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Gaspard Koenig rame à contre-courant pour éviter le naufrage

Publié le 04 avril 2013 par Copeau @Contrepoints

Gaspard Koenig crée un think-tank libéral, visant à promouvoir la liberté et les vertus de la responsabilité individuelle et du libre marché. Une excellente occasion pour Le Monde de rappeler que le libéralisme est mal compris en France.

Par Baptiste Créteur.

Gaspard Koenig rame à contre-courant pour éviter le naufrage

Gaspard Koenig

Pour construire un article idiot sur une initiative libérale, le plus simple est de commencer par dresser un portrait volontairement défavorable de son porteur et de ceux qui la suivent. Ici, c'est assez simple ; Gaspard Koenig est banquier, le public de la cérémonie de lancement de Generationlibre-Alternative France Europe aussi. À Londres qui plus est, ville où se réfugient les exilés fiscaux et expatriés au service du grand capital apatride – jusque-là, même pour un journaliste du Monde, c'est facile.

Les choses se corsent ensuite. Le libéralisme regroupe différents courants unis pour la défense des droits individuels et on ne peut pas le positionner sur un spectre politique français constitué de socialistes et étatistes de droite et de gauche que peu de choses séparent en réalité ; le journaliste est perdu. Heureusement, Gaspard Koenig va l'aider.

Gaspard Koenig entend toutefois s'inspirer du Centre for Policy Research, fondé dans les années 1970 par Sir Keith Joseph, qui fut le mentor des pires excès du tout-thatchérisme. Parmi ses soutiens figurent deux inévitables thuriféraires du libéralisme anglo-saxon en France : l'écrivain-journaliste Guy Sorman et Sophie Pedder, correspondante de l'hebdomadaire britannique libéral The Economist à Paris.

Non seulement il présente son projet à Londres et l'y animera en partie, mais on peut en plus faire le lien avec une sombre période de retour de la prospérité en Angleterre. Il serait dommage de s'en priver, d'autant plus qu'on a alors l'occasion de donner un petit coup de pied dans le libéralisme : il est anglo-saxon. Peut-être même la perfide Albion tire-t-elle les ficelles. Le coup est porté, profitons-en pour une petite boutade :

Sabre au clair, sus à l’État ! S'il doit encore trouver des fonds, des contributeurs, des bureaux et des traducteurs, Koenig est persuadé que l'Europe a mis sa montre à l'heure libérale.

Voilà donc Gaspard Koenig devenu dangereux, et pas seulement pour les subventions reçues chaque année par Le Monde. Il veut réduire le poids de l’État, et n'hésite pas à évoquer ce sujet tellement évident que personne d'autre, en France, ne semble le voir. Tout bon journaliste se doit alors de moquer l'esprit d'initiative qui anime le fondateur du think tank qui ose démarrer avec des bouts de ficelle, sans attendre d'avoir reçu le moindre centime de la part de l’État.

Il est toutefois permis d'émettre un sérieux doute sur la justesse de son analyse. N'en déplaise au Cercle d'outre-Manche, organisation elle aussi libérale formée d'entrepreneurs français d'exception installés au Royaume-Uni, le modèle britannique est périmé. Le pays traverse une grosse tourmente économique. La croissance est nulle, l'inflation est élevée et la politique d'austérité draconienne n'a eu aucun effet.

Le modèle britannique est périmé ? D'une part, ce n'est pas tout à fait le cas ; le chômage est bien moins mauvais au Royaume-Uni qu'en France alors que la dépense publique a été maîtrisée. On a connu péremption plus flagrante pour un modèle à peine ébauché, et l'histoire montre que les effets de la maîtrise de la dépense publique ne sont pas immédiats.

D'autre part, il est un peu fallacieux de présenter un modèle comme "périmé" sans le comparer à d'autres modèles. Qu'en est-il, par exemple, du modèle français ? La croissance est négative, l'inflation monétaire est maîtrisée parce que ce n'est pas le gouvernement qui en décide mais l'inflation normative et l'avalanche de taxes sont bien là, et la politique d'augmentation des impôts et de déficits non maîtrisés a de nombreux effets négatifs. Est-ce à dire, monsieur Roche, que le modèle français est périmé ? Cela a déjà été dit sur Contrepoints, mais oserez-vous l'affirmer ?

J'en profite, pardonnez mon sarcasme, pour saluer votre flair journalistique. Le 26 mars, "Les banquiers du monde entier se précipitent à Chypre", c'était un très bon coup.

Quant à l'armée d'avocats, de fiscalistes et d'agents immobiliers londoniens mobilisés pour aider les candidats français à la cavale à s'installer dans un pays qui leur "déroulera le tapis rouge" (dixit le premier ministre, David Cameron), ils minimisent volontiers les nuages qui assombrissent l'horizon de leurs clients. Le retour aux affaires du Labour, parti frère du PS, lors des élections générales qui auront lieu au plus tard à la mi-2015, est une sérieuse possibilité. Par ailleurs, la victoire probable du oui, à la lumière des sondages actuels, lors du référendum devant être organisé d'ici à 2017 sur une sortie du Royaume-Uni de l'Union européenne, a de quoi donner des sueurs froides à tous ceux qui sont allergiques à la rose rouge.

La fuite des Français vers Londres, quelle preuve d'échec d'un modèle périmé ! L'hypothétique élection du Labour face aux Tories ne dit pas non plus que le modèle ne marche pas. Et la sortie du Royaume-Uni de l'Union Européenne, qu'en dire, si ce n'est qu'ils auraient tort de demeurer dans une Union qui a si peu à leur offrir ?

Permettez-moi à nouveau de saluer votre sens de la formule ; évoquer aujourd'hui le "retour aux affaires" d'un parti frère du PS, c'est bien trouvé.

Même le Financial Times, défenseur du libre marché s'il en est, regrette "la mort étrange d'une Grande-Bretagne qui était libérale". Le quotidien aux pages saumon montre du doigt la limitation prévue de l'accès aux droits sociaux pour les immigrés de l'Union européenne (Le Monde du 27 mars) ou le contrôle imposé par Bruxelles sur les bonus des banquiers. On pourrait ajouter à cette liste noire la disparition de la Financial Services Authority, le régulateur laxiste de la City, et le transfert, le 1er avril, de ses compétences à la Banque d'Angleterre, de nature plus interventionniste.

Parlons un peu de cet article, qui évoque plutôt la mort du libéralisme en Angleterre. Le sauvetage des banques avec l'argent du contribuable n'est pas très libéral, pas plus que les décisions évoquées dans l'article que son auteur déplore. Ce n'est donc pas tout à fait en contradiction avec la défense du libre marché.

Plus inquiétant pour Gaspard Koenig, on ne compte plus les repentis ou défroqués coupables de l'horrible crime de lèse-libéralisme. Le dernier en date est l'Américain Larry Summers, ancien secrétaire au Trésor de Bill Clinton, qui avait été à l'avant-garde du mouvement de dérégulation des marchés aux États-Unis. De passage à Londres, l'ex-conseiller économique de Barack Obama a déclaré à propos du Royaume-Uni que "les résultats de la politique d'austérité à ce stade ne sont pas très encourageants pour justifier cette stratégie de réduction des dépenses publiques".

Ce que dit Lawrence Summers, c'est qu'il est illusoire de penser que la seule austérité pourra améliorer les finances des États et sortir l'Europe de la crise, et qu'il faut que les États européens réduisent leurs dépenses tout en favorisant la croissance – et sans doute l’État, en réduisant son poids sur l'économie et les entraves à son bon fonctionnement, pourrait y parvenir si les hommes politiques faisaient preuve d'un peu de courage. Il insiste notamment sur la nécessité de réformer l’État-providence et de restaurer une crédibilité dans la maîtrise de la dépense publique. Une chose est claire : en aucun cas, on ne peut interpréter ses déclarations comme une incitation à accroître le poids de l’État et la dépense publique.

Le verdict de ce champion du libéralisme débridé, en grande partie responsable de la crise financière de 2008, est implacable. Koenig sait-il qu'il rame à contre-courant ? That is the question...

Après le libéralisme anglo-saxon, voici le libéralisme débridé. La période récente ayant été marquée par un interventionnisme débridé responsable de la crise financière de 2008 et de la crise européenne de la dette, il faut un sacré courage pour oser évoquer un libéralisme débridé et en faire le responsable de la crise. La politique monétaire américaine a encouragé la spéculation ; elle relève de l’État. Des prêts ont été accordés à des ménages non solvables ; une nouvelle fois, l’État en est responsable. Les États sont endettés ; personne ne les y a obligé.

Sans doute les libéraux rament-ils à contre-courant. Mais le courant actuel est responsable de la crise, a amené l'endettement public, la fiscalité colossale et les normes innombrables nocifs à l'économie et se trouve incapable de les résorber. Le courant actuel, celui de la social-démocratie, est voué au même échec que le communisme – que les libéraux avaient parfaitement anticipé. Si nous continuons à ramer, nous avons une chance d'éviter le naufrage ; que tous ceux qui veulent ramer avec nous nous rejoignent, et bon vent à Gaspard Koenig.


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