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Le “petit juge” islamique et le gros compte Twitter : al-Arifi vs al-Ghaith

Publié le 06 mai 2013 par Gonzo
La page Facebook d'al-Arifi

La page Facebook d’al-Arifi

Vous n’en avez sans doute jamais entendu parler. Pourtant, Muhammad al-Arifi (محمد بن عبد الرحمن العريفي , aussi transcrit 3refe et Arefe) – jeune prédicateur (il est né en 1970) formé en Arabie saoudite, élève d’Ibn Baz, un religieux tendance très conservateur décédé en 1999 – est un auteur à succès à la tête d’une bonne trentaine d’ouvrages et surtout une vedette de l’islam médiatique. Qu’on en juge : en plus de son émission hebdomadaire sur Dubai TV, Qalby Maak (associé à une page Facebook avec près de 300 000 amis), un site perso bien entendu, une page Facebook avec plus de 2 millions d’amis, une « chaîne » télévisée sur YouTube (plus de 200 000 abonnés, 15 millions de vidéos vues, il y en a une autre, moins active, sur Viméo) et, last but not least, un compte Twitter qui, en frôlant les 5 millions de suiveurs, le place dans la Top List des comptes arabes. (A titre de comparaison, le dalaï-lama est à 7 millions, le chef de la chrétienté, le pape François et même Haïfa Wehbe, la pop star libanaise, se traînent aux alentours des 2 millions.)

Al-Arifi sur YouTube

Al-Arifi sur YouTube

Ce Goliath du numérique (tout le monde en parle dans la Péninsule et fort peu ailleurs, sauf sur CPA

;-)
) est aujourd’hui sur le gril, à cause d’un David de la Toile, Issa al-Ghaith (عيسى الغيث), membre il est vrai du Conseil de la Shura, mais dont le pauvre petit compte Twitter atteint à peine les 60 000 followers. Après avoir annoncé, sur le réseau, sa décision, le « petit juge » islamique a en effet saisi la justice contre diverses personnalités conservatrices, dont al-Arifi, à qui il reproche d’avoir « re-twitté » un poème satirique – vieille tradition culturelle arabe – qui se moquait de lui en des termes cruels (article en arabe, un autre en anglais). L’affaire est sérieuse car, selon le Code pour la répression des crimes informatiques (نظام مكافحة الجرائم المعلوماتية ), l’accusé encourt au total une peine de six ans de prison et une amende d’un demi-million de dollars (même pour un riche saoudien, ça le fait!)

Sans doute, le « roi du commentaire religieux » a-t-il vite retiré l’objet du délit, mais le réseau a de la mémoire… Et al-Ghaith est bien décidé à aller jusqu’au bout pour que « celui qui n’a pas appris à bien se tenir de ses parents ou de son maître l’apprenne de Twitter » (من لم يؤدبه أهله ومعلمه… سيؤدبه تويتر). Comme bien d’autres dans son pays où Twitter atteint des sommets avec (sans doute) près de 5 millions d’utilisateurs et un taux de croissance mensuel qui peut atteindre les 3 000 %, le justicier autoproclamé de la Toile est en effet parfaitement conscient du fait que Twitter est devenu « le facteur n° 1 dans l’opinion, celui qui fait et défait les réputations… (هو الرقم 1 في الرأي العام بالسعودية، وهو مؤثر على صاحب القرار، فتويتر صنع رموزاً وأسقط رموزاً). Sachant qu’al-Ghaith est réputé proche des milieux royaux (membre de la Shura, il ne saurait en être autrement de toute manière) alors qu’al-Arifi est proche des courants salafistes, on comprend que l’affaire tient au code de bonne conduite sur les réseaux, mais plus encore à des règlements de compte politiques.

Le compte Twitter d'al-Arifi

Le compte Twitter d’al-Arifi

Pour ne rien arranger, al-Arifi est en quelque sorte un récidiviste car il avait déjà pris le risque de franchir la ligne rouge il y a quelque semaines en critiquant Abdul-Rahman al-Sudais, imam de la grande mosquée de La Mekke, après que celui-ci eut prononcé un prône contre ceux qui « sèment la discorde et les idées étrangères » (نبذ الفتنة والأفكار الدخيلة : voir cet article en arabe) . Cette fois-là, le tweet avait été promptement effacé, ce qui avait valu excuse… Une mansuétude dont n’avaient pas profité en leur temps d’autres trouble-fête des réseaux sociaux : pour le camp des “libéraux”, le pauvre Hamza Kashmaghi, toujours en prison plus d’un an après son tweet malheureux à l’occasion de l’anniversaire du Prophète (voir ce billet) et l’écrivain Turki al-Hamad dont le sort ne préoccupe guère les grandes consciences internationales (article en anglais), entre autres exemples ; et du côté des ultras religieux, Cheikh Yûsuf al-Ahmad (الشيخ يوسف الاحمد) notamment, condamné à cinq ans de prison le mois dernier à cause de ses activités en ligne.

Pour reprendre l’expression heureuse de ce journaliste d’Al-Hayat, les réseaux sociaux – et singulièrement Twitter, dont le « style », manifestement, convient fort bien aux pratiques locales – sont devenus le Hyde Park de la jeunesse arabe ! La référence vaut bien entendu moins pour le célèbre gazon britannique que pour le Speakers’ Corner où tout un chacun est libre de prendre la parole pour dire ce qui lui chante. Des « gazouillis » (tweets) de printemps qui n’ont pas l’air de charmer les oreilles de tout le monde en Arabie saoudite.


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