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Gaz de schiste : plaidoyer libéral vs. peur conservatrice

Publié le 02 mai 2013 par Copeau @Contrepoints

Quelle attitude adopter à l’égard du gaz de schiste : le statu quo frileux et improductif ou la gestion sérieuse des risques ? Le point sur ce sujet explosif en 7 questions clefs.

Par Philippe Bouchat, depuis la Belgique.

Gaz de schiste : plaidoyer libéral vs. peur conservatrice

C’est peu de dire que le gaz de schiste est un sujet explosif, surtout en France où le dogmatisme l’emporte sur le bon sens le plus élémentaire. Quel point de vue le citoyen libéral peut-il adopter en la matière ? C’est à cette question de plus en plus actuelle que nous allons tenter de répondre dans ces quelques lignes en étant le plus didactique possible.

1. Qu’est-ce que le gaz de schiste ?

Le gaz de schiste est du gaz naturel, plus précisément du méthane (CH4). Classiquement, les molécules de gaz migrent vers la surface pour former de grands réservoirs (les gisements conventionnels). Pour le gaz de schiste, il en va autrement : ses molécules sont enfermées dans les pores de leur roche de naissance (la roche-mère). Cette roche-mère, de nature argileuse, est très peu perméable (elle est dite récalcitrante), de sorte qu’elle doit être fracturée pour en extraire le gaz.

2. Comment extrait-on le gaz de schiste ?

Actuellement, la seule technique applicable est l’extraction par fracturation hydraulique. L’opération se déroule en trois étapes. Première étape : le forage. Un derrick de 40 mètres de hauteur est placé en surface. Le forage commence et un tube en acier de 15 cm de diamètres est descendu jusqu’à plus de 3.000 mètres de profondeur, là où se trouvent les roches-mères. Une fois que le tube arrive à une couche de roches-mères, le forage se fait alors à l’horizontal : le filon est percé sur deux kilomètres de long. Deuxième étape : la fracturation. Un liquide composé d’eau, de sable et de plusieurs additifs chimiques est injecté à plus de 600 bars de pression, ce qui fissure la couche d’argile et libère le gaz. Troisième étape : la production. Le liquide remonte à la surface et entraîne à sa suite le gaz (c’est qu’on appelle le flowback). Cette méthode d’extraction du gaz de schiste présente certains risques, raison pour laquelle des méthodes alternatives sont étudiées (voir infra). Mais ces alternatives présentent de grands inconvénients actuellement. D’après les experts, la fracturation hydraulique demeurera donc la seule technique d’extraction du gaz de schiste pendant au moins dix ans encore.

3. Quels sont les enjeux de la production du gaz de schiste ?

Le premier enjeu est évidemment énergétique : rien qu’en France, on estime que les réserves théoriques de gaz de schiste – situées principalement à l’est de Paris et dans le sud-est de la Métropole – correspondent à une consommation nationale de 50 à 100 ans. Si on couple cette énergie à l’énergie nucléaire et aux énergies renouvelables, l’indépendance énergétique devient possible. Le deuxième enjeu est économique : si on diminue, voire supprime, les importations énergétiques, les dépenses publiques vont sensiblement diminuer (l’importation de gaz naturel en France en 2011 s’élevait à 13 milliards d’euros) et, par ricochet (enfin normalement), le coût sur la facture des ménages et des entreprises diminuera (aux États-Unis, les entreprises qui utilisent du gaz de schiste ont divisé leur facture énergétique par quatre !). Le troisième enjeu est d’ordre géostratégique : actuellement, nos pays occidentaux dépendent principalement de l’axe Iran-Russie-Qatar pour leurs fournitures en gaz. Les réserves en gaz de schiste se trouvent dans d’autres pays, tels les États-Unis et la Chine (futurs producteurs leaders dans le monde), mais aussi en France, en Grande-Bretagne, au Canada, en Pologne, etc. Si ces pays s’engagent sur la voie de la production du gaz de schiste (c’est déjà le cas des États-Unis et du Canada), alors ils ne dépendront plus des trois pays précités qui perdront ainsi en influence politique (rappelez-vous du chantage russe aux Ukrainiens concernant le prix du gaz). Voilà pourquoi la Russie est fermement opposée à l’exploration et a fortiori à la production du gaz de schiste. Elle y perdrait un levier très important de sa politique. Voilà peut-être pourquoi le Qatar investit massivement en France… qui a interdit l’exploration ! [1] Le quatrième enjeu est d’ordre social : aux États-Unis, la filière a déjà créé plus de 600.000 emplois ! En pleine crise économique et sociale, cet enjeu de création d’emplois n’est pas à dédaigner. Enfin, le cinquième enjeu que je vois est d’ordre environnemental : la combustion du gaz de schiste est la plus propre parmi les énergies fossiles. Elle rejette ainsi deux fois moins de CO2 que le charbon et, contrairement à lui, le gaz de schiste n’émet pas de dioxyde de soufre.

Enjeux – et atouts – énergétique, économique, géostratégique, social et environnemental. On comprend que certains versent dans l’euphorie ; en revanche, on comprend beaucoup moins que d’autres y voient un cauchemar. L’homme raisonnable devrait, à la lumière de ces enjeux, ne pas balayer d’un revers de la main le débat sur le sujet… Or…

4. Quel est l’état de la question en France (et en Belgique) ?

Début 2010, le gouvernement UMP délivre trois permis d’exploration pour les sites de Nant, Montélimar et Villeneuve-de-Berg, tous trois situés dans le sud-est. Au même moment, aux États-Unis, sort le film Gasland qui présente le gaz de schiste comme causant des ravages apocalyptiques. Certains activistes s’emparent de l’affaire et organisent l’opposition en France. Devant cette levée de boucliers qui a gagné les riverains des sites et les partis de gauche, le gouvernement Fillon fait marche arrière en 2011 et fait voter une loi interdisant la fracturation hydraulique avec fortes amendes et peines d’emprisonnement à l’appui. Désormais, même l’exploration est devenue impossible, car elle nécessite d’effectuer des fracturations à des fins de recherches. Le nouveau gouvernement socialiste est dans la même lignée, puisqu’il a refusé sept demandes de permis d’exploration. Pire : le 21 septembre 2012, le ministère de l’écologie publie une circulaire interdisant toute tentative d’imagerie par ondes sismiques depuis la surface ! C’est toute la recherche scientifique sur cette nouvelle ressource qui, de facto, est prohibée. Conclusion : en France, c’est l’obscurantisme, la peur et l’idéologie qui règnent en maîtres.

La situation n’est pas meilleure en Belgique, pays où la tradition du débat public est quasi absente. Hormis le prix de la bière et les résultats de l’équipe nationale de football, peu de sujets passionnent l’introuvable peuple belge [2]. D’après certains experts, les réserves en gaz de schiste seraient trop peu importantes que pour être exploitées. Les milieux gauchistes donnent l’impression d’avoir même contaminé la droite, dans le sens où tout le monde a l’air de s’accorder à dire qu’il s’agit d’une menace terrible pour l’environnement. Bref, pas de débat en Belgique, comme d’habitude…

5. Quelles sont les certitudes concernant le gaz de schiste ?

Tout d’abord, il y a le fait que la fracturation hydraulique est la seule technique d’extraction possible actuellement (voir supra, point 2). Actuellement, des recherches sont en cours pour remplacer les additifs chimiques car, parmi ceux-ci, 29 sont répertoriés comme toxiques et cancérigènes. Parmi les alternatives, il y a le remplacement du fluide d’injection par le propane, mais celui-ci présente le risque d’exploser à tout moment. L’utilisation du CO2 est également étudiée, mais elle présente quant à elle le risque de voir des réactions chimiques en cascade se produire avec le gaz de schiste (p.ex. l’acidification). Une autre alternative est le remplacement de la fracturation par la fragmentation électrique, mais ici c’est le technique qui coince : comment descendre aussi profondément un système électrique puissant ? Bref, on en revient donc à la méthode actuelle que les industriels essaient d’assainir le plus possible. Ensuite, il y a le fait que la combustion de gaz de schiste est la plus propre parmi les énergies fossiles (voir supra, point 3). Troisième certitude : contrairement aux idées reçues, l’extraction du gaz de schiste ne menace aucunement les ressources d’eau. Les quantités d’eau prévues pour l’injection hydraulique sont importantes, mais moindres que celles utilisées par les industries classiques. En outre, les énormes réserves chinoises et américaines se situent dans des régions désertiques, ce qui oblige les compagnies à faire œuvre d’imagination pour remplacer l’eau par un autre liquide. Dernière certitude et – hélas – non des moindres : l’extraction du gaz de schiste engendre d’importants déchets : lors de la remontée de l’eau et du gaz (le flowback), les roches sont lessivées et propulsent à la surface toute une série de déchets plus ou moins nocifs (on parle même d’uranium dans certains cas). Les industriels ont conscience de cette problématique et y travaillent d’arrache-pied.

6. Quelles sont les incertitudes ?

La première incertitude est liée à la fuite du méthane lors du « flowback » : quelle est la quantité de méthane ainsi libérée dans l’air ? Les défenseurs et les opposants se disputent sur le taux de fuite. L’enjeu n’est pas anodin, car si le taux de fuite dépasse les 3,2%, cela signifiera que le bilan carbone [3] du gaz de schiste dépasse celui du charbon, faisant perdre au gaz de schiste sa qualification d’énergie propre. Pour mettre un terme à cette querelle biaisée par les intérêts de chaque camp, de nouvelles études associant cette fois-ci des universitaires et des industriels ont été lancées. On attend le résultat. La deuxième incertitude est liée à l’impact sismologique : oui ou non l’extraction du gaz de schiste produit-il des tremblements de terre ? Ici aussi querelle d’experts des deux camps. Mais la recherche en ce domaine avance, puisqu’on sait déjà que la fracturation en tant que telle ne produit que de très légers tremblements de terre (moins de 2 sur l’échelle de Richter) ; c’est l’injection hydraulique qui est plutôt l’objet des controverses actuelles : en élargissant les failles provoquées par la fracturation, elle ferait – au conditionnel donc – bouger les plaques géologiques, mais cela reste à prouver. Dernière incertitude : le risque de contamination sur les nappes phréatiques. Querelle d’experts encore et toujours. Pour y mettre fin, l’agence US de protection de l’environnement (EPA) publiera le résultat de ses recherches en cours en 2014. De nombreux pays ont déjà affirmé que le résultat de ces recherches serait déterminant pour prendre la décision de s’engager dans la production du gaz de schiste.

7. Conclusion : quelle attitude adopter pour le citoyen (libéral) ?

Affirmons-le d’emblée : l’attitude des socialistes français – qu’ils soient de gauche ou de droite – est la plus stupide qu’il soit ! Empêcher la recherche scientifique défie le bon sens le plus élémentaire. À moins d’être un imbécile patenté – mais dans tel cas, vous ne liriez pas ces lignes – cette attitude obscurantiste ne doit pas être retenue.

Les incertitudes liées à l’extraction du gaz de schiste sont connues (voir supra, point 6). Qu’il s’agisse des fuites de méthane, de l’impact sismologique ou de la contamination des nappes phréatiques, personne ne peut affirmer aujourd’hui que ces risques vont se réaliser ou non. D’emblée, l’attitude revendicatrice des activistes écologistes doit donc également être écartée, car il est faux de dire qu’il s’agit là de certitudes. Dans le même ordre d’idées, l’attitude contraire niant tous risques et privilégiant l’extraction à la hussarde – comme ce fut le cas au début de l’histoire récente de cette nouvelle filière – est aussi stupide !

Reste alors l’attitude la plus sérieuse : comment gérer les risques liés à l’extraction du gaz de schiste ? Cette attitude permet la recherche et n’affirme pas comme certaine la réalisation des risques. Deux attitudes sont finalement possibles : soit se laisser dominer par la peur et décider de gérer le risque en s’abstenant d’agir : c’est l’attitude frileuse des tenants du principe de précaution. Que les recherches continuent et, en cette attente, on préfère le statu quo. Résultat ? Les autres nations avancent et profitent des nombreux atouts économique, énergétique, géostratégique, social et environnemental développés ci-avant, ce qui leur donne un avantage compétitif de très grande ampleur. En outre, la connaissance des effets de l’extraction a pu être affinée par la pratique, ce qui va permettre d’en réduire les risques et donc de mieux les gérer. Cette attitude frileuse est donc doublement improductive ! À laisser de côté donc. Nous venons de l’esquisser : seule l’attitude qui ne nie pas les risques, mais décident de les gérer pour les diminuer, est raisonnable.

Comme pour les OGM, comme pour le nucléaire, il existe un nouveau clivage : le statu quo frileux et improductif contre la gestion sérieuse des risques. Le libéral, homme rationnel par définition, ne peut que choisir cette dernière option. Si nous ne l’adoptons pas, nous creuserons donc encore beaucoup plus notre handicap par rapport aux autres nations. Le gaz de schiste est une question explosive. La peur n’évitera pas l’explosion…

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Notes :

  1. Ma thèse personnelle est qu’il y a peut-être là un lien de cause à effet.
  2. Il suffit, pour s’en convaincre, de constater que des sujets aussi importants que le mariage homosexuel, l’euthanasie, l’avortement, n’ont fait l’objet que de discussions confinées dans les salons dorés du parlement fédéral et non d’un véritable débat de société.
  3. Le bilan carbone est la synthèse de la combustion de l’énergie et du carbone nécessaire à sa production. Pour la combustion du gaz de schiste, pas de problème comme évoqué plus haut dans le texte ; c’est donc au niveau de la production du gaz (plus particulièrement lors du flowback) que la question se pose.

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