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Débat Borloo versus Sapin : entre la réaction à la récession et le péché de posture

Publié le 14 mai 2013 par Sylvainrakotoarison

Malgré une proximité de fond (sur le pragmatisme économique et social), le débat est resté un dialogue de sourds, entre un accoucheur d’idées politiquement un peu brouillon et un beau phraseur aux éléments de langage robotisés qui maniait la mauvaise foi avec un certain aplomb.

yartiBorSap01Il y a eu pendant une heure vingt un débat qui aurait pu être intéressant sur France 2 ce lundi 13 mai 2013 dans l’émission "Mots croisés" d’Yves Calvi, une confrontation entre le Ministre du Travail Michel Sapin et l’ancien ministre Jean-Louis Borloo, président de l’UDI. Les duels médiatiques sont suffisamment rares pour être pris en compte dans la réflexion politique. Le précédent duel dans cette émission avait eu lieu le 7 janvier 2013 au cours duquel Jérôme Cahuzac avait fini de se perdre en réaffirmant l’absence de comptes bancaires cachés à l’étranger.

Le spectre de l’union nationale ?

Michel Sapin (61 ans), député à 29 ans, ministre à 39 ans, est l’un des ministres les plus écoutés du Président François Hollande, ami de très longue date, camarade de l’ENA mais aussi du service militaire (qui, comme chacun peut le savoir, forge des grandes amitiés). Sa parole est la parole présidentielle. C’est l’une des rares pièces maîtresses de l’Élysée au sein du gouvernement (avec Jean-Marc Ayrault, Manuel Valls et Christiane Taubira). Il n’est pas connu comme un ultra du parti socialiste. C’est un énarque raisonnable qui a souvent ressassé la délicieuse expression de « sérieux budgétaire », rigueur en langue hollandienne.

Jean-Louis Borloo (62 ans) est très connu de l’opinion publique (parmi les cinq personnalités les plus appréciées, comme le montre encore un récent sondage, TNS-Sofres publié le 3 mai 2013). Après une longue carrière ministérielle (huit ans sans discontinuité entre le 7 mai 2002 et le 13 novembre 2010), il est avant tout un moulin à idées, un peu brut de décoffrage parfois mais avec assez de perspicacité pour enfoncer quelques clous et faire avancer quelques idées qui lui sont chères. Lui non plus n’est pas considéré comme un ultra de l’opposition, il a même voté quelques projets du gouvernement, comme les emplois d’avenir et (sauf erreur de ma part) le mariage pour les couples homosexuels.

Cette modération dans les choix politiques ne s’est cependant pas traduite par la transformation du duel en duo. Certes, Michel Sapin était bien obligé de reconnaître que sur l'Europe, par exemple, y compris sur les relations entre la France et l’Allemagne, il était nettement plus proche de Jean-Louis Borloo que de Jean-Luc Mélenchon grâce à qui il est pourtant aujourd’hui ministre. Mais le Ministre du Travail s’est enfermé dans la rhétorique creuse de la langue de bois, préférant défendre le vocabulaire élyséen à rechercher en toute simplicité des bonnes idées pour diminuer le chômage, cherchant sans arrêt à polémiquer sans utilité pour les citoyens qui ne demandent qu’une chose : en finir avec la récession.

Entre celui qui fait diversion et celui qui veut reconstruire le modèle social

Face au ministre socialiste, Jean-Louis Borloo n’a pas voulu le suivre sur le chemin de la polémique stérile entre la droite et la gauche. Son discours était un brin familier, comme lorsqu’il a expliqué que lorsque le chômage avait atteint 10% lorsqu’il était Ministre de l’Emploi (du 31 mars 2004 au 15 mai 2007), le Président Jacques Chirac lui avait demandé : "Qu’est-ce que je peux faire pour t’aider dans la lutte contre le chômage ?". Il a voulu laisser les ego et surtout, les considérations politiciennes de côté et dire calmement : il y a la récession, que peut faire la France pour éviter l’aggravation du chômage ? Il a même voulu mettre à l’aise son interlocuteur en se faisant compréhensif, que le programme initial du PS n’avait pas prévu la récession etc. mais qu’il devait aujourd’hui réagir en tout pragmatisme.
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Cependant, si Jean-Louis Borloo n’a pas voulu se montrer mordant ni agressif, il a cependant beaucoup misé sur cette intervention télévisée. D’une coiffure impeccable, il voulait se présenter comme un homme de bonne volonté prêt à agir le cas échéant (même s’il a écarté toute idée d’union nationale, celle de devenir ministre dans un gouvernement socialiste). J’ai même trouvé que son apparence physique avait quelques airs de ressemblance avec Jean Lecanuet, dont la destinée politique ne fut toutefois pas couronnée de succès.

On peut d’ailleurs difficilement mettre en doute la sincérité de la démarche de Jean-Louis Borloo, qui avait présenté il y a une semaine dix points sur lesquels la classe politique pourrait se retrouver temporairement pour redresser l’économie du pays. Yves Calvi a bien tenté, pendant quelques minutes mais vainement, de faire de la politique politicienne en lui demandant si cette initiative n’avait pas quelques arrière-pensées pour marquer François Bayrou (ce qui n’a pas trop de sens puisque les deux centristes sont à peu près au même niveau de popularité dans les sondages), et cela a même donné l’occasion à Michel Sapin de manier l’humour hollandien de l’autodérision lorsque Jean-Louis Borloo a minimisé l’intérêt des sondages (même quand ils lui sont favorables, comme actuellement), le ministre socialiste approuvant son interlocuteur dans le fait que les sondages montaient et descendaient sans arrêt (c’est sûr que le gouvernement n’a pas trop intérêt à se baser sur les sondages actuels qui lui sont maintenant historiquement désastreux !).

Réforme des retraites

Dès le premier sujet, la réforme des retraites, Michel Sapin a montré une terrible mauvaise foi en disant que la réforme de 2010 avait échoué parce qu’il faut encore faire une nouvelle réforme. Ce qu’il a oublié de dire, c’est que son parti s’était opposé avec un entêtement irresponsable à la réforme de 2010 et que si celle-ci n’avait pas eu lieu, la situation aurait été bien plus grave financièrement qu’aujourd’hui. Il ne manque donc pas de toupet de refaire l’histoire de cette manière très polémique. D’ailleurs, son prédécesseur, l’artisan de la réforme de 2010, Éric Woerth, n’a pas hésité à tweeter en direct : « C’est amusant, ce sont toujours les derniers convertis qui parlent le plus ! ».
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Le pire, c’est que si le gouvernement a réaffirmé la nécessité d’une nouvelle réforme des retraites, Michel Sapin a refusé de donner ses propres perspectives sur la décision à prendre, entre réduire les pensions, augmenter les cotisations et augmenter la durée des cotisations (il n’y a pas beaucoup d’alternatives). Sous prétexte de concertation sociale, le ministre a montré surtout son absence de vision, et cela malgré le caractère très anxiogène de ce type de réforme. Il a refusé notamment de promettre qu’il n’y aurait pas de baisse de pouvoir d’achat des retraités.

Plus hypocritement, Michel Sapin a même eu la vacuité d’affirmer que la meilleure réforme des retraites, c’est de diminuer le chômage, puisque dans un tel cas, il y aurait plus de cotisants (une augmentation de 5% des emplois suffirait à financer les retraites). Le problème, c’est que cela ne dit pas comment réduire le chômage ! C’est comme le discours de François Hollande pendant la campagne et sa première année à l’Élysée, misant sur l’hypothétique croissance qui le sauverait de toutes décisions ingrates.

C’est d’ailleurs là-dessus qu’a souhaité revenir Jean-Louis Borloo.

Aide à domicile

Selon lui, le gouvernement Ayrault a commis trois grosses erreurs qui sont en train d’handicaper l’activité économique en pleine récession : la fin de la défiscalisation des heures supplémentaires (qui a été une catastrophe dans les ménages à petit budget, le PS se soucie-t-il vraiment des pauvres ?), l’augmentation à 10% de la TVA pour le bâtiment et pour les emplois de proximité, l’aide aux personnes (un secteur qui monte en flèche, notamment avec les problèmes de dépendance).

Jean-Louis Borloo a expliqué que cela pouvait encore se concevoir en période de croissance de 1,5 à 2% comme l’imaginaient les socialistes en 2012, mais pas en période de récession. Le leader de l’UDI prévoit même un "tsunami" sur les emplois de proximité avec une perte de 30% des aides à domicile, ce qui serait doublement catastrophique (économiquement et socialement).
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Michel Sapin a répondu par une pirouette, sans répondre sur le fond (augmentation massive de la TVA intermédiaire) en prétendant que c’était Martine Aubry, alors Ministre du Travail sous le gouvernement de Lionel Jospin, qui avait créé le principe de ces emplois de proximité, mais Jean-Louis Borloo, auteur de la loi n°2005-841 du 26 juillet 2005 créant le "chèque emploi service universel", a rappelé que ce type de dispositif à fiscalité allégée avait été conçu avant Martine Aubry, mais en oubliant le nom du ministre en charge de ce dossier (en l’occurrence, Michel Giraud, Ministre du Travail du 29 mars 1993 au 16 mai 1995, disparu récemment, le 27 octobre 2011, qui avait effectivement créé le "chèque emploi-service" par l’accord paritaire du 23 septembre 1994 prévu par l’article 5 de la loi du 20 décembre 1993).

Pourtant, il n’y a pas de pirouette à faire lorsque l’enjeu concerne 1,2 million d’emplois. Michel Sapin a fait preuve de tellement de légèreté que Jean-Louis Borloo s’est senti obligé de dire : « On pourrait peut-être éviter le péché de posture et le péché d’orgueil ! ».

Crédit d’impôt compétitivité emploi

Ensuite, le sujet de la compétitivité est venu dans la discussion. Michel Sapin, visiblement, ne connaissait pas bien le dossier. Jean-Louis Borloo a approuvé les 20 milliards d’euros prévus pour la compétitivité mais a fustigé l’exceptionnelle complexité du dispositif du CICE (crédit impôt compétitivité emploi) mis en place par le gouvernement, qui fait que la baisse des charges est différée d’une année, ce qui n’a aucun intérêt économique pour les entreprises qui ne vont pas investir maintenant avec de l’argent perçu un an après.

Au lieu de répondre sur le fond, comme toujours, Michel Sapin a fait une diversion en distinguant le fait que les coûts de production n’étaient pas uniquement les charges salariales. Ce qui est vrai, mais pourtant, le CICE est basé uniquement sur la masse salariale. D’ailleurs, dans sa piteuse démonstration, Michel Sapin s’est même emmêlé lui-même puisqu’il a ensuite parlé d’une baisse de 6% des coûts de production avec le CICE alors que c’est une baisse de 6% de la masse salariale.

Le plus désolant, c’est que le Ministre du Travail a nié la complexité du dispositif alors que la semaine précédente, le 6 mai 2013, dans la même émission, le sénateur socialiste de Tullins André Vallini, président du conseil général de l’Isère, reconnaissait que de nombreux chefs d’entreprise qu’il avait rencontrés ne connaissaient même pas l’existence de ce dispositif complexe.
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Pour nier la complexité avec autant de conviction, Michel Sapin doit forcément ne pas savoir comment le dispositif fonctionne. Il a été conçu à Bercy et son ministère (de l’Emploi) ne doit intervenir dans une seconde loi que pour intégrer un système de contrôle sur les sommes dépensées dans le cadre du CICE. D’ailleurs, c’est aussi ce qu’a reproché Jean-Louis Borloo, une structure gouvernementale qui ne donne pas les coudées franches au Ministre de l’Emploi et qui subit la prééminence du Ministère des Finances.

Jean-Louis Borloo a même raconté qu’il avait tenté de joindre la BPI (banque publique d’investissement dont Ségolène Royal est la vice-présidente et Jean-Pierre Jouyet le président) et qu’il n’existait aucun numéro de téléphone, ce qui n’est pas étonnant puisque ce n’est qu’une simple structure qui regroupe trois autres structures. La BPI a un rôle majeur dans le CICE puisqu’elle pourrait avancer les sommes qui seront plus tard reçues de l’État par les entreprises.

Emplois et avenir

Même sur les emplois aidés, Michel Sapin n’a pas été convaincant. Le gouvernement avait tablé pour 2013 sur 100 000 emplois d’avenir et il n’y en a à peine 20 000.

Certes, l’année n’est pas finie mais c’est un dispositif qui ne fonctionne pas vraiment. Jean-Louis Borloo a même précisé qu’il y avait moins de sommes gouvernementales consacrées aux emplois aidés aujourd’hui (2,6 milliards d’euros) qu’à la fin du quinquennat de Nicolas Sarkozy (2,8 milliards d’euros).
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Jean-Louis Borloo n’a pas compris non plus pourquoi le gouvernement ne mettait pas en place de vastes projets sur l’écologie durable, en exploitant les mers et les océans. Cette idée, d’ailleurs, n’est pas si éloignée de celle de Jean-Luc Mélenchon sur ce même thème, écologique et énergétique.

Incohérences ministérielles

Outre la mauvaise organisation du gouvernement avec sept ministres à Bercy et trop peu de pouvoir pour l’Emploi, Jean-Louis Borloo a critiqué l’absence de cohésion gouvernementale, comparant chaque ministre à des professions libérales qui ont leurs préoccupations très éloignées les uns des autres, regrettant que les ministres n’aient pas la même vision ou commettent des maladresses qui nuisent à la cohésion, citant en particulier Arnaud Montebourg avec Florange et Dailymotion (en contradiction avec Pierre Moscovici), mais il aurait pu évoquer également Vincent Peillon et Cécile Duflot.

Michel Sapin, lui, a confirmé implicitement l’imminence d’un remaniement ministériel, afin d’être « plus efficace que maintenant » (j’admire ces euphémismes utilisés, c’est tout l’art du vocabulaire hollandien !) et a cherché à faire les gros yeux aux députés socialistes susceptibles de voter l’amnistie sociale acceptée par le gouvernement lors de son vote au Sénat mais refusée lors de son passage à l’Assemblée Nationale : « J’aime bien la discipline de groupe, mais ce n’est pas une discipline militaire. ».
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Car c’est cela le gouvernement, c’est cette faculté de changer d’avis sans arrêt, sur la TVA, sur l’amnistie sociale, sur l’objectif du déficit budgétaire, sur la réforme des retraites… ce qui a permis à Jean-Louis Borloo de conclure en réclamant une meilleure visibilité : les "familles" et les entreprises n’investiront rien tant qu’elles auront la "trouille" de l’avenir par manque de visibilité fiscale.

Peut-être que la seconde conférence de presse du Président François Hollande, prévue jeudi 16 mai 2013 à 16h00, répondra en partie aux demandes de clarification en apportant aux Français quelques perspectives fiscales et sociales…

Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (14 mai 2013)
http://www.rakotoarison.eu

Pour aller plus loin :
C’est la faute des autres.
François Hollande.
Jean-Louis Borloo.
La compétitivité des entreprises.
Union nationale en France ?
(Dessins : les Shadoks de J. Rouxel).
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