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Shōnen, seinen et shōjo, des critères inutiles ?

Publié le 11 mai 2013 par Paoru

Mangas

Tout le monde connait ces critères historiques de classification du manga. Tout le monde les utilise. Tout le monde a un avis sur ce qu’ils représentent. Et pourtant, aujourd’hui en France, personne ne les utilise de la même façon, n’y apporte la même signification, et ne les définit par rapport à la même norme. Et pourtant tout le monde a, à chaque fois, un peu raison et un peu tort.

Essayons d’y voir aujourd’hui un peu plus clair dans ce joyeux bordel…

Définitions incomplètes

Basiquement ces trois critères correspondent à trois publics cibles, trois cibles éditoriales distinctes au Japon :

  • Le  shōnen ou shōnen manga (少年 ou jeune garçon) dont la cible éditoriale est avant tout constituée par les jeunes adolescents.
  • Le shōjo ou shōjo manga (少女 ou jeune fille) dont la cible éditoriale est avant tout constituée par les jeunes adolescentes.
  • Le seinen ou seinen manga  (青年 ou jeune homme) dont la cible éditoriale est avant tout constituée par les jeunes adultes (15 à 30 ans) de sexe masculin. Il arrive cependant qu’il soit destiné à des personnes plus âgées.

On pourrait ajouter le josei, l’équivalent du seinen au féminin, mais qui n’a pas d’existence réellement officielle chez nous, pour le moment.

Ces critères sont donc fonction du type de public. Comme vous vous en doutez ces 3 ou 4 critères sont bien insuffisants pour classifier l’ensemble de la production manga, même en France où elle est moindre par rapport au Japon. Les éditeurs japonais ont donc mis en place des sous-catégories, que les éditeurs français ont plus ou moins suivi. Et c’est là qu’apparaissent les ennuis.

L’exportation à la française d’une classification japonaise

Shingeki no kyojin / L'attaque des titans
Je vais me répéter mais les trois termes shōnen, shōjo et seinen ont été mis en place par des éditeurs japonais, donc pour un public japonais, avec sa culture, ses catégories socioprofessionelles et ses clichés. Ces catégories ne peuvent donc pas fonctionner systématiquement en France et ça, les éditeurs français l’ont bien compris. Ils adaptent ainsi certains titres en les transférant d’une catégorie à une autre : on voit régulièrement un seinen devenir un shōnen ou inversement et on constate que le shōjo englobe souvent le josei… Sauf quand ce dernier, de par son caractère adulte, finit en seinen. L’éditeur français recalibre donc la catégorie à son propre public cible, celui de l’hexagone.

Deux exemples récents chez Pika : Shinkgeki no Kyojin aka L’attaque des Titans est publié au Japon dans le magazine shōnen Bessatsu Shōnen Magazine, mais sa violence l’oriente chez nous dans le catalogue seinen de l’éditeur, car on déconseille ce genre de lecture aux plus jeunes dans notre pays. Second exemple : Chihayafuru est un manga publié au Japon dans Be Love, magazine josei. Pika l’a classé dans sa collection shōjo. L’éditeur ne possède pas de collection josei à proprement parler donc on pourrait l’accuser d’une publication par défaut, mais l’héroïne du manga est une enfant dans les premiers tomes puis une adolescente par la suite, et on ne peut pas nier qu’une romance avec un triangle amoureux va se mettre en place. Rien d’aberrant donc, à faire figurer ce titre en shōjo chez nous.

Une ambiguïté est donc née et a grandi dès lors qu’on changeait le panel originel d’une catégorie MAIS en gardant le même nom. En vingt ans de publication française on finit donc par ne plus parler tous la même langue, certains restant attachés à la classification japonaise, d’autres à son adaptation pour notre pays par les éditeurs français. D’autant qu’avec des catégories aussi larges, les frontières qui les séparent le sont aussi… Beaucoup de titres se retrouvent donc entre deux eaux et ne peuvent donc pas se classer entièrement dans l’une ou l’autre.

Je pense que l’exemple le plus criant chez nous se situe sur la ligne de démarcation entre shōnen et shōjo, dans laquelle je me prends souvent les pieds d’ailleurs.

  • D’un coté on a le shōnen, dont la catégorie phare se nomme le nekketsu, ce genre où un héros naïf recèle en lui un pouvoir énorme, dont le père est souvent absent, qui va suivre un chemin initiatique où il va rencontrer des ennemis de plus en plus forts et se faire des amis d’une fidélité sans faille.
  • D’un autre coté on a le shōjo, dont la catégorie phare est la romance, un genre où une héroïne est amoureuse d’un beau garçon, et où elle tache de faire face au quotidien, dans lequel peut se cacher un drame, des querelles de lycéennes plus ou moins cruelles et une love story qui se complique à travers un triangle amoureux.

X de Clamp
Ces genres ne sont pas seuls dans leur catégorie : on peut citer ce qu’on appelle le shōnen sportif (Slam Dunk, Dream Team) dans le shōnen et le magical girl (Card Captor Sakura, Sailor Moon) en shōjo. Mais on reste dans l’idée globale de l’action pour les garçons et de la romance pour les filles. Sauf que lorsque la romance est vécue par un garçon, on reste dans le domaine du shōnen : Video Girl Ai ou I’s, sont classés comme shōnen au Japon. Alors qu’un grande partie de son lectorat est féminin.

Même problème sur nombres de mangas des CLAMP comme X ou RG Veda qui, malgré l’action et des héros masculins, sont des shōjos en raison de la dramaturgie, des nombreuses romances et que sais-je encore… Comme le disent un grand nombre de défenseurs du shōjo, cette catégorie est donc beaucoup plus large dans la classification japonaise que chez nous mais en voulant conserver ce critère de public cible très péremptoire avec une culture différente on a superposé nos clichés à ceux des japonais pour obtenir, au final, une pile de contradictions.

On pourrait achever le tableau avec les adaptations en animes qui font parfois le choix de réorienter – plus ou moins sensiblement – la cible éditoriale en simplifiant certains points du scénarios, car l’éditeur s’est aperçu, lors de la publication du manga, que le potentiel vendeur du titre ne se situait pas forcément là où il l’avait prévu.

Un manga pour un public mais des publics pour un manga

On vient donc de voir que ces termes permettent de classer aisément un grand nombre de mangas mais que, lorsque l’on sort des sentiers battus, la confusion règne. Malheureusement, ce n’est pas le seul problème. La classification shōjo, shōnen et seinen est une grande génératrice de clichés alors que la réalité du lectorat est tout autre : les shōnens sont lus par un public féminin de plus en plus important tandis que des nouvelles générations de mangakas jouent avec plusieurs archétypes : on peut citer Soul Eater par exemple, un shōnen pur souche dont l’héroïne est une jeune fille. Même problème avec une augmentation des shōnens et des shōjos de plus en plus sombre… Un titre comme Life peut-il être mis dans les mains d’une pré-ado de 8/10 ans ? Non.

D’ailleurs si je lis à la fois du shōnen, du shōjo, du seinen et du josei je suis quoi, un homme-enfant hermaphrodite ? Cette classification permet de définir un public de vente, mais qu’est-ce que le public recherche lui ? Dans une classification et un rangement par public cible, un amateur ou une amatrice de fantasy ou de romance se coupe de nombreux titres parce qu’il ne rentre pas dans les cases.

Collection Latitudes
Vous l’aurez bien compris shōnen, shōjo ou seinen devraient donc rester des critères à caractère indicatif, car ils définissent des catégories sociales basées sur des clichés. Clichés qui ne vieillissent pas très bien avec les années et les évolutions des mœurs, d’ailleurs.

C’est pour cela qu’aujourd’hui de plus en plus d’éditeurs tentent de se démarquer de cette publication contre-productive. Certains éditeurs initient des collections thématiques : Latitudes chez Ki-oon, Gothic, Jeux vidéo, ou Classique chez Soleil, Humour chez Kurokawa. Ces derniers optent pour une mise en avant simple, présentée avec le plus de pédagogie possible et des titres de collections parlants.

Mais le succès n’est pas toujours au rendez-vous et les clichés ont la vie dure. Exemple historique : l’éditeur Akata a baptisé ses collections des doux noms de Sakura, Jôhin, Take, Fumetsu etc. Cette classification existe toujours mais est restée incomprise car, une fois de plus, trop japonaise. L’éditeur la propose donc toujours mais de manière plus discrète et met désormais en avant sur son site le trio classique agrémenté de trois autres catégories : Young, Josei et Gekiga.

Pourquoi cette machine arrière et pourquoi certains conservent encore ces trois catégories pour répartir leurs œuvres ? Parce qu’ils peuvent classer correctement une bonne partie de leur catalogue sans souci, d’une part, mais aussi car il existe dans la chaîne du livre un maillon épineux directement concerné par la classification : le libraire.

Un problème en librairie ?

La classification à la japonaise est assez inhabituelle dans le monde de l’édition où l’on propose des collections qui mélangent sur un même niveau les deux critères, de public et de thème, voir même qui mettent en avant l’aspect thématique plutôt que la cible. Combien de collection de romans ou de BD ont fleuri ces dernières années sur le thème de la fantasy par exemple. L’exception à la règle est la collection jeunesse de nombreuses maisons d’édition, manga y compris, mais là aussi dans un soucis marketing, pour que les parents et les libraires puissent facilement recommander des ouvrages aux tous petits sans risque et sans prise de tête. Malheureusement, la littérature pour enfant ayant une étiquette simpliste voir bas de gamme, certains éditeurs comme nobi nobi ! la trainent par moment comme un boulet.

librairie-le-bateau-livre

Si les catégories japonaises ont su s’implanter durablement chez nos libraires, c’est sans doute qu’elles ont le don de simplifier le travail, voir de le prémâcher. N’auraient-elles pas, d’ailleurs, permis à de nombreux libraires néophytes en manga de s’y mettre sans trop se casser la tête, les rendant inaptes aujourd’hui à aborder notre marché prolifique avec précision et à leur éviter le travail d’approfondissement nécessaire au fameux « conseil du libraire » ?

Si je me pose la question c’est que, lorsque l’on demande aux éditeurs français de manga pourquoi ils conservent cette classification à la japonaise ils expliquent tous, invariablement « que cela permet une classification simple pour les libraires« . Et pourtant ces derniers organisent depuis des années des dizaines, voire des centaines, de collections de Roman et de BD qui ne s’appellent pas pour autant « jeune garçon », « ouvrier de chantier » ou « ménagère de plus de 50 ans ».  Le problème n’est donc pas tellement que les libraires puissent être des fainéants ou des mous du bulbes – pas plus qu’ailleurs en fait – mais plutôt qu’ils ne puissent utiliser qu’une classification à la fois et que la classification par public n’est pas forcément la meilleure.

librairie-momie-manga

Résultat ? Chaque libraire a fini par faire lui aussi comme il le pouvait… Le mien, par exemple, classe par éditeur, ce qui permet à la fois de se simplifier la vie et de conserver les collections d’éditeurs intactes. La FNAC continue la classification nippone suivi d’une classification alphabétique, mais on sait tous qu’on ne va jamais dans cette enseigne pour se faire conseiller sur une nouvelle lecture. Le public s’est donc  adapté comme il a pu face à ces imbroglios en se renseignant sur le net au préalable et en arrivant déjà bien décidé au moment de l’achat.

A ce sandwich qui contient déjà plusieurs couches indéfinies s’ajoute une bonne tranche de magazines et de sites où là aussi, chacun y va de sa version, de son rangement, contribuant au marasme (ici aussi, soyons honnêtes). A l’image des éditeurs qui mélangent les classifications par public et par thème les sites possèdent une base de données qui multiplie les mots clés : tel titre est par exemple un shônen de type seinen qui parle d’aventure et qui regorge d’action. Franchement à quoi sert la première partie de la description ? Le mix aventure / action se suffit largement à lui-même pour orienter le lectorat donc pourquoi s’encombrer de mots qui, au mieux, n’apportent pas grand chose de plus et, au pire, induisent en erreur ?

Après l’avoir indiqué pendant des années, je me suis donc décidé à éliminer ces trois termes, qui ne mettent personne d’accord et obligent à être trop catégorique, au profit de présentations thématiques, qui peuvent s’additionner sans se contredire et qui sont beaucoup plus révélatrices du contenu. Mais le plus important est, au final, de laisser chacun faire comme il l’entend, et de ne pas se figer sur une terminologie.

Et vous ? Comment classez-vous vos mangas et comment conseillez-vous vos amis ?

Lagaffe

PS : merci à tous ceux avec qui j’en ai parlé cette semaine, que l’on soit d’accord ou pas : vous avez nourri ma réflexion !


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