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RAISON D’EMPLOI ! Taisez-vous !

Publié le 02 avril 2013 par Legraoully @LeGraoullyOff

« Il y a ceux qui chantent la chanson du profit contre tous ceux qui aiment la chanson de la vie. » (Pierre Perret)

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Devezh mat, Metz, mont a ra ? Si vous écoutez régulièrement Graou’live, vous connaissez Julie, la frétillante chroniqueuse de l’inventaire du mois ; celle-ci me fait souvent remarquer que je passe trop de temps sur Facebook et elle a tout à fait raison. Seulement, vous me connaissez : grande gueule comme je suis, je suis toujours prompt à l’ouvrir, même quand on ne me demande rien ! Résultat, il suffit que je lise quelque part un « statut » qui me fait bondir pour que je laisse un commentaire qui m’en attire une foule d’autre, plus ou moins désobligeants…

C’est sur une partie de l’une de ces conversations passablement musclées que je souhaiterais revenir, parce qu’elle me semble révélatrice de l’air du temps. D’abord, je vous explique le contexte : un mien contact fait part de la détresse qu’il ressent à savoir le Stade Brestois 29, pour le moment en ligue 1, en position d’être relégué. J’ai eu la malencontreuse idée de commenter ce statut en ces termes : « Ah ! Ah ! Ah ! Bien fait ! » Vous vous en souvenez peut-être, non content d’abhorrer le sport-spectacle en général, je voue une certaine antipathie à l’équipe de football de Brest, ne lui pardonnant pas d’avoir voulu saccager un espace naturel préservé pour y construire un centre de formation et encore moins d’avoir laissé ses supporters mettre littéralement à prix la tête des adversaires à ce projet, comme Nathalie Chaline. Ajoutez à cela que le président du club s’est montré lors de récentes interviews sous son vrai jour, celui d’un gros beauf inculte et machiste, et vous comprendrez un peu mieux ma réaction, volontairement exagérée afin d’être déconnante. Bon. Vous vous en doutez, certaines personnes n’ont guère goûte cet humour et n’ont pas manqué de me le signaler ; je ne reviendrai pas sur les réactions des supporters qui ne me pardonnent pas de m’en prendre à ce qu’ils ont de plus sacré (entre nous, même si j’arrivais à comprendre qu’on puisse s’intéresser à 22 bœufs aux hormones qui tapent du pied sur un morceau de cuir, je n’arriverai jamais à comprendre qu’on puisse en faire une religion), mais plutôt sur cette remarque qui m’a été faite par des gens qui ne sont pas du tout supporters : « Blequin, Brest relégué en ligue 2, ça met des emplois en danger ! » Et voilà !

LE mot est lâché ! C’est la grande cause du siècle, celle face à laquelle tout le monde s’écrase : l’emploi ! La peur du chômage est telle qu’on ne peut plus rien critiquer sous peine d’être accusé de mettre l’emploi en péril et, subséquemment, de condamner des centaines voire des milliers de personnes à se retrouver sur le carreau et à plonger dans la spirale de la précarité, du surendettement, de la misère, etc. Le football crée des emplois, « donc » défense absolue de dire que c’est un business dégueulasse où les pires démons du capitalisme sont exacerbés, doublé d’un spectacle abêtissant et aliénant dont les puissants se servent pour détourner l’attention du peuple des vrais problèmes et donnant lieu aux pires manifestations de chauvinisme voire de racisme ! De même que le général Hiver était le meilleur allié de l’armée russe contre Napoléon, le général Chômage reste le meilleur allié de la médiocrité contre ceux qui se soucient de la dignité humaine !

Cliquez pour agrandir et voir que je ne méprise pas la détresse des chômeurs, bien au contraire.

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À raisonner ainsi, on pourrait aller très loin : hier, pour le 1er avril, je vous avais fait un canular en annonçant l’arrivée prochaine sur vos écrans d’une nouvelle chaîne de télé inspirée de feu la Cinq (ne me dites pas que vous y aviez cru, tout de même !) ; j’avoue avoir un peu de mal à comprendre moi-même pourquoi je suis à ce point fasciné par cette défunte chaîne qui représentait pourtant tout ce que je déteste en matière de télévision : les séries américonnes, les dessins animais japoniais, les jeux débiles, le Paris-Dakar, la formule 1… Le fait que les employés de la Cinq se soient retrouvés sans travail n’était évidemment pas une bonne nouvelle, mais pourquoi pleurer une chaîne de télé qui proposait des programmes racoleurs et cherchait l’audience à tout prix ? Si demain, TF1 disparaissait, faudra-t-il s’abstenir, au nom des travailleurs qui se retrouveront sur le carreau, de se réjouir de cette victoire de la culture ? Notez, que des gens gagnent leur vie en faisant de la merde télévisuelle, c’est pas encore trop grave, mais il y a pire… L’armement aussi, ça fait de l’emploi : va-t-on pour autant appeler à faire la guerre ? L’industrie pharmaceutique aussi, ça fait de l’emploi : va-t-on pour autant espérer qu’il y aura toujours plus de maladies ? Le bâtiment aussi, ça fait de l’emploi : va-t-on pour autant espérer qu’une catastrophe va détruire les plus grandes villes du monde pour permettre de les reconstruire après ? Va-t-on pour autant souhaiter que les plus beaux paysages naturels soient saccagés par des constructions ?  L’aviation aussi, ça fait de l’emploi : faut-il pour autant souhaiter qu’il y ait toujours plus d’aéroports pour saccager la nature et toujours plus d’avions pour pourrir l’atmosphère ? L’élevage industriel de porc, ça fait de l’emploi aussi : faut-il pour autant se réjouir que la Bretagne pue le lisier et que ses côtes soient tapissées d’algues vertes ? Quand on engage des vigiles, ça fait de l’emploi aussi : va-t-on pour autant applaudir quand des gros mastocs sans cervelle font une clé au bras à une frêle indignée investissant un centre commercial ou tabassent les Femen prenant d’assaut Notre-Dame ? À ce tarif-là, les partisans de la peine de mort auraient pu en défendre le maintien au motif qu’il ne faut pas menacer l’emploi du bourreau et les nazis auraient pu légitimer leur politique d’extermination au nom des emplois que cela allait créer !

Ce que je veux dire, pour répondre à tous ceux qui crient à la menace pour l’emploi chaque fois qu’on a le malheur de critiquer quelque chose, c’est que l’être humain n’est pas simplement un tube digestif : c’est d’abord une conscience. L’emploi ne peut pas tout légitimer : si l’homme n’a pas d’autre choix que celui d’accepter n’importe quel travail, aussi avilissant soit-il, sous peine d’être condamné à mourir de faim, alors la dignité même de l’homme est niée. Je n’en veux pas à ceux qui acceptent ce chantage : j’ose croire qu’ils ne sont pas tous fiers de gagner leur vie en contribuant indirectement à l’abrutissement du peuple, à la pollution ou à la guerre ! Mais ceux qui utilisent l’emploi comme argument pour légitimer tout et n’importe quoi font preuve d’un double manque d’imagination : premièrement, c’est parce qu’ils sont à court d’arguments valables pour défendre le foot, la télé, l’armée ou l’industrie en tant que tels qu’ils nous mettent soues le nez les créations d’emplois, qui n’en sont quand même pas les buts premiers – même l’industrie avait pour finalité de base de dégager plus de profits, rien de plus ! L’un de ses premiers effets fut de condamner à la faillite des centaines d’artisans… Deuxièmement, ils ont d’autant moins d’imagination qu’ils partent du principe qu’il n’y a pas d’alternative, pour faire vivre les citoyens, que le maintien en vie de filières qui avilissent l’homme ou pourrissent l’environnement : le culturel, les énergies renouvelables, la bonne gastronomie, l’agriculture bio, ça ne peut pas créer de l’emploi, peut-être ? C’est inutile, peut-être ? Mais peut-être qu’aveuglés par l’obsession de créer de l’emploi, nous ne prenons même plus la peine d’examiner l’utilité réelle de chaque secteur : à la limite, puisqu’on veut créer de l’emploi pour créer de l’emploi, autant faire creuser puis remplir des trous aux gens ! Et puis après tout, pourquoi créer de l’emploi à tout prix, s’il s’agit seulement de faire vivre les gens ? S’il n’y a vraiment pas de boulot, pourquoi ne pas instaurer un revenu de base pour chaque citoyen ? Il y a des gens qui se plaisent dans leur vie de « parasites décomplexés » comme le dit l’ami Jonathan, et où est le problème ? À choisir, je préfère entretenir un fainéant plutôt qu’un flic, un militaire ou un footballeur ! Le fainéant, au moins, il ne va pas me tirer dessus ou me donner un coup de boule… Kenavo, les aminches !


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