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Mélenchon : la grenouille qui voulait devenir aussi grosse que le bœuf

Publié le 26 avril 2013 par Sylvainrakotoarison

Tirades bien construites, ton assuré, regard parfois arrogant, mot souvent pour rire, mais aussi beaucoup de contradictions et un certain enfermement dans son propre discours. Au final, une belle comédie, bien rythmée, avec ses moments de communion et ses moments de tension. Et un bon client pour une émission politique.

yartiMelenchon13A01La dernière émission de David Pujadas, "Des paroles et des actes", diffusée en direct sur France 2 le jeudi 25 avril 2013 fut incontestablement un moment médiatique important de la semaine. Pour invité, Jean-Luc Mélenchon, l’ancien candidat à l’élection présidentielle du Front de gauche.

Un one-man-show qui n’a pas manqué de sel

Je l’avais cru un peu plus courtois que d’habitude au début de l’émission, mais très vite, il est revenu avec ses attitudes à la limite de la politesse, comme la remarque un peu désobligeante quand il a appris que Jacques Attali allait être un de ses contradicteurs (« C’est tout ce qu’ils ont trouvé au parti socialiste ? ») ou ce mépris en appelant le journaliste François Lenglet par un impérieux « Lenglet » très tendance Georges Marchais, repris par sa proie qui lui a imposé du « Monsieur Lenglet ». Un adolescent à qui on explique les bonnes manières, qu’il faut dire bonjour au monsieur.

Évidemment, Jean-Luc Mélenchon est un très bon débatteur, a des idées originales, a du talent pour les exposer, mais la ficelle était un peu grosse durant cette (trop) longue émission : il semblait réciter (bien) des leçons qu’il avait lui-même apprises et le dialogue était peu constructif. D’ailleurs, non seulement il était incapable d’écouter son interlocuteur, non seulement il le coupait sans arrêt, mais il cherchait surtout à amuser la galerie, le pire, sans doute, étant de reprendre Jacques Attali sur la fable du scorpion qui piquait une tortue, la version mélenchontesque étant avec une grenouille, contradiction complètement inutile qui n’apportait rien au fond sinon faire diversion sur ses propres contradictions.
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Lui-même a répété plusieurs fois que ce type d’émission était "physique" en oubliant que s’il parlait un peu plus calmement, un peu plus posément, il se fatiguerait physiquement sans doute un peu moins. Mais cette véhémence fait partie (attachante) du personnage, tout en passion pour le débat politique et en exaltation pour sa "poésie" (esquissant parfois du second degré pris pour du premier degré).

Malgré ces petits défauts, Jean-Luc Mélenchon a mené une émission qui a pu toucher le fond des choses, avec certaines idées intéressantes et même, certaines convergences parfois imprévisibles.

L’amnistie des syndicalistes

Le premier sujet concernait l’amnistie des condamnations de syndicalistes qui avait été votée au Sénat et qui a été rejetée par le gouvernement mercredi. Visiblement, il a pris ce sujet à cœur et était complètement écœuré du revirement du gouvernement.

Pourtant, on pourrait comprendre ce changement de pied. Le gouvernement, au contraire, a été sage en ne donnant pas prise au laxisme dans un climat de corruption et d’impunité généralisée, mais aussi, de répression assez musclée dans les manifestations contre le mariage pour les couples homosexuels.

Accepter cette amnistie, ce serait faire deux poids deux mesures dans une société qui doute déjà de sa justice. La saisine du Conseil supérieur de la magistrature annoncée par Christiane Taubira au Sénat le jeudi après-midi à propos du "mur des c*ns" dans un local du Syndicat de la magistrature (où Manuel Valls était épinglé parmi d’autres personnalités plutôt de droite mais aussi des pères d’enfants victimes d’horribles meurtres) allait également dans ce sens raisonnable.

Mais le problème, c’est que Jean-Luc Mélenchon y croyait très fort et avait promis à ses fidèles que cette loi d’amnistie pourrait être adoptée. Sur le fond, c’est absolument insoutenable et je me demande encore aujourd’hui comment il a pu réunir une majorité de sénateurs.

Ce qui a meurtri Jean-Luc Mélenchon, c’est que c’était une promesse personnelle du Président François Hollande lorsqu’il l’avait rencontré en tête à tête juste après son élection. Tout en convenant qu’il est toujours très difficile d’avoir une discussion suivie avec François Hollande, en ajoutant pour la galerie : « Tout le fait rire ! ».

Plus grave, c’est l’intimidation envers les députés (de gauche). Jean-Luc Mélenchon, en effet, veut faire pression sur les députés pour qu’ils votent cette amnistie malgré la consigne présidentielle, en les menaçant d’aller les faire battre jusque dans leurs villages s’il le fallait. Ce n’est pas très "républicain", lui qui aime tant se le revendiquer. Ni très "démocrate".

Premier Ministre de François Hollande ?

Si Jean-Luc Mélenchon a raison de parlé de situation d’urgence, il a tort lorsqu’il dit ne pas vouloir attendre 2017. C’est pourquoi il s’imaginerait aisément comme le prochain Premier Ministre, chargé de négocier un virage à gauche dans le quinquennat. Tout de suite !

Cette idée montre à l’évidence que Jean-Luc Mélenchon est encore un adolescent, prenant ses rêves pour des réalités. Car le Front de gauche ne représente pas grand chose dans l’opinion publique. Électoralement, seulement 11,1% le 22 avril 2012, et la dernière législative partielle (2e circonscription de l’Oise), le candidat FG n’a obtenu que 6% le 17 mars 2013 malgré une situation qui aurait pu être plutôt profitable à ce parti (notamment avec les fermetures d’usine).

Dans son travail de sape, Jean-Luc Mélenchon a cité plusieurs l’interview du jour dans le journal "Le Monde" de Claude Bartolone, Président de l’Assemblée Nationale, qui souhaiterait, lui aussi, un changement de cap (donné comme l’un des premiers ministrables, Claude Bartolone prépare donc les mentalités).

Et c’est encore plus étonnant de s’imaginer Premier Ministre de la Ve République, en citant très justement l’article 20 de la Constitution, alors qu’il a appelé à manifester le 5 mai 2013 pour l’avènement d’une hypothétique 6e République au contenu aussi flou que sa politique économique (idée marketing initiée d’ailleurs par Arnaud Montebourg). De toute façon, ce ne sont pas les institutions qu’il faut changer, c’est la mentalité d’impunité des hommes qu’il faut changer.

L’économie comme un radiateur

Jean-Luc Mélenchon a utilisé une étrange métaphore pour parler de l’économie nationale : il voudrait la purger comme on purge les radiateurs. Ponctuellement, on retire de l’air. Sauf que… ce n’est que du "y a qu’à". Éliminer la dette publique, alors que son interlocuteur économique lui a rappelé que chaque semaine, l’État français emprunte 8 milliards d’euros sur les marchés financiers. Refuser le remboursement de la dette, c’est non seulement s’empêcher tout déficit budgétaire (donc, un tour de vis bien plus draconien que maintenant), mais c’est aussi ruiner de nombreux Français qui sont porteurs de la dette.
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Le leader du Front de gauche a cependant assez bien vendu une idée qu’il considère comme pas assez exploitée, celle de miser toute l’économie sur la mer. La mer comme l’équivalent du secteur spatial des années 1960 qui a rendu la France très compétitive dans ce domaine. Une idée d’ailleurs largement approuvée et même initiée par Jacques Attali qui a toujours estimé que ce sont les pays qui ont des grands ports qui s’en sortiront, avec le développement de la globalisation des échanges. Jean-Luc Mélenchon y voit surtout de nouveaux territoires écologiques à conquérir (éoliennes etc.) puisqu’il n’y a plus de terres vierges.

Jean-Luc Mélenchon n’a pas répondu sur les avantages de la concurrence, entre des abonnements téléphoniques à la baisse à cause du marché concurrentiel, et des lunettes qui coûtent 250 euros plus cher que la moyenne européenne à cause d’absence de situation concurrentielle. Il a surtout évoqué le lieu de fabrication des téléphones eux-mêmes (alors que la question portait sur l’abonnement) mais il a eu l’honnêteté de dire qu’il ne connaissait rien au marché des lunettes, tout comme il a douté, sur une question sur la politique familiale du gouvernement, que Liliane Bettencourt reçoive encore des allocations familiales (à la baisse pour les plus riches).


Débat avec Jacques Attali

Jacques Attali, essayiste, énarque, ancien conseiller spécial de François Mitterrand, "intellectuel de gauche", "mondialiste", a commencé le débat avec beaucoup de prudence en flattant l’ego de Jean-Luc Mélenchon, en lui disant qu’il appréciait sa vision du monde, que ses idées étaient intéressantes, etc.

Mais c’était pour dire ensuite que ne pas rembourser la dette publique, ce n’était pas crédible. Que si Jean-Luc Mélenchon, au gouvernement, annonçait cela, la réaction internationale serait …un éclat de rire ! Et la première victime serait évidemment la France qui ne pourrait plus emprunter et qui devrait donc renforcer l’austérité pour avoir un budget équilibré (on peut se permettre de s’isoler du monde seulement si on n’a besoin de personne d’extérieur).
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Du coup, le clivage a pu être posé correctement. Pour Jacques Attali, il n’existe que trois manières de rembourser la dette publique : par la croissance, par la guerre ou par l’inflation. Jean-Luc Mélenchon lui a alors fait ajouter une quatrième manière qui ne marchait pas et qui, pourtant, serait en cours, l’austérité.

La guerre est évidemment exclue, et Jean-Luc Mélenchon a été très clair ; lui, il choisirait l’inflation. Cela a donc eu le grand mérite de clarifier sa politique, ses électeurs sont prévenus. Car pour Jacques Attali, l’inflation serait une catastrophe pour les plus pauvres, surtout si elle n’était décidée qu’en France et pas en Europe.

Jacques Attali a fait d’ailleurs un rappel intéressant. L’inflation avantage les jeunes (moins de 40 ans) car ils n’ont encore aucune épargne et surtout des dettes. En revanche, à partir de 40 ans, ils commencent à avoir un patrimoine et préfèrent le moins d’inflation possible. C’est la génération des seniors qui gouverne actuellement, d’où la raison pour laquelle la limitation de l’inflation est son premier objectif depuis quelques temps.

La fin du débat a été beaucoup moins douce. En conclusion, juste avant de quitter le plateau de télévision, Jacques Attali a donc résumé en disant que les mesures que préconisaient Jean-Luc Mélenchon étaient valables seulement à l’échelle européenne (ce qui supposerait aussi de construire une Europe politique ; lui verrait un intérêt à créer un autre parlement européen spécifiquement pour la zone euro). Et de terminer en disant que si c’était appliqué seulement en France, le pays deviendrait comme …la Corée du Nord ! Jean-Luc Mélenchon a trouvé le coup dur car il n’a même pas pu lui répondre sur la Corée du Nord.

Moralisation de la vie politique

Jean-Luc Mélenchon a excellé sur l’affaire Cahuzac en fustigeant les mesures proposés au conseil des ministres du 24 avril 2013. Il a trouvé (avec raison) révoltant que sous prétexte de la faute d’un seul ministre, François Hollande ait répandu la suspicion sur tous les élus. Il a employé une expression très forte : « loi des suspects ». Pour lui, ce qui compterait, ce serait de publier la liste des trois mille Français qui auraient des comptes dans des paradis fiscaux. Il s’est lui-même résolu à publier son patrimoine uniquement pour éviter cette suspicion généralisée et couper court aux rumeurs le concernant, véhiculées par l’extrême droite.

Pas très clair sur le Mali

En revanche, il n’a pas été très percutant sur l’engagement des forces françaises au Mali. Il a prétendu à tort que cette intervention n’avait aucun objectif (alors que les objectifs avaient été clairement annoncés par François Hollande dans son allocution télévisée du 11 janvier 2013), a laissé entendre que c’était un mensonge d’avoir parlé de "surprise" de l’avance islamiste vers la capitale etc. et je n’ai toujours pas compris pourquoi il a refusé de répondre à la question pourtant répétée plusieurs fois : est-il d’accord ou pas avec cette intervention au Mali ?

Débat avec Benoist Apparu

Ancien Ministre du Logement du Président Nicolas Sarkozy, Benoist Apparu a fait une prestation excellente face à Jean-Luc Mélenchon. Il a certainement gagné ses galons de grand débatteur à cette occasion, un peu à la surprise de son contradicteur qui ne l’imaginait pas si incisif.

Benoist Apparu a mis le doigt sur le véritable talon d’Achille de ce que propose Jean-Luc Mélenchon. Tout le discours du leader du Front de gauche a été de parler de créer un rapport de forces favorable. Pour convaincre les Allemands, les Européens, de la pertinence d’un changement de cap. Il a d’ailleurs mis la France dans le camp des pays du Sud européen (et a évoqué la proximité de la France avec le Maghreb).
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Benoist Apparu a d’abord laissé avancer son interlocuteur : oui, l’écart entre Nicolas Sarkozy et François Hollande au second tour du 6 mai 2012 était très faible, de l’ordre du million de voix, donc, oui, l’apport des voix du Front de gauche a été décisif pour la victoire de François Hollande. Et là, évidemment, déception de Jean-Luc Mélenchon puisqu’il n’a rien obtenu. Pas même l’amnistie pourtant promise "les yeux dans les yeux".

En écoutant cela, l’ancien ministre sarkozyste souriait. Sa démonstration était faite. Il n’avait plus qu’à ramasser les fruits. Benoist Apparu a donc résumé les choses : en somme, Jean-Luc Mélenchon veut imposer aux Européens un rapport de forces pour imposer sa politique économique inflationniste en 2013 …alors qu’en 2012, il n’a même pas été capable d’établir un rapport de forces convenable avec François Hollande ! Bref, tout ce discours sur ces rapports de forces au sein de l’Europe est aussi réaliste que le Père Noël.

L’argument est très convaincant : s’il n’a pas été capable de convaincre François Hollande, comment pourra-t-il convaincre à la fois Angela Merkel et David Cameron ?

Très étrangement, Jean-Luc Mélenchon s’est laissé distancer dans ses échanges avec Benoist Apparu qui s’est donc montré redoutable. Nul doute que ce dernier s’en servira dans les années à venir…

Et le futur proche ?

À la fin de l’émission, Jean-Luc Mélenchon a évoqué deux rendez-vous. La rue, avec la manifestation "coup de balai" (terme qu’un correspondant à Paris d’une agence de presse italienne a désigné comme "grilliste", du nom de Beppe Grillo) du 5 mai 2013, où il a tablé sur 100 à 200 000 manifestants, disant qu’avec ce nombre, le gouvernement devrait l’écouter (le million de participants à la "manif pour tous" des 13 janvier et 24 mars 2013 contre le "mariage pour tous" ont dû sourire).

Enfin, les élections européennes de 2014 où il a prédit que le Front de gauche devancerait le PS (eh alors ? EELV a fait jeu égal avec le PS le 7 juin 2009, autour de 16%, et aujourd’hui, les écologistes ne valent plus grand chose à la bourse électorale, 2 à 3%).

Numéro bien rodé

Bref, la prestation de Jean-Luc Mélenchon a été un spectacle à part entière. Il a su une nouvelle fois exploiter son talent verbal mais ressemble un peu à un adolescent qui n’a pas encore vu qu’un monde extérieur existait autour de lui. Incapacité à laisser les autres parler, incapacité à admettre ses propres contradictions, incapacité à préciser concrètement les mesures qu’il préconiserait s’il avait le pouvoir.

Après Georges Marchais, après Arlette Laguiller, nul doute que les Français vont continuer à garder de la franche sympathie pour le personnage flamboyant de Jean-Luc Mélenchon. En revanche, pour la plupart, ils ne leur confieraient certainement pas leur argent …ou leur voix.

Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (26 avril 2013)
http://www.rakotoarison.eu

Pour aller plus loin :
Débat Mélenchon vs Cahuzac (7 janvier 2013).
Débat Mélenchon vs Copé (17 novembre 2011).
Débat Mélenchon vs Marine Le Pen (14 février 2011).
Mélenchon, allié objectif de Sarkozy (24 mars 2012).
Mélenchon sur TF1 (5 mars 2012).
yartiMelenchon13A06
http://www.agoravox.fr/actualites/politique/article/melenchon-la-grenouille-qui-134882



 


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