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Réglage émotionnel

Publié le 02 mai 2013 par Prland

J’ai été mal réglé à la naissance. Un déséquilibre de poids émotionnel, beaucoup trop faible à l’oral, beaucoup trop fort à l’écrit. J’ai ça depuis toujours. J’ai tenté des expériences, qui continuent encore pour la plupart, pour tenter de corriger ce défaut d’origine. Je n’y parviens que par petites touches, la route reste longue. Quelque chose me dit que ce billet ne va pas aider…

the baby in the arms of father shot

Captiver une audience: ce talent qui s’apprend… juste un peu

Après le théâtre, ma thérapie pour m’exprimer mieux devant une audience, qu’elle soit d’une ou de 300 personnes, a consisté à choisir un métier dans la communication, plus exactement les RP. Un métier qui, dans les années 90, s’exerçait principalement au téléphone, le medium thérapeutique par excellence. Celui qui oblige à exagérer les émotions pour les faire passer. Si on veut avoir l’air sympa au téléphone, on sourit, si on veut avoir l’air amusé, on éclate de rire. On force les émotions, justement tout ce que je ne savais pas faire.

Au fur et à mesure des années, j’ai appris quelques astuces qui m’ont au moins permis de « vendre » une histoire. J’ai progressé. L’ironie du sort est que je donne aujourd’hui des cours de « storytelling au quotidien » à des élèves qui s’améliorent je crois sous mes conseils, apprennent à distiller des détails, à faire monter la tension, orchestrer un début, un milieu, une fin, intégrer un enjeu, dans tous leurs sujets de conversation… Parler à la part émotionnelle de notre cerveau pour permettre à sa part rationnelle de prendre des décisions, selon la fameuse théorie défendue par le neuroscientifique Damasio dès le siècle dernier.

J’ai progressé, mais je m’ennuie toujours en parlant de moi. Ou, pire, je perds le contrôle de mes émotions. Hors il n’y a pas de bon storytelling à l’oral sans se livrer un minimum. Les gens disent poliment me trouver pudique mais la réalité est moins glorieuse : captiver une audience en m’exprimant devant elle reste un challenge qui nécessite un travail, un effort, une tension parfois douloureuse, rarement agréable en tout cas.

Se protéger derrière des mots écrits: pas si simple

On a sans doute tous un mode d’expression de prédilection. Le mien est depuis toujours l’écrit. Ado, j’écrivais de longues lettres à mes ami(e)s. Aujourd’hui encore, je leur envoie plus facilement un email que je ne leur passe un coup de fil. Dans une mécanique exactement opposée à ma relation au langage parlé, m’exposer par écrit, me dévoiler sans filtre est un acte absolument naturel. C’est dire à quel point le blog a immédiatement constitué un mode d’expression confortable pour moi.

Pour autant, cette facilité ne m’a pas exempté d’efforts. Assez vite, j’ai compris qu’il fallait que je me protège. J’ai bien senti par les réactions provoquées que la perception de mes textes dépassait mon intention : alors que je pensais ne parler que pour quelques proches et moi, des inconnus commentaient, m’écrivaient, me renvoyaient une charge émotionnelle au niveau de la mienne, supposée, dont je n’avais absolument pas conscience. Je me livrais beaucoup, quasiment par inadvertance. Je me souviens, à l’époque où j’écrivais sur lepost.fr sur les séries télé (!), de cette lectrice fidèle qui me racontait au quotidien le calvaire qu’elle vivait à la maison avec son mari. « Parce que je la comprendrais mieux que personne ». Je n’avais pas les clés pour réduire le poids de l’émotion distillée que je continue d’ailleurs à avoir du mal à réaliser aujourd’hui.

Avec l’arrivée de twitter, j’ai donc décidé que je n’y serais que léger. C’est en 140 caractères, des dizaines de milliers de fois, que j’ai répandu de la légèreté à la limite de la superficialité. Mes acolytes ont alors commencé à me renvoyer quelque chose de simple et souvent drôle. Je m’emploie à me déconnecter si je ne me sens pas d’humeur. Et je garde la plupart de mes textes pour moi : de mes publications quotidiennes sur ce blog et dans quelques médias, il n’en reste qu’un ou deux par mois. De plus en plus rarement sur mes expériences. Quand j’en écris, je tends à ne pas publier.

On fait quoi maintenant ?

Lorsque finalement, je me décide à publier un texte comme celui-ci, je suis toujours étonné qu’il puisse être lu, ne serait-ce que par une seule personne. Je ne comprends pas le processus qui fait traverser la zone des émotions d’un cerveau de lecteur potentiel. Et puis, je me pense à l’abri : qui pourrait bien s’envoyer des mots au kilomètre sur un écran d’ordinateur en 2013 ?

Mais c’est peut-être ça le secret : ne pas chercher à séduire, posture plus simple à défendre à l’écrit que dans la vie, aiderait un interlocuteur à se projeter et à créer de la proximité ? Je me demande ce qu’en aurait dit Damasio… Dans le doute et sans réponse, je me relis attentivement avant de publier pour supprimer ce qui dirait trop sur moi.

Au final, je n’ai effacé qu’un seul paragraphe de ce texte, toujours aussi peu capable de discerner ce qui relève de l’expérience partagée de ce qui frôle l’impudeur. Et je compte sur mes amis pour m’alerter quand je ne me protège pas assez. La touche « delete » n’est jamais très loin.


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