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Quand Babelio rencontre l’éditeur et fondateur de la maison d’édition Kero

Par Samy20002000fr

Depuis peu, en parallèle aux interviews d’auteurs, l’équipe de Babelio a décidé de rencontrer aussi leurs éditeurs. Pour comprendre ce en quoi consiste leur métier, s’enquérir de la spécificité de chaque maison, et grapiller quelques informations exclusives sur les prochaines publications. Philippe Robinet, fondateur des éditions Kero ouvre le bal. Compte rendu.

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Babelio: Kero est une toute jeune maison d’édition, quelle est la démarche qui vous a mené à créer cette maison d’édition, et pourquoi maintenant ?

Philippe Robinet: Justement parce que Kero est la contraction de kairos qui veut dire « le moment présent», «  le moment de faire quelque chose ». Après plusieurs années dans l’édition, je me suis aperçu que l’écosystème était en train de bouger – et pas seulement à propos de l’e-book. Je veux parler des rapports entre auteurs et éditeurs. C’était donc le bon moment de créer une nouvelle approche entre les deux : il ne s’agit pas d’une approche révolutionnaire, mais simplement une évolution du mode de fonctionnement.  Après dix années heureuses dans un grand groupe, Editis, j’ai trouvé que c’était le moment de privilégier une initiative entrepreneuriale individuelle, et proposer aux auteurs un lieu dans lequel nous éditons 20 ou 25 livres par an, et qui sera tourné particulièrement vers l’auteur. Nous ne sommes pas les seuls, mais notre spécificité est d’avoir établi une nouvelle forme de contrat entre l’auteur et l’éditeur. C’est la mode, aujourd’hui, mais il est particulièrement important de se dire que la chaine de fonctionnement entre nous tous doit être revue, car le système dans lequel nous travaillons semble dater.  Par ailleurs, la préoccupation centrale de l’éditeur est de faire en sorte qu’un auteur, qui a quelque chose à dire, soit reçu par son public. Ce système de pont était jusque là sous la seule dimension du papier. Il l’est encore, mais il est aussi dans un système multidimensionnel –le numérique, l’adaptation, la traduction … Ensuite, l’éditeur doit donner son avis sur le texte, accompagner l’auteur, et ce rôle doit être réaffirmé. Et la solution est de consacrer plus de temps aux auteurs. Je ne dis pas que les autres maisons ne le font pas, seulement nous avons souhaité globaliser cette démarche, et aujourd’hui nous avons la confirmation que c’est une bonne chose : d’abord parce qu’on est heureux de faire ce qu’on fait,  on a pu aider des auteurs formidables qui reviennent, qui nous font confiance, et parce que dans le climat très difficile dans lequel est le livre aujourd’hui, Kero se porte bien. Et c’est en cela que l’on se différencie des autres maisons d’éditions. Par cette couleur, par cette petite musique particulière.

 

Vous défendez un souci de transparence dans les chiffres entre les éditeurs et leurs auteurs, est-ce selon vous une des clés de la réussite du tandem auteur-éditeur ?

P.R. : Oui, la transparence est véritablement importante dans la relation de l’auteur à l’éditeur. Un auteur doit pouvoir avoir accès aux chiffres de ventes, aux classements. Si l’on veut, on peut ne rien cacher, nous avons tous les chiffres, tous les jours, alors pourquoi ne pas donner aux auteurs ces informations ? Aujourd’hui, nous avons accès à des informations sur toute notre vie facilement – notre compte en banque … Au cinéma, tout le monde à les chiffres de vente le mercredi après-midi, mais ça n’existe pas dans l’édition. C’est simplement une question de confiance. Attention cependant à ne pas tomber dans l’extrême, nous sommes dans une société de transparence. Il ne faut pas négliger l’importance du secret, qui nourrit d’ailleurs de nombreux livres. Donc plutôt que de transparence, je pense qu’il faut parler de responsabilité, entre l’auteur et l’éditeur, dans son aspect commercial : l’auteur a le droit, s’il le souhaite, de pouvoir dialoguer avec son éditeur sur des bases réelles. C’est d’ailleurs assez amusant de constater, avec le recul que l’on a maintenant, que certains auteurs consultent régulièrement ces informations, tandis que d’autres ne le consultent jamais.

Parlons un peu du lecteur, pouvez-vous identifier un lectorat ?

P.R. : Non, puisque privilégier la relation de l’auteur à l’éditeur nous permet d’accueillir des auteurs aussi différents que Michel Rostain – avec qui j’ai eu le bonheur de recevoir le prix Goncourt du premier roman en 2011, ou Laurent Baffie. De l’un à l’autre, le lectorat est extrêmement différent. J’aime bien lire des livres exigeants, et j’aime aussi me distraire. C’est cela le sel de la vie, et c’est aussi cela le sel de Kero. Pouvoir retrouver des auteurs comme Michel Rostain, Catherine Charrier, Laurent Gounelle, Laurent Baffie, Philippe Vandel, mais aussi des auteurs américains, Gayle Forman, Mitch Albom …

Comment choisissez-vous vos auteurs ?

P.R. : Un mot : coup-de-cœur. C’est un choix réciproque, ensemble, nous vivons de belles histoires. C’est un travail de longue haleine, l’auteur nous livre un manuscrit sur lequel il a beaucoup travaillé. Il faut donc savoir être reconnaissant. Et l’accompagner dans sa démarche, autant qu’il le souhaite.

Qu’est ce que vous a apporté votre carrière d’éditeur avant de fonder Kero ?

P.R. : D’un point de vue personnel, il y a eu des rencontres extrêmement importantes, comme celle avec Michel Rostain avec qui je travaille depuis 2009, de façon quasi-quotidienne. D’un point de vue professionnel, je me suis nourris de mes expériences, d’abord au Serpent à Plumes, puis chez Oh ! Editions. Je pense que l’éditeur, passé un certain âge, est comme le bon vin, il a tendance à se bonifier en vieillissant. Reste qu’il ne faut pas qu’il soit bouchonné…

Vous publiez tous vos livres simultanément en version papier et en version numérique. Pouvez-vous faire un bilan concernant cette démarche après un an de fonctionnement ?

P.R. : Sans oublier le format audio pour une partie des livres, les traductions, les versions en gros caractères. Les supports sont nombreux. Pour parler plus particulièrement du numérique, le bilan est simple, dans la mesure où le marché de l’e-book est à 1.5%. C’est l’occasion de vivre des expériences très différentes. Je pense à deux livres en particulier, celui de René Manzor et celui de Maïa Mazaurette. Les deux ont été très bien accueillis en e-book, mais pour des raisons différentes. Maïa Mazaurette est très connue sur Internet car elle tient un blog, le lancement en version numérique nous a donc permis de mieux façonner la version papier. L’univers de René Manzor, une ambiance de polar fantastique, correspondait particulièrement au marché de l’e-book à sa parution, et son roman s’est retrouvé troisième des ventes sur Amazon l’an dernier.

Parmi la vingtaine de livres que vous avez publiés depuis la création des éditions Kero, il y a à la fois des premiers ou deuxièmes romans, et des noms plus médiatiques. Est-ce que cette alternance est volontaire ou est-ce qu’il s’agit du hasard des manuscrits et des rencontres?

P.R. : C’est absolument volontaire, car comme je l’expliquais plus haut, il est important de varier ses lectures. Le monde est ainsi. Le livre de Laurent Baffie, par exemple est extrêmement intéressant. Il a beaucoup travaillé, et a en effet beaucoup de talent. J’admire quelqu’un qui arrive à donner comme définition du mot Enterrement : « Dernière sortie en boîte ». C’est fin, drôle et intelligent.

Travaillez-vous de la même façon avec les différents auteurs ?

P.R. : Non, chacun a sa personnalité. Si on prend le travail sur le texte, par exemple, il y a des auteurs avec qui le dialogue est quasi quotidien, alors que d’autres nous sollicitent très peu. Nous sommes là pour écouter l’auteur, et intervenir au bon moment. Nous ne sommes pas là à leur service, mais nous sommes là pour les aider. Il faut reconnaître le moment où notre intervention est légitime et constructive. Et ils attendent de nous d’être présents, et disponibles.

Quels sont vos projets de parution pour les mois à venir ?  

P.R. : Les projets sont dans la diversité que nous évoquions. Il y a des premiers romans : celui de Jade-Rose Parker, que nous publierons pour la rentrée littéraire ; celui de Bernard Zekri, qui raconte l’histoire d’un dijonnais qui décide d’importer le rap en France, et qui va accompagner des icônes comme Madonna. Marek Halter, qui nous rejoint, a été longtemps sollicité pour raconter sa vie, et il s’apprête à publier un livre très touchant, où il explique comment il en est arrivé à être ce qu’il est. Laurent Baffie, aussi, revient, en mettant sur papier certaines de ses plus belles répliques. Philippe Vandel, l’éternel curieux, publiera un nouveau livre lui aussi… Et pour tous, nous allons veiller à ce que les livres apparaissent bien en librairie. Je fais partie de ceux qui pensent que, sans utopie, on vit mieux quand on lit que quand on ne lit pas. Et c’est cela qu’il faut marteler.

Pourriez-vous faire un bilan après un an d’existence ?

P.R. : On peut en faire sous plusieurs formes. Humainement : on constate que les auteurs reviennent, et sont satisfaits du travail que nous avons fait ensemble. Quantitativement : Laurent Baffie a été dans les meilleures ventes de l’année 2012 dans la catégorie des livres non-fiction, Laurent Gounelle est entré dans les dix auteurs français les plus vendus. Plus généralement, c’est une belle somme de belles expériences.

Quelles ont été les plus belles surprises de cette année en tant qu’éditeur ?

P.R. : L’accueil du nouveau livre de Michel Rostain, dans la presse, par la critique, est formidable. Il a toujours dit qu’il avait trois rêves dans la vie : être metteur en scène d’opéra, ce qu’il a fait pendant toute sa vie ; être écrivain : il a reçu le prix Goncourt du premier roman ; et être toréro : à son âge, cela risque être compliqué. Il faut croire au pouvoir des auteurs, croire aux livres que l’on défend. Tout le monde se doute qu’à la sortie du livre de Laurent Baffie, nous avons essuyé quelques rires : le livre a été un succès. Et si la qualité ne se mesure pas quantitativement, c’était un beau défi.

Vous êtes aussi Président de l’association Le Labo des histoires, qui propose des ateliers d’écriture aux 15-21 ans. Qu’est-ce que cela vous apporte en tant qu’éditeur ?

P.R. : Il y a quelques années, on s’est dit qu’il fallait à tout prix casser cette paroi de verre qu’il y a entre les jeunes et les anciens sur la question de l’écriture : d’un côté il y a ceux qui disent que les plus jeunes ne savent plus écrire, qu’ils écrivent n’importe comment, ce à quoi les concernés répondent qu’ils n’ont jamais autant écrits, c’est seulement qu’ils écrivent différemment, mais ils écrivent toute la journée. Ces deux mondes ne se parlaient pas. Aux Etats-Unis, un auteur a créé, il y a 7 ou 8 ans, un lieu où les jeunes peuvent rencontrer des auteurs, des paroliers. Ce genre d’espace existe très peu en France. Il y a deux ans, nous avons donc créé, avec des soutiens associatifs, celui de la région Ile de France, Le Labo des histoires. C’est un espace dans le 10ème arrondissement de Paris où les jeunes peuvent rencontrer des auteurs, des éditeurs ou des journalistes. En tant qu’éditeur, c’est pour nous une autre façon de parler d’écriture, une autre façon de parler aux jeunes. Il est important de les écouter, et de leur expliquer ce qu’est aujourd’hui le milieu du livre. Il y a ceux qui pensent que c’est un milieu inaccessible, et ceux qui méconnaissent le métier de l’éditeur, qu’ils associent à Amazon, ou Kobo. C’est cet amalgame qu’il faut corriger. Le plus important reste néanmoins que l’écrit soit vivant. Notre rôle est de faire en sorte que tout cela émerge, que tout cela bouillonne.

 (Photo: copyright Pascale Lourmand)


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