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Argentin(s): François Ier sur les traces de François d'Assise?

Par Jean-Emmanuel Ducoin
Ce fils de parents immigrés italiens, défenseur des pauvres, refusa de considérer que l’Eglise ait pu avoir la moindre responsabilité dans les crimes commis par la dictature militaire... L'occasion de repenser à Leonardo Boff, non?
Argentin(s): François Ier sur les traces de François d'Assise?Bergoglio. «On atteint plus vite le ciel en partant d’une chaumière que d’un palais.» (François d’Assise) Evidemment, lorsque Jorge Mario Bergoglio réclama la bénédiction du peuple avant même de débuter son ministère, nous nous sommes dits que quelque chose de singulier se produisait place Saint-Pierre avec l’apparition de François Ier. Le conclave était donc allé chercher le successeur de Ratzinger à l’autre bout du monde, en Argentine, comme si le temps était venu d’une certaine adéquation entre la réalité de l’Eglise au XXIe siècle – deux catholiques sur trois étaient européens il y a un siècle, il ne sont plus qu’un sur quatre – et la nécessité d’un retour à la simplicité, que semble incarner ce jésuite de formation, premier pape des Amériques (et premier jésuite d’ailleurs). Le nom même choisi par Bergoglio, en son ampleur symbolique, incarne une rupture: François, c’est assurément Saint François d’Assise. Autant de signes pour se montrer enthousiaste? Restons prudent, très prudent même.
Ce fils de parents immigrés italiens, défenseur des pauvres qui n’hésita pas à bénir les pieds de malades du sida, fut aussi péroniste dans sa jeunesse et refusa, contre l’évidence, de considérer que l’Eglise ait pu avoir la moindre responsabilité dans les crimes commis par la dictature militaire. Attendons les actes.
Boff. «Commence par faire le nécessaire, puis fait ce qu’il est possible de faire et tu réaliseras l’impossible sans t’en apercevoir.» (François d’Assise) En ces moments d’étranges sentiments, alors le continent sud-américain vient de donner un pape, il était important sinon indispensable de re-penser à l’un des grands inspirateurs de la théologie de la libération, le Brésilien Leonardo Boff. Qui s’en souvient? Au cours de ses années d’études à l’Université de Munich, le jeune homme avait développé une franche camaraderie avec le professeur Joseph Ratzinger – avant de devenir l’une de ses victimes. Convoqué à Rome en 1984, Leonardo fut en effet condamné au «silence pénitentiel» par Jean-Paul II et Ratzinger en personne, alors préfet de la Congrégation pour la doctrine de la foi. Désavoué, humilié, Boff quitta le sacerdoce en 1992… Il y a quinze jours, l’ex-théologien ne cachait pas son immense déception à l’heure du bilan. «Benoît XVI a été un éminent théologien, mais un pape qui a déçu et échoué», expliquait-il, regrettant les méfaits de ce qu’il appelle le «virus romain», qui, selon lui, atteigne tout ceux qui travaillent au Vatican.

Argentin(s): François Ier sur les traces de François d'Assise?

Leonardo Boff.

Leonardo Boff ajoutait: «J’ai connu tant d’exemples de théologiens progressistes, comme le fut Ratzinger dans sa jeunesse, devenus conservateurs et défenseurs de la raison d’Etat après à peine un an passé à Rome. Cela doit venir du fait que l’Eglise est très grande, complexe et qu’elle a besoin d’ordre et de discipline. Il apparaît que Rome transforme les êtres qui y vivent en défenseurs d’un système mis en place depuis des siècles.» Puis il précisait le fond sa pensée, venant enfin à l’essentiel de ce que vécurent des millions de chrétiens depuis Vatican II: «Le prétexte a toujours été la peur du marxisme. Contre moi et, de façon plus générale, à chaque fois qu’une demande de changement social en faveur des pauvres surgissait, alors les oligarques et les cardinaux conservateurs agitaient le spectre du discours marxiste. C’est en suivant cette logique que Ratzinger a réduit au silence, destitué ou transféré plus d’une centaine de théologiens proches du peuple.»
Au-delà. Comment comprendre, parfois, la genèse de certains gestes? L’autre soir, très tard après l’Habemus papam, le bloc-noteur insomniaque farfouilla dans sa bibliothèque. Et retrouva les écrits intimes de Mère Teresa, «Viens, sois ma lumière» (éditions Lethielleux), des pages totalement sorties de la mémoire. Pourtant quelques passages laissent au bord du précipice, comme s’il fallait redécouvrir les fissures ressentis par cette femme devant le jugement dernier, «parce que Jésus le veut», se justifiait-elle. Mère Teresa écrivait sans détour: «Il y a en moi des ténèbres si terribles, comme si tout était mort. C’est plus ou moins comme cela depuis le moment où j’ai commencé ‘’l’œuvre’’.» Et elle se confessait: «Seigneur, mon Dieu, qui suis-je pour que Vous me rejetiez? L’enfant de Votre amour – et maintenant devenue comme la plus haïe – celle que Vous avez rejetée telle une indésirable – pas aimée. J’appelle, je m’accroche, je veux – et il n’y a personne pour me répondre – personne à qui me raccrocher – non, personne.» Sa marche funèbre se concluait ainsi : «La solitude du cœur qui veut de l’amour est insoutenable. Où est ma foi? Même au plus profond, tout au fond, il n’y a rien d’autre que le vide et l’obscurité.» Terribles mots. Qui, curieusement, nous en rappelaient d’autres. «Rappelez-vous que lorsque vous quittez cette terre, vous n’emportez rien de ce que vous avez reçu – uniquement ce que vous avez donné.» (François d’Assise.)
[BLOC-NOTES publié dans l'Humanité du 15 mars 2013.]

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