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Les grands oreilles de l’État l’aideront à remplir ses petites bourses

Publié le 10 mai 2013 par H16

En France, la sécurité, c’est du sérieux. La sûreté des réseaux, on ne rigole pas avec : le pédophile y est impitoyablement traqué, le nazi pourchassé, le raciste dénoncé et l’historien alternatif poursuivi. Et, comme on va le voir, ce n’est que le début.

On apprend, au détour d’un de ces articles de presse qui relèvent son niveau (mais qui ne sont, bizarrement, repris par aucun confrère), que le 15 février dernier, Christian Vigouroux alors directeur de cabinet de Christiane Taubira, la ministre de la Justice, a réalisé une inspection surprise chez Thales pour y vérifier les avancées d’un projet « confidentiel défense ».

Ce projet, PNIJ pour « plate-forme nationale des interceptions judiciaires », vise à centraliser en un seul point plus de 5 millions de réquisitions judiciaires (liste des appels téléphoniques, identité d’un abonné derrière un numéro, etc) et près de 40 000 écoutes autorisées par les juges dans le cadre de leurs enquêtes. Autrement dit, à partir de cet été, toutes les mises sur écoutes passeront par ce système. On le comprend : c’est un projet qui se veut aussi confidentiel et discret qu’important ; c’est la suite des manœuvres entamées avec les différents avatars de LOPPSI et HADOPI (aussi pitoyables soient-ils) pour contrôler, au moins en partie, internet.

13.jpg - Le loppsi

Pour des raisons de forme, Vigouroux est accompagné, ce 15 février, de Isabelle Falque-Pierrotin, la présidente de la CNIL : il faut s’assurer que l’espionnage à échelle industrielle que l’État entend mettre en place avec l’argent du contribuable (et qu’il retournera volontiers contre lui) reste bien dans les clous de la vie privée. Ici, vous pouvez insérer un clin d’œil moqueur (on sait rire, en République du Bisounoursland).

Et comme d’habitude avec un projet présentée comme « de défense nationale » dont les financements sont publics et la direction est décidée en haut lieu, déconnectée de toutes ces basses contingences budgétaires, chaque niveau hiérarchique et chaque intervenant se sera gavé autant que possible de l’argent gratuit dégoulinant de l’État. Par exemple, l’ensemble du système a été placé, fort judicieusement, sous le sceau du « confidentiel défense », permettant ainsi d’écarter rapidement des sociétés étrangères dans la réalisation technique (ce classement a depuis été condamné par le tribunal administratif de Paris, ce qui aboutira à des dédommagements salés pour les concurrents évincés). A ces pratiques douteuses, il faut ajouter la joyeuse dérive budgétaire sans laquelle un projet public ne serait pas vraiment public (ni festif, bien sûr) : à l’origine, cela devait coûter 17 millions d’euros, mais la douloureuse se monte maintenant à 43 millions, et tout indique que ça va continuer à enfler (la facture et le contribuable) ; il apparaît en effet que le réseau de télécommunications actuel ne permet pas des débits suffisants pour bénéficier du système. Certains évaluent l’investissement nécessaire à plusieurs dizaines de millions d’euros supplémentaires.

Youpi.

Bien sûr, à ces appels d’offre biaisés, à ces dépassements budgétaires homériques (et prévisibles), il faut ajouter un résultat techniquement douteux, avec (paradoxalement) un accroissement du danger dans les données personnelles que ce système manipulera.

En effet, la tendre tradition jacobine française a encore une fois choisi de centraliser autant que possible les données en question, ce qu’avait dénoncé dans une note Frédéric Péchenard, le directeur général de la police nationale : cette plate-forme devient une cible potentielle du fait même de la concentration de données sensibles. Si l’on y ajoute la difficulté inhérente à un changement d’hébergeur en cas de besoin (difficulté qui se pose à toute société, mais qui est d’autant plus aiguë lorsque les données sont confidentielles), on comprend les craintes des hommes de l’art.

Et pour le citoyen lambda, l’existence même de cette concentration de données privées, sous-sécurisées et auscultées en permanence par l’État ne peut pas le laisser de marbre. On m’objectera (mollement, sans doute) que des contrôles seront mis en place pour éviter que de vilains politiciens détournent l’objet pour leur propre soif de pouvoir, ce à quoi je répondrai, sans me forcer non plus, qu’il n’y avait déjà pas besoin d’une centralisation et d’une technologie de folie pour que certains outrepassent largement leurs prérogatives ; il semble évident que ce système sera une véritable piste d’entraînement pour nos dictateurs en herbe.

Corruption : j'en veux moins, ou plus d'opportunité pour en profiter

D’ailleurs, on n’aura pas besoin de chercher longtemps l’utilité du bidulotron au-delà des écoutes habituelles, de la lutte antiterroriste, antigangs et anti-pédophiles nazis de l’interweb. Il suffit de repenser aux tempêtes médiatiques récentes déclenchées par les exils fiscaux de personnalités proéminentes pour voir se profiler tout de suite le museau baveux du fisc : en quelques clics, on comprend que les nouvelles technologies, si elles sont l’excuse inépuisable de gabegies rigolotes pour l’État lorsqu’il s’acoquine avec les habituelles sociétés privées du capitalisme de connivence, sont aussi d’excellents moyens pour ratisser toujours plus finement le terreau fertile des contribuables français.

Si, il y a encore quelques années, on pouvait se douter que l’administration fiscale était largement engluée dans ses nombreux (et redondants) systèmes informatiques antédiluviens, il apparaît qu’une partie au moins de son retard a été comblé. Peut-être pas en matière de gestion budgétaire (difficile de miser sur Moscovici en la matière, hein) mais en matière de traque fiscale, on découvre que Bercy déploie tous les moyens technologique pour choper du « fraudeur ».

Je me demande dès lors combien de temps il faudra pour qu’une grande, fraternelle et joyeuse fusion s’opère entre les différents services pour qu’enfin, la moindre fraude fiscale déclenche les nécessaires alertes sur les réseaux d’écoute et de surveillance des citoyens festifs de la République du Bisounourstan. Parce qu’ici, il ne faut pas imaginer une seule seconde que cette fusion pourrait ne pas avoir lieu, l’interrogation portant en effet sur le « quand » bien plus que sur le « si ». L’État, en effet, est aux abois financièrement ; je l’ai déjà dit, je le redis ici. C’est une donnée factuelle, indiscutable, corroborée par l’acharnement de plus en plus féroce de ce dernier à récupérer les évadés de l’enfer fiscal, à taxer absolument tout et n’importe quoi (depuis le 1er Mai, ce sont les meubles, par exemple), et à ménager rapidement une marge de manœuvre (aussi ridicule et temporaire soit-elle) à l’équipe gouvernementale actuelle, complètement désemparée.

Fiscal Park

J’attends donc, résigné (et avec une pointe d’impatience), le moment où tous ces Français, tenants actuels du Toujours Plus d’État, se feront sauvagement visiter au petit matin parce qu’ayant reçu quelques légumes gratuitement de leur voisin, parents, amis, et que ce don en nature aura été commodément « oublié » dans la précédente déclaration d’impôts, ou pour tout autre motif qui n’apparaîtra futile que de ce coté-ci du temps qui passe… C’est méchant, je sais.

Mais après tout, ils l’auront bien cherché.


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