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S’il te plaît, dessine-moi l’Amérique…

Publié le 16 avril 2008 par Jean-Philippe Immarigeon

Jamais la couverture médiatique des élections présidentielles américaines n’aura été aussi importante en France, et surtout si tôt dans la campagne. Une élection qu’on nous annonce d’ores et déjà pliée, puisque si nous votions le prochain président s’appellerait Obama. Le problème c’est que ce sont les Américains qui vont voter, pas les Français. C’est idiot mais c’est comme ça.

A y regarder de plus près ce n’est pas d’Obama dont parlent les Français, sinon ils ne loueraient pas un homme dont le seul programme de politique étrangère est d’envoyer davantage de troupes en Afghanistan et d’entraîner les Européens dans les zones tribales pakistanaises « comme nous aurions dû le faire dès le début » aime-t-il à répéter, lui qui se dit par ailleurs « l’instrument de la volonté de Dieu ». Ce dont parlent les Français est de « leur » Amérique perdue le soir du 11 septembre 2001. Le désir d’Obama n’est que le désir d’une Amérique idéalisée, la seule concevable qui reste celle de Capra ou de Kérouac, tandis que celle de Bush et de Fox News est une parenthèse qui va se refermer en novembre prochain. Il semble que nous vivions depuis huit ans la perte d’un être cher dont nous ne parvenons pas à faire le deuil, nous accrochant à tout ce qui peut ressembler à une lueur d’espoir. L’obamania n’est que l’expression de cet apriorisme sur la supposée vraie nature de l’Amérique, même si tout nous montre que la politique de Bush plonge ses racines dans l’histoire américaine.

Une histoire qui commence en 1620 avec le Mayflower, une histoire qui est celle d’une Amérique paternaliste et autoritaire telle que la décrivait déjà Tocqueville dans Démocratie en Amérique, profondément marquée par le puritanisme égalitariste des origines qui reste « le mot de la grande énigme sociale que les États-Unis présentent au monde de nos jours », et où l’Etat protecteur vous « ôte entièrement le trouble de penser ». C’est ce modèle sécuritaire qui a forgé l’Amérique et surtout qui offre la seule grille de lecture capable de la comprendre depuis les attentats de 2001, elle qui se croit depuis toujours assiégée par un monde historique que ses fondateurs ont fui.

C’est bien cette Amérique-donjon que nous recherchons depuis deux siècles, c’est celle qu’admire Nicolas Sarkozy et dont il veut transposer le modèle en France. Et le candidat Obama répond à cette attirance. Son élection rendrait le mythe américain de nouveau acceptable et nous précipiterait dans les bras d’une Amérique qui serait vue en capacité de reprendre en mains les affaires d’une planète à la dérive, tant il est vrai qu’il est reposant de croire en l’hyperpuissance américaine même si c’est pour s’en plaindre ensuite.

Malgré l’évident antagonisme de nos valeurs, démontré un peu plus chaque jour par les positions américaines dans tous les domaines, les Français restent incapables de remettre en cause le discours sur la supposée civilisation commune atlantique (voire atlantiste). Alors ils font déjà semblant de croire que les choses s’arrangent avec un Bush en fin de mandat, alors qu’elles ne font qu’empirer. Ainsi lorsque le gouvernement américain annonce que la peine de mort sera requise contre six détenus de Guantanamo appelés à être jugés par les tribunaux militaires d’exception institués par le Congrès, personne ne semble en être choqué en France. Ou lorsque le Département d’Etat demande à tous ses services consulaires de faire le parallèle avec le procès de Nuremberg, assimilant explicitement le 11 septembre 2001 avec le génocide des juifs et participant de la victimisation de l’Amérique à l’œuvre depuis les attentats, les Français préfèrent se persuader que celle-ci comprend enfin le monde alors même qu’elle ne fait que s’enfoncer davantage dans son retranchement et dans ses phantasmes.

Les Français sont avec l’Amérique comme le petit prince avec sa rose, qui n’a de réalité que parce que l’enfant pense à elle. Mais il l’a tellement sublimée que d’éventuelles retrouvailles – dont Saint-Exupéry ne nous dit prudemment rien – ne peuvent être que calamiteuses, contreproductives et sans lendemain, que le nouveau président se nomme Obama ou McCain. Certes l’Amérique aura été durant deux siècles notre rose, une fiction utile en ce sens qu’elle aura recadré un vieux continent par moments égaré. Mais maintenant il faut que les Français fassent comme le petit prince aura dû faire avec sa rose : la mettre dans un coin de notre mémoire et « l’oublier » pour passer à autre chose.


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