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« La Religieuse » de Guillaume Nicloux

Publié le 19 avril 2013 par Alex75

« La Religieuse » de Guillaume Nicloux

« La Religieuse », c’est le dernier film de Guillaume Nicloux, deuxième adaptation cinématographique du célèbre roman-mémoires achevé vers 1780 par Denis Diderot, et publié à titre posthume, en 1796.

Au XVIIIe siècle, une jeune fille nommée Suzanne Simonin est contrainte par ses parents de prononcer ses voeux au terme de son noviciat. En effet, pour de prétendues raisons financières, ceux-ci ont préféré enfermer leur fille au couvent. C’est en réalité parce qu’elle est une enfant illégitime et que sa mère espère ainsi expier sa faute de jeunesse. C’est dans la communauté des clarisses de Longchamp qu’elle rencontre la supérieure de Moni. Celle-ci, une mystique, se lie d’amitié avec la jeune fille avant de mourir. La période de bonheur et de plénitude s’achève pour l’héroïne avec l’arrivée d’une nouvelle supérieur : Sainte-Christine. Au courant que Suzanne désire rompre ses voeux et que pour ce faire, elle a intenté un procès à la communauté, la supérieure opère un véritable harcèlement moral et physique sur Suzanne. L’infortunée subit de l’ensemble de la communauté, à l’instigation de la supérieure, une multitude d’humiliations physiques et morales.

En perdant son procès, Suzanne est condamnée à rester au couvent. Cependant son avocat, Maître Manouri, touché par sa détresse, obtient son transfert au couvent Saint-Eutrope. Au terme de son calvaire, Suzanne pardonne à ses bourreaux tout en continuant à poursuivre ses réflexions éminemment subversives sur le bien-fondé des cloîtres et de l’univers conventuel. Son arrivée dans la communauté de Saint-Eutrope marque le début de l’épisode le plus fameux de « La Religieuse ». En effet, cette période est caractérisée par l’entreprise de séduction de la supérieure à son égard. Celle-ci sombre dans la folie devant l’indifférence et l’innocence de la chaste Suzanne. Consciente de la dangerosité de ses désirs pervers qu’elle ne peut refouler, elle se livre aux macérations et au jeûne avant de mourir démente. Incapable de rester plus longtemps cloîtrée, Suzanne réussit à s’enfuir du couvent. Dans une conclusion à peine esquissée, l’auteur nous fait comprendre que Suzanne dans la clandestinité attend l’aide du marquis de Croismare et vit dans la peur d’être reprise.

Diderot fait ainsi le procès des institutions religieuses coercitives  - dans le contexte de l’époque -, contraires à la véritable religion dans la mesure où elles mènent les individus aux souffrances terrestres et à la damnation éternelle. Le monde clos entraîne ainsi la dégradation de la nature humaine. Oeuvre anticléricale par excellence, « La Religieuse » se veut telle une ode à la liberté de choisir son destin. L’aliénation religieuse créée par l’univers conventuel y est dénoncée de manière polémique. Diderot prête sa voix et ses idées sur le couvent à Suzanne, qui, contrairement à l’auteur, est une croyante convaincue. Ce sujet aura ainsi inspiré deux cinéastes, Jacques Rivette, en 1966, et aujourd’hui Guillaume Nicloux, au travers de deux films passionnants. Lorsqu’au milieu des années 60, Jacques Rivette réalise son deuxième long métrage, « Suzanne Simonin, la religieuse » de Diderot, c’est le scandale lors de sa sortie, si bien que la programmation officielle en fut repoussée jusqu’en 1967. De son côté, Jacques Rivette a toujours affirmé qu’il n’était pas tant intéressé par la provocation en soi que par un questionnement légitime sur l’enfermement volontaire lié au couvent. En cela, le film de Jacques Rivette rejoint celui de Guillaume Nicloux, dont c’est tout le propos, qui a voulu faire de son adaptation du texte de Diderot une oeuvre moins anticléricale qu’une « ode à la liberté ». La structure des deux films reste relativement fidèle au récit de Diderot. L’injustice de cet enfermement involontaire est vécue différemment chez les deux héroïnes, des deux adaptations.

Chez Rivette, le personnage de Suzanne Simonin (incarnée par Anna Karina) semble, comme chez Diderot, moins farouchement rebelle que chez Nicloux. Pauline Etienne, elle, semble tenir tête plus ouvertement à l’institution. Ainsi, son regard, aussi doux soit-il, trahit-il en permanence cette détermination. Sur le plan des mises en scène respectives, celle de Jacques Rivette trahit son sens de la théâtralité, installant son récit dans une atmosphère anxiogène, alimentée par des éclairages tranchés et une maîtrise du son. Chez Nicloux, c’est au contraire une nature très graphique qu’exalte le réalisateur. Les deux réalisateurs ont en commun d’utiliser de nombreux éléments rappelant la symbolique de l’enfermement, des grilles et autres garde-fous de fonte, recadrant l’image en permanence. Mais les deux films se dégagent d’emblée du péril du film classique en costumes. L’adaptation de Rivette apparaît à l’époque, même comme une oeuvre manifeste dans la lignée de la Nouvelle Vague. « Ce film n’attaque pas les religieuses, expliquera le réalisateur, il n’attaque même pas la religion. Il attaque une certaine société qui est celle du XVIIIe siècle, il s’attaque à un certain état de fait qui est, en principe, aujourd’hui totalement dépassé ». Guillaume Nicloux s’inscrit également dans l’universalité du propos de Diderot. Malgré une fin différente de celle de Rivette, où Suzanne finit par mettre fin à ses jours, il s’agit, ici, avant tout de la lutte d’une jeune femme face à l’autorité, une influence familiale et d’un milieu social, le refus de se résigner.

                                                                                                                                      J. D.

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