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53 - L'opportuniste (4ème partie)

Publié le 16 avril 2008 par Theophile

EnterrementEndormi sur le canapé de chez mes grands-parents malgré la réunion familiale bruyante, je sursaute soudainement lorsque je sens une main posée sur mon épaule. J'ouvre les yeux, et je vois « l'autre » penché sur moi, encore vêtu de son manteau.

    - Tu étais où ?
    - Viens avec moi Théo. Mets ton blouson.
    - Dis-moi où on va.
    - Viens... Je ne peux pas te le dire ici. Je te le dirai dans la voiture. Habille-toi.

Inquiet, je me dépêche de remettre mes chaussures et d'enfiler mon blouson. Je retourne dans la salle à manger pour prendre mon texte. Une pièce de Molière. Dans une semaine, c'est la première de mon spectacle que l'on répète depuis quelques mois avec mon cours de théâtre. Je tenais à récupérer ce livre, car je décidais qu'à partir de maintenant le théâtre ne devait jamais plus me quitter.

Lorsque nous sortons de la maison, avec encore derrière nous le bruit des festivités, j'aperçois dans l'obscurité, la voiture de mon oncle Pierre, le frère de ma mère, qui se trouve au volant et sa femme Christine, assise à ses côtés, à l'avant.

Angoissé, je sers Molière contre mon ventre. Je pense aussitôt « qu'est-il arrivé à ma maman? ». Je me précipite à l'arrière de la voiture. « L'autre » s'assied à mes côtés.

    - Tonton... Qu'est-ce qui se passe ? Pourquoi tu es avec lui ?
    - Mon chéri. C'est Sylvia... Elle est décédée, mon chéri.

Pour la première fois de ma vie, dans la promiscuité de cette voiture, je suis saisi par la brutalité de la mort. Je n'en avais éprouvé que la peur jusqu'à présent.
Lorsque je m'effondre en larmes, c'est vers l'avant, dans les bras de mon oncle que je recherche le soutien. De longues minutes se passent ainsi. Étouffant mes cris dans le bras de mon oncle. A une ou deux reprises, « l'autre » a essayé de me prendre le visage, me caresser les cheveux. Je l'ai repoussé.

Mon oncle prend la route en direction de la maison de mes grands-parents maternels. Malgré mon bouleversement, je ne comprenais pas pourquoi « l'autre » était dans la voiture avec nous. Mais, glacé par le chagrin, je ne posais aucune question.

Lorsque nous pénétrons chez mes grands-parents, l'ambiance macabre en était très frappante tant les lumières étaient tamisées. Presque toute la famille est réunie. Ma grand-mère, allongée. Pâle. Méconnaissable. A son chevet, ma mère, le visage près du sien, les yeux fermés. Les lèvres pincées pour ne pas s'effondrer. Ma soeur, adossée contre un mur, aux côtés de mon grand-père, qui se tient la tête baissée. Mes quatre petites cousines, les filles de Pierre, dont la plus jeune dénote complètement par sa vitalité et son sourire. Tristesse et silence. « L'autre » est ici, avec nous, et tous n'avons le coeur à poser la moindre question de cette présence anormale. L'importance de ce décès lui permettait beaucoup de choses. Le drame était le décès de Sylvia, pas celui du divorce de Myriam. Pas celui des violences que nous avions subis.

Les jours qui ont suivis, "l'autre" a renoncé à me garder avec lui, disant que ma place était auprès de ma famille, à ce moment-là.
Mais ce que nous ne savions pas, c'est que lui aussi allait être présent, comme s'il redevenait un membre de cette famille. L'opportunité du décès, de l'enterrement était une occasion pour lui de revenir auprès de ma mère. Tel un phasme monstrueux, il parvenait à se rendre aux réunions familiales, faussement concerné par la douleur de notre famille.

    - Je suis là pour toi... et les enfants, Myriam.
    - Je ne comprends pas ce que tu veux.
    - J'aimais beaucoup ta soeur.
    - Après l'enterrement, je ne veux plus te voir. C'est compris ?

Chaque opportunité était bonne pour lui, soit lui tenir la main, soit pour la prendre par les épaules. Discrètement. Vicieusement.

Il essaye de revenir.


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