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Les questions que soulève l'élection du pape François

Publié le 16 mars 2013 par Roman Bernard
Ceci est une adaptation de l'article que j'ai écrit sur mon autre blog, « The Ambassador — Journal of a Wandering Westerner », repris sur Alternative Right. (N.B. : oui, je suis de retour ; comme tout retour après une pause, il implique une période de « décrassage », d'où la faible fréquence de publication.)

Les questions que soulève l'élection du pape François

La Ville éternelle émet sa fumée blanche bien connue

À en croire Le Figaro, auquel je ne suis resté abonné que pour me tenir informé de ce qui se passe en France, le pape François est un Latino-Américain, et son élection est donc une « révolution pour l'Église », rien que ça. J'ignore si le journaliste qui a pondu cet article a daigné consulter Wikipedia avant de prendre le clavier, mais Jorge Mario Bergoglio est au moins autant un Européen qu'un Sud-Américain. Ses deux parents sont nés dans le Piémont (pas même en Calabre ou en Sicile !), et ils se sont donc ajoutés à la communauté italo-argentine, qui représente quand même 60 % de la population.
Ça aussi, le journaliste aurait pu le savoir en consultant Wikipedia, mais il fallait vendre du papier...
Plutôt qu'une « révolution », il s'agit donc d'un retour à la normale pour l'Église, dont le souverain est italien depuis près d'un demi-millénaire, le bref interlude de deux papes polonais et allemand mis à part. La nette sur-représentation de l'Italie dans le conclave (21 cardinaux sur 117) a peut-être joué un rôle.
Toutefois, le choix d'un cardinal d'Amérique latine révèle le déplacement du centre de gravité de la Chrétienté vers le sous-continent. L'Église semble savoir là où elle a de réelles perspectives d'avenir.
Deuxième découverte des journalistes : le nouveau pape aurait « collaboré » avec la « junte » à la fin des années 70, en lui livrant deux prêtres progressistes. La base de cette « information » : une accusation lancée par un polémiste dans un livre. Être accusé, ces temps-ci, équivaut à être coupable.
Et, bien sûr, il serait « conservateur » en matière de mœurs, sur l'homosexualité, l'avortement ou l'euthanasie. La très vulgaire présidente argentine, Cristina Kirchner, est allée jusqu'à dire que l'opposition de l'archevêque de Buenos Aires au mariage gay, en 2010, lui rappelait le Moyen-Âge et l'Inquisition. Pourtant, Kirchner n'a pas été excommuniée. L'Inquisition n'est plus ce qu'elle était.
Cet accueil critique par la presse de gauche suffit aux éditorialistes de droite pour adorer subito un nouveau pape dont ils ne connaissaient rien avant son élection. Moi non plus, mais j'ai fait quelques recherches pour en savoir davantage. De mon investigation très extensive, il est notamment ressorti que :

Ce ne sont là que des exemples, mais ce sont surtout des contre-exemples à l'idée selon laquelle le pape François serait un conservateur. Les commentateurs de droite comme de gauche font ici fausse route.
Pour la gauche, c'est simple : il suffit de désapprouver un seul point de son programme pour être classé à droite. Ce classement est rétro-actif, et en permanence réactualisé. Ainsi, Jules Ferry devient rétroactivement « raciste » pour sa politique coloniale, alors qu'il faisait partie des figures de la gauche sous la IIIe République. Clemenceau a subi le même reclassement, et pour Jaurès, ça ne saurait tarder.
Pour la droite, c'est encore plus simple : comme le démontrait Alain de Benoist dans l'entretien dont je donnais quelques extraits récemment, elle se définit symétriquement par rapport à la gauche. Si la gauche est pour, la droite est contre, et inversement. Comme le résumait Stag dans un récent billet :
« Un communiste se dit dégoûté par l'odeur de l'excrément ? Vite ! un cul ! qu'on s'y enfonce le nez ! »

Le même comportement symétrique a prévalu pendant les huit années du pontificat de Benoît XVI : puisque la gauche reprochait à Benoît XVI de manquer d'enthousiasme pour le préservatif ou de rappeler les racines grecques, et donc européennes, du christianisme, les droitards se sont imaginé que le pape d'alors était un « défenseur de l'Occident », selon le vieux principe « l'ennemi de mon ennemi est mon ami », un principe démenti tous les jours dans le monde réel, par exemple au Proche-Orient. (Je le sais d'autant mieux qu'à l'époque, j'avais défendu Benoît XVI dans les deux articles mis en lien.) 
Si l'on s'intéresse aux faits davantage qu'aux fantasmes d'Ivan Rioufol, on se rend vite compte que :
  • Sous le pontificat de Benoît XVI, le Saint-Siège a pris position pour une forme de Sécu mondiale
  • Il a prôné une gestion globale, et étatique, de la distribution d'eau
  • Il a proposé la création d'une Banque centrale mondiale

Plus important encore si l'on se souvient de la fin de campagne présidentielle 2012, quand les catholiques conservateurs ont agité la menace du droit de vote des étrangers si Hollande était élu (alors que Sarkozy s'y était déjà déclaré favorable), c'est que Benoît XVI lui-même l'a proposé explicitement.
Comme l'a mis en évidence Ivane, auteur d'un remarquable travail sur la question (et étonnamment peu repris par les blogueurs catholiques « défenseurs de l'Occident »...), le Vatican a déclaré qu'il fallait :
« [I]nclure les migrants dans les processus de prise de décisions »

L'Église catholique allait donc encore plus loin que le Parti socialiste, qui ne propose d'étendre le droit de vote qu'aux seuls étrangers en situation régulière. Avec Benoît XVI, tous les étrangers pourraient voter.
Le nouveau pape est-il conservateur, et, plus important, est-il moins anti-européen que son prédécesseur ? Je ne sais pas encore, puisque son pontificat commence tout juste. Je ne manquerai pas de signaler ici toutes les choses positives qu'il pourrait dire, même si, sur la base des exemples fournis plus haut, j'ai quelques raisons d'avoir des doutes. Dans le cas où mon impression de départ serait confirmée, je ne manquerai pas non plus de le rappeler aux catholiques pour lesquels défense de l'Europe et catholicisme voguent de conserve. Peut-être que le ministère de François sera l'occasion pour tous de faire des choix.
Roman Bernard

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