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Un capitalisme plus aussi profitable?

Par Alaindependant
jeudi 16 mai 2013

« En bref, dit Immanuel Wallerstein, la concomitance d’une dé-ruralisation déjà énorme mais augmentant quand même et de la rapidité avec laquelle les travailleurs peuvent prendre conscience de leur faible salaire relatif et donc s’engager dans l’action syndicale a provoqué une hausse continuelle des salaires des travailleurs les moins qualifiés, et, donc, une pression mondiale négative sur les possibilités d’accumulation du capital. Ce n’est pas une bonne nouvelle pour les multinationales. »

C'est donc la crise pour le capital !

Une situation à saisir pour les travailleurs ?

Même si « Changement de société » ne partage pas l'analyse d'Immanuel Wallerstein, il m'apparait tout à fait intéressant et opportun d'en prendre connaissance.

Et, pour ma part, je précise que le capitalisme d'Etat qui a existé, et continue d'exister sous différentes formes, n'a rien de commun avec un « système social post-capitaliste ».

M.

Fin du voyage pour les usines itinérantes ? Par Immanuel Wallerstein

Immanuel Wallerstein est actuellement professeur de sociologie à l’Université de Yale.

source : http://www.iwallerstein.com/road-runaway-factories/

traduit de l’anglais par Marc Harpon pour Changement de Société

Changement de Société ne partage pas l’avis d’Immanuel Wallerstein suivant lequel, un système social post-capitaliste "n’a jamais existé dans l’histoire". Son analyse de l’impasse dans laquelle s’oriente le mode de production capitaliste et la "mondialisation" n’est pas pour autant dépourvue d’intérêt.

Depuis qu’existe une économie-monde capitaliste, un mécanisme essentiel pour son fonctionnement a été l’usine itinérante [runuway factory]. Après une période d’accumulation significative du capital par de prétendues industries de pointe (habituellement environ vingt-cinq ans), le niveau de profit baisse, à la fois du fait du recul de la position de quasi-monopole de l’industrie de pointe et du fait de l’augmentation des coûts du travail liée à une forme ou une autre d’action syndicale.

Quand cela se produisait, la solution était pour les usine de « s’en aller ». [runaway]. Cela veut dire que le site de production était transféré ailleurs dans le système-monde, dans un lieu doté de « niveaux de salaires historiquement bas ». En effet, les capitalistes contrôlant les industries de pointe échangeaient alors des coûts de transaction plus élevés contre un coût du travail plus bas. Cela maintenait pour eux un revenu significatif, bien que plus faible que dans la période précédente de quasi-monopole.

La raison pour laquelle les coût du travail étaient plus bas dans le nouvel espace est que l’usine itinérante recrutait des travailleurs de zones rurales, auparavant moins impliqués dans l’économie de marché. Pour ces travailleurs ruraux, l’opportunité de travailler dans ces usines itinérantes représentait une hausse de revenu réel, tandis que, pour les propriétaires, ces travailleurs étaient moins payés que ceux du lieu antérieur de la production. C’est ce qu’on appelle une solution gagnant-gagnant.

Le problème avec cette solution apparemment merveilleuse a toujours été qu’elle ne durait pas. Après environ vingt-cinq ans, les travailleurs du nouvel espace commençaient à se syndiquer, et le coût de leur force de travail commençait à augmenter. Quand il dépassait un certain seuil, les propriétaires de l’usine itinérante n’avaient plus qu’une option- «s’en aller »  [runaway] une fois de plus. Pendant ce temps, de nouvelles industries de pointe étaient élaborées dans des zones ayant accumulé des richesses. Ainsi, il y a eu un mouvement permanent des sites occupés par les industries de toutes sorte. Quasi-monopole après quasi-monopole ! Usine itinérante après usine itinérante !

Ce fut l’une des merveilles du capitalisme : l’ajustement à un long processus de changement constant de contexte. Ce merveilleux système dépendait malheureusement d’un élément structurel- la possibilité de trouver de nouvelles zones « vierges » pour la délocalisation des usines itinérantes. Par zones vierges, j’entends des zones rurales qui étaient relativement peu impliquées dans le marché mondial.

Toutefois, au cours des 500 dernières années, nous avons « utilisé » ces zones. On peut mesurer cela assez simplement en observant la dé-ruralisation des populations du monde. Aujourd’hui, de telles zones rurales sont réduites à une minorité de la surface du monde, et il semble probable que, d’ici à 2050, elles seront devenues une très très petite minorité.

Pour voir les conséquences d’une dé-ruralisation si massive, nous avons seulement besoin de nous tourner vers un article du New York Times du 9 avril dernier. Il est intitulé « Hello, Cambodia » [« Bonjour Cambodge », ndt]. Cet article décrit la « fuite » vers le Cambodge d’usines quittant la Chine à cause de la hausse des salaires en Chine, dernier bénéficiaire des usines itinérantes. Toutefois, poursuit l’article, « les entreprises multinationales découvrent qu’elles peuvent fuir les hausses de salaires mais pas se cacher ».

Le problème pour les multinationales est que l’incroyable expansion des communications a causé la fin de la situation gagnant-gagnant. Les travailleurs au Cambodge ont commencé l’action syndicale après seulement quelques années et non pas après vingt-cinq ans. Cela diminue évidemment l’avantage pour les multinationales d’un déménagement au Cambodge, au Myanmar, au Vietnam ou aux Philippines. Il s’avère maintenant que les avantages des délocalisations en Chine ne sont pas si énormes.

L’article du Times relève que « certaine usines ont déménagé malgré tout, à la demande d’acheteurs occidentaux, qui craignent de ne dépendre que d’un seul pays ». Conclusion d’un consultant industriel : il y a des risques à déménager au Cambodge, mais « il y a aussi un risque à rester en Chine ». Ceci dit, y-a-t-il un endroit nouveau où installer l’usine itinérante ? Ou le Cambodge est-il la fin du voyage ?

En bref, la concomitance d’une dé-ruralisation déjà énorme mais augmentant quand même et de la rapidité avec laquelle les travailleurs peuvent prendre conscience de leur faible salaire relatif et donc s’engager dans l’action syndicale a provoqué une hausse continuelle des salaires des travailleurs les moins qualifiés, et, donc, une pression mondiale négative sur les possibilités d’accumulation du capital. Ce n’est pas une bonne nouvelle pour les multinationales.

Ce n’est qu’un élément dans ce qui est devenu la crise structurelle du système-monde moderne. Nous faisons l’expérience de mesures d’austérité de plus en plus dures pour les 99%, avec un système capitaliste qui n’est plus aussi profitable qu’autrefois pour les capitalistes. Cette conjoncture de facteurs signifie que le capitalisme, en tant que système-monde, est sur le déclin.

Les deux camps cherchent des alternatives- différentes pour chacun évidemment. Nous faisons face à la responsabilité d’un choix collectif pour les prochaines décennies. Une possibilité est celle d’un nouveau système non-capitaliste qui reproduise (et peut-être aggrave) les trois traits essentiels du capitalisme- hiérarchie, exploitation et polarisation. L’autre possibilité est celle d’un nouveau système qui soit relativement démocratique et relativement égalitaire. Ce dernier système, on doit le souligner, n’a jamais existé dans l’histoire du monde. Mais il n’est pas impossible.

Dans tous les cas, le Cambodge n’est pas l’avenir du système-monde moderne. Il représente plutôt les derniers vestiges d’un mécanisme qui ne remplit plus sa fonction : sauver le capitalisme.


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