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Tibet (25) Le Potala

Publié le 20 avril 2008 par Argoul

Nuit de Chine dans un lit vrai ! La première depuis si longtemps. Le petit-déjeuner est brumeux avec, déjà, de la pluie. Nous goûtons la banane du Népal, le yaourt de yack et le lait de coco importé d’une province du sud de Chine. Un autre groupe est dans l’hôtel. Ils ont l’apparence plus intello que nous ; ils ne marchent pas ; les femmes se sont vêtues de falbalas de batik. Toute cette étrangeté s’explique en quelques mots : ce groupe est en majorité formé d’enseignants. On reconnait l’Éducation Nationale au bout du monde à son air coincé, un brin supérieur, au déguisement écolo et aux conversations portant sur tout ce qui ne va pas. Désolé pour ceux qui ne sont pas comme ça, mais jamais je n’ai deviné aussi facilement le métier de ce groupe-là…

Lhassa est grise et froide depuis la vitre du bus qui nous conduit au Potala. Boutiques de béton, enseignes universelles et marchandises standard jalonnent les avenues.

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Le Potala est le nom du palais céleste d’Avalokiteshvara, dont le dalaï-lama est la réincarnation. Le Potala réel est construit depuis 1645 sur une crête rocheuse à 130 m au-dessus de la ville, appelée la « colline rouge ». Le 23 mars 1959 le drapeau rouge flotte sur le palais. Le 30, le Dalaï-lama franchit la frontière indienne après avoir quitté le Potala le 17. Le palais a été entièrement repeint en 1995 pour marquer le 30ème anniversaire de la création de la « Région autonome du Tibet », cette création artificielle tronquée du Tibet ethnique ou historique par la République Pop chinoise. L’ascension de ses 125 marches est presque aussi ardue qu’un col ; nous sommes encore à plus de 3650 m d’altitude ! Le palais m’apparaît mieux restauré et beaucoup mieux éclairé à l’intérieur qu’il y a sept ans. L’on ressent aujourd’hui une impression de grande richesse alors que tout restait caché auparavant. Mais le parcours reste un labyrinthe. Les chiottes médiévales – publiques – sont accessibles dans la grande cour de Deyang Shar ; elles valent le détour pour ramener sur terre les prétentions occidentales à considérer ce palais comme une église : c’est une suite de trous dans les courants d’air - courants d’ailleurs indispensables en raison de l’odeur - vingt mètres de vide au-dessous. Elles prouvent que l’existence terrestre garde ses droits et que l’homme ne peut se sortir de sa condition quasi animale qu’en élevant son esprit ! Alexandra David-Néel écrivait en 1924 : « on pourrait passer des jours et des mois à lire en images, dans les corridors et les galeries innombrables du grand palais lamaïque, les légendes des dieux et des saints représentées par des millions de petits personnages grouillant sur les fresques. Les épisodes, les attitudes et les vêtements sont spirituellement traités, l’ensemble est plein d’animation et de vie. »

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Nous visitons le palais blanc, première construction historique et demeure du dalaï-lama, avec ses grandes portes décorées d’animaux, tigres, lions, oiseau roc, dragons. La porte de la Convergence Parfaite est gardée par sept lions blancs au-dessus, emblèmes royaux, le bois de la porte décoré de frises colorées et de ferrures de bronze. Les piliers, les plafonds, sont faits de bois sculpté et peint. Le palais rouge contient les stupas où sont enterrés huit des dalaï-lamas successifs. Ceux des 5ème et 13ème sont les plus kitsch. Statues, statues, statues - dorées, chargées, sacrées. Pour les bouddhistes elles ont des mérites par elles-mêmes, portant un peu des vertus des personnages qu’elles représentent. Elles sont de tous les styles, venant aussi bien des Indes que du Népal ou de Chine, ou fabriquées au Tibet. Tous les dalaï-lamas sont représentés, mêmes ceux qui sont morts enfants. Le stupa le plus ancien est simple, blanc, et date du 7ème siècle. Il y a huit types de stupas dont je vous fais grâce… Un Avalokiteshvara aux onze visages, cent bras et cent yeux vient de Chine, comme une statue en cristal de Sakyamouni et la statue de jade d’Amitabha. Chapelles, corridors, halls, galeries, cours intérieures… Nous passons la porte de la Libération du Grand Bodhi décorée de statues de Bouddha, des cinq Désirs, des six Solennels et des deux Philosophes Suprêmes Bouddhistes. Des mandalas précieux en bois et cuivre sont exposés sous vitrine dans une salle. On peut en faire le tour. L’un date du 15ème siècle, un autre de 1749. 

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Le trône du dalaï-lama, dans le hall d’audience ouest, est décoré de svastikas tournant dans les deux sens, symbole d’unité entre böns (qui tournent dans le sens trigonométrique) et bouddhistes (qui tournent dans le sens de l’heure). Syncrétisme un peu dépassé aujourd’hui que les communistes chinois sont aux portes. Seule la photo du 13ème Dalaï-lama, le prédécesseur de l’actuel, est exposée. « Notre » dalaï-lama n’existe pas officiellement pour les Chinois, tentative puérile de nier la réalité. La salle du trône recèle une grande peinture retraçant l’histoire du Bouddha Sakyamuni sur fond vert.
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Dans la salle du Conseil qui la jouxte, un moine adolescent est occupé à reproduire à la mine de crayon un dessin de Bouddha assis en lotus. Exercice spirituel, ascèse méditative, sa jeunesse a encore beaucoup à progresser pour se détacher du monde. Il a en effet subtilement changé le visage du Bouddha devant lui, le faisant basculer de bienveillant à séduisant. Nombres de religieux chrétiens ont projeté ainsi sur les représentations du corps du Christ ou des martyrs leurs désirs des hommes.

Nous sommes loin d’être les seuls touristes dans le palais. Passent des chinois en groupes, des japonais. J’entends deux américains évoquer la « stupidity » des chinois affichant des slogans en anglais sans queue ni tête sur leurs tee-shirts. Une bourgeoise du parti se déguise en princesse antique pour se faire prendre sur le toit (mais seulement en photo) par son mari. La scène est très kitsch à nos yeux. Un caporal femelle affecté ici à la police chinoise, tunique stricte, cheveux courts, air dur, pilote par le bras sa fille trop tôt grandie pour poser devant les toits dorés. Un air de victoire semble flotter sur ses lèvres tandis qu’un homme quelconque immortalise l’image de la Chine flic au sommet du Potala. Pendant ce temps, les manœuvres tibétaines bouchent les fissures de la terrasse en tassant en rythme de petits cailloux avec des masses de béton. D’autres, munis d’un palet, tapent d’un mouvement régulier pour damer le faîte des murs de terre. L’indigence des instruments, le nombre des ouvriers, me laissent l’impression de travaux infinis, alibis, comme cette scène classique des manuels de base en économie où l’on décrit « le travail » comme le processus purement économique par lequel un homme rebouche le trou creusé par un autre. Cela produit deux salaires – mais ne sert socialement à rien. De même la Chine restaure à l’infini ce palais qu’elle avait laissé longtemps à l’abandon après avoir failli le détruire comme symbole de « féodalisme ».

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Toutes ces bondieuseries au mètre carré rassemblées dans ce palais-musée dépriment Michel. On peut voir en effet les « traces de pas » du cinquième dalaï-lama à deux ans, conservées dans le plâtre, mais surtout une masse de petits billets glissés ça et là, sous la langue d’un lion de bronze sur le toit, par les trous d’un grillage devant un trône, aux pieds d’une statue révérée. Ce mélange de fric et de superstition nous apparaît archaïque, mais il est tout ce qui reste de la religion tibétaine une fois que la spiritualité des élites a fui. Pourtant il importe peu, au fond, de croire ou non en un dieu. Ce qui importe c’est de vivre une vie juste, en harmonie avec l’univers. Tel est le principe du bouddhisme. L’hypothèse de Dieu n’est pas obligatoire. Chacun fait son salut par ses actes plutôt que par sa foi. Il n’a d’autre juge que son propre destin.


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