Une belle araignée des jardins, ma foi, le ventre en gousse d'ail, barré d'une croix historiée. Elle dormait ou chassait, le jour, sur sa toile tendue au plafond de la chambre à coucher. La nuit,
vers trois heures, au moment où l'insomnie quotidienne rallumait la lampe, rouvrait le livre au chevet de ma mère, la grosse araignée s'éveillait aussi, prenait ses mesures d'arpenteur et
quittait le plafond au bout d'un fil, droit au-dessus de la veilleuse à huile où tiédissait, toute la nuit, un bol de chocolat. Elle descendait, lente, balancée mollement comme une grosse perle,
empoignait de ses huit pattes le bord de la tasse, se penchait tête première, et buvait jusqu'à satiété. Puis elle remontait, lourde de chocolat crémeux, avec les haltes, les méditations
qu'imposent un ventre trop chargé, et reprenait sa place au centre de son gréement de soie...
Colette - La maison de Claudine