sont rapidement apparus et j’ai été contraint de partir. Mon erreur a été de m’associer à 50%, car dès l’entrée du premier investisseur, ce n’est plus vous qui décidez. Personnellement, je pense aussi qu’un seul dirigeant s’impose, sinon ça ne fonctionne pas. Dans la vie d’une entreprise les associés ne grandissent jamais de la même façon, il y a toujours un décalage.

Vous êtes désormais animateur d’émission de radio, chroniqueur et conférencier. Qu’avez-vous appris en interviewant les grands entrepreneurs français sur BFM ? Avez-vous noté certains points communs?
L’humilité, la simplicité, la capacité à penser grand et à changer quand tout va bien, le plaisir de créer bien supérieur à l’appât du gain, qui n’est pour eux que le résultat d’un travail bien fait. Mais aussi  le respect des hommes et le plaisir de les voir grandir. Ou encore la capacité à se relever après chaque échec.


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