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Âmes du désert

Publié le 24 avril 2013 par Pascal Boutreau

Logo-mdsDernier retour sur le Marathon des Sables. J’insiste peut-être beaucoup sur cette course, mais le MDS est une épreuve à part. Parce qu’elle a une histoire, parce qu’elle a une âme. Bien sûr le côté grand barnum peut légitimement déranger les puristes plus sensibles aux courses en petit comité. Le MDS, c’est 1500 personnes qui se déplacent chaque jour de bivouac en bivouac. Un gros village qui part chaque matin en caravane à renfort de 4x4 et de gros camions militaires. Forcément, pour l’isolement, on a trouvé mieux. Mais au-delà de cette dimension, il faut aller chercher les petites histoires pour comprendre le côté fascinant de cette semaine passée dans le Sahara, dans ces provinces du sud Maroc. Des histoires qui chaque jour sur la ligne d’arrivée vous font verser quelques larmes sur ces terres desséchées.

En premier lieu, il y a d'abord ces coureurs. Avec leur vécu, avec parfois des motivations très personnelles qui les ont portés jusqu'à ce bivouac, jusqu'à cette aventure qu'ils savent extrême mais dont ils espèrent parfois qu'elle changera leur vie. Difficile d’être exhaustif tant les motivations sont diverses. Impossible également de connaître chacune des histoires. Voilà quelques exemples qui m’ont marqué cette année.

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Pour moi, le plus grand exploit de ce 28e MDS est celui réalisé par le Marocain Mohamed Lahna. Mohamed est né avec une malformation de la jambe droite et un pied qui a poussé au niveau du genou. Depuis de nombreuses années, il vit avec une prothèse. Pas question pourtant pour lui de se priver de ses rêves. Déjà auteur de la traversée du détroit de Gibraltar à la nage, il avait cette fois décidé de prendre le départ du MDS avec sa lame en guise de jambe droite. Pour franchir les dunes sans s'enfoncer, il avait mis au point une sorte de raquette en plastique dans laquelle il incrustait sa lame. Un pari complètement fou, insensé. Pure hérésie pourraient même penser certains. Kilomètre après kilomètre, dune après dune, Mohamed a franchi tous les obstacles. Parfois à la limite des barrières horaires les premiers jours, il a ensuite trouvé un rythme de croisière pour l’amener jusqu’à la banderole d’arrivée et recevoir la médaille de finisher. (je me dois de citer ma collègue Marine qui me signalait très judicieusement qu'il était moins exposé aux ampoules au pied que les autres concurrents... 

Parti vivre aux Etats-Unis depuis un an, ce désigner graphique de formation se consacre désormais pleinement à sa pratique sportive. Son objectif : les jeux Paralympiques de Rio en 2016 où il ambitionne de disputer l’épreuve de triathlon dont il fut vice-champion du monde de sa catégorie en 2011. « Ma participation au Marathon des Sables doit aussi faire passer le message que malgré le handicap, il ne faut pas se limiter, ne pas avoir peur et continuer à aller de l’avant. » Message reçu.

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Didier Benguigui, malvoyant, et Gérard Marras non voyant, étaient au départ de ce 28e MDS. Une première pour Gérard, accompagné des filles de l'association "Je Cours pour toi". Pour Didier, guidé par Gilles (photo ci-contre), il s'agissait en revanche de sa 10e participation. Sur son bras gauche, Didier Benguigui montre avec plaisir son tout nouveau tatouage. Le logo du Marathon des Sables entouré de neuf étoiles. La dixième étoile avait déjà été payée à la tatoueuse qui a pu finir son œuvre quand Didier a bouclé son dixième MDS. Victime d’une maladie dégénérescente qui réduit peu à peu sa vision (il ne distingue plus que les couleurs), Didier est guidé par Gilles Clain. Pour réussir sa performance, Didier s’entraîne énormément. « Autant que les premiers pour pouvoir terminer dernier, rigole-t-il. Je dois notamment beaucoup travailler ma souplesse car je trébuche forcément beaucoup et je me cogne de partout. J’ai mal au dos, aux pieds etc. A chaque fois que je termine, j’en suis même étonné. » L'arrivée de Didier et Gilles, lors de l'ultime étape restera un moment particulièrement émouvant. La nuit était tombée depuis bien longtemps. Au loin, les voitures des commissaires, phares allumés et klaxons enclenchés, ont longtemps accompagné les derniers. Puis, à trois cents mètres de la ligne, ils se sont écartés laisant Didier, Gilles et deux autres concurrents finir seuls. Ou presque. Tout le bivouac les attendait pour leur offrir une arrivée de héros, simplement éclairés par les lampes frontales des 1000 coureurs. Une ovation sans doute perceptible loin dans le désert. Des applaudissements, des cris et surtout des larmes. Tellement intense.

Je veux aussi souligner l’attitude de Vincent Delebarre lors de la longué étape de 75km. Vincent est un des meilleurs traileurs du monde, vainqueur notamment de l’UTMB et de la  Diagonale des Fous, deux des courses les plus dures au monde. Dans le top 10 au matin de cette longue étape, il a connu une journée sans, sentant très vite qu’il n’était pas dans le coup. Dans ces cas là, la plupart des champions, peu habitués à courir dans l'anonymat du peloton, préfèrent renoncer. Vincent a poursuivi sa route partageant les mêmes « galères » que les anonymes. Normal me direz-vous. Certes mais rare pour ces champions. Il a franchi la ligne d’arrivée au 216e rang. Mais il est allé au bout et lui aussi a gagné sa médaille de finisher.

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Parmi les images fortes qui me viennent comme ça, il y a aussi ce coureur coréen, d’un certain âge (70) qui arborait sur son sac la photo peut-être d’une famille, peut-être d’amis et qui chaque jour marchait avec toujours le même visage, la même expression. Cet homme n’était visiblement pas là pour « simplement » « dépasser ses limites ». Chaque jour, il semblait accomplir une mission, sa mission. J’aurais aimé pouvoir parler avec lui, comprendre le pourquoi de cette profondeur qui transpirait à chacun de ses pas et de ces regards. Plus insolite, ce Japonais qui a couru toute l’épreuve dans un costume de vache. Pourquoi ? Aucune idée, mais au regard de la chaleur (41° à l'ombre certains jours... mais il n'y a pas d'ombre), là aussi une sacrée performance. 

D'autres histoires alimentent également la légende du MDS. Quelques exemples. Chaque matin résonne au moment du départ « Highway to hell », le tube d’ACDC. Highway to hell ça veut dire autoroute vers l’enfer. Quand on sait ce qui attend chaque jour les coureurs, on pourrait penser que le choix de ce titre se justifie simplement par sa signification. Pas vraiment. Highway to Hell, c’était le titre favori d’un bénévole qui de nombreuses années s’occupait de la sono sur la course. Ce bénévole est mort il y a quelques années et c’est aussi pour lui rendre hommage qu’ACDC accompagne chaque matin les premières foulées des coureurs. Dans le même registre, chaque année, la course passe près d’un point GPS en plein cœur du désert où on été dispersées les cendres d’un autre bénévole décédé il y a quelques années. Un hommage également parce que le MDS a de la mémoire et n'oublie pas ceux qui ont un jour contribué à son histoire.

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Des paysages aussi. Le CP 4 de la longue étape m’a sans doute offert l’un des plus beaux panoramas 360 de ma vie. Un mélange de couleurs, de terrains avec ce grand cordon de dunes et au loin, les montagnes. Là-haut, je me suis offert un petit moment de paix, de réflexion. Instant précieux.  

Et dans ces paysages des rencontres comme cette mère et sa fille autour d'un puit planté au milieu du désert. 

Je tiens enfin à clore cet épisode Marathon des Sables 2013 par quelques remerciements.

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Merci à Stéphanie (Agence Ligne Bleue) de m’avoir à nouveau intégré dans son équipe presse. Travailler avec Stéphanie est juste un régal. Grâce à sa faculté à toujours garder le sourire malgré les 438765 questions qui lui sont posées à la minute, Steph a ce don pour créer une ambiance unique au sein de cette Dream Team Presse. Merci donc à Véro Bury (ah Véro, si il y a 15 ans quand tu es arrivée au vivier de L’Equipe on nous avait dit qu’on se retrouverait un jour dans le désert…), à Pauce, Erik et Valentin, les trois photographes au grand talent, à la si douce Kate bien évidemment traductrice de nos proses toute heureuse de quitter son Angleterre natale pour découvrir à quoi pouvait bien ressembler le soleil. Plein plein de pensées à toi Kate. Merci à Brahim, notre chauffeur, THE chauffeur présent sur le MDS pour la 24e fois et dont le sens de la piste n’a d’égal que sa sympathie. Brahim où comment se repérer au milieu de nulle part grâce à un arbre, une montagne, ou une dune.

Merci enfin à Nardo et Zitouni. Ils sont la mémoire du Marathon des Sables. Les entendre raconter chaque soir sous la mythique tente 10 du MDS toutes les anecdotes qui ont un jour marqué l’histoire du MDS était pour moi, amoureux de l’histoire du sport, un vrai moment de bonheur.  

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Et le dernier MERCI (en gros) est adressé à Patrick Bauer, l’organisateur de cette épreuve depuis 28 ans. Patrick est sans doute le seul organisateur a être capable de rester 9 heures non stop sur une ligne d’arrivée pour passer la médaille de finisher autour du coup de tous les concurrents, du premier au dernier. Pour avoir eu l’idée de cette course, pour ta passion, pour nous offrir des moments de bonheur simple et pur, et surtout pour permettre à tous ces coureurs d’aller au bout de leur rêve, merci Patrick. Merci Monsieur.   


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