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Reconquête du AAA : mission impossible pour la France?

Publié le 21 mai 2013 par Sia Conseil

Reconquête du AAA : mission impossible pour la France? En Janvier 2012, l’agence de notation Standard & Poor’s a confirmé la réduction de la note de neuf pays de l’union européenne, mettant à cette date la quasi-totalité des pays de la zone en perspective négative. Parmi les pays dont la note a été abaissée, La France a perdu la notation AAA qu’elle détenait depuis plus de 30 ans.

Dix mois plus tard, le 19 novembre 2012, l’agence de notation Moody’s entérine ce diagnostic en dégradant la France d’un cran. La justification de l’abaissement communiquée par l’agence Standard & Poor’s reflète  « l’aggravation des problèmes politiques, financiers, et monétaires dans la zone euro à laquelle la France est étroitement liée ». Celle de Moody’s évoque des «perspectives économiques de long terme affectée de manière négative » dont « une perte de compétitivité graduelle mais continue ». Les deux agences soulignent les « rigidités du marché de travail ». Mais l’attribution d’une note est-elle si simple ? Quelles  démarches ont adopté les pays qui ont perdu leur triple A pour le reconquérir par la suite ? Enfin, une situation d’upgrading pour la France, est-elle envisageable ?  Et si oui, à quel horizon ?

Afin de répondre à l’ensemble de ces questions, il semblerait nécessaire de décrypter, dans un premier temps, la méthodologie employée par ces agences lors d’une attribution d’une note souveraine.

Rappel des critères de notation des agences

Le système employé par la plupart des agences de notation repose sur une analyse d’un certain nombre de facteurs à la fois qualitatifs et quantitatifs ayant pour objectif de déterminer la volonté et surtout la capacité d’un Etat à rembourser sa dette. Chacun de ces facteurs se voit attribuer un score individuel afin de constituer la note globale.

Le facteur institutionnel et politique, de nature purement qualitatif, évalue l’équilibre des institutions et des politiques de l’Etat et leurs capacités à assurer une croissance économique stable et des soldes budgétaires soutenables en tenant compte des tendances historiques de l’économie. Le score attribué est le plus souvent basé sur les études de tiers tels que celles publiées par la Banque Mondiale ou Transparence International ayant pour objectif de donner un avis globale sur  la transparence et la fiabilité des institutions ainsi que les éventuels risques géopolitiques auxquels l’Etat serait potentiellement soumis.

La France continue à garder une solide réputation auprès de la communauté internationale en termes de transparence de ses politiques, de plus elle présente des  risques géopolitiques faibles avec très peu de difficultés liées à la corruption du gouvernement ou d’autorités structurant du pays. Concrètement, le sujet n’est pas là. Malgré un déficit budgétaire historique assez important, la France n’a pas connue de banqueroute depuis plus de deux siècles et le risque d’une faillite potentielle dans un proche avenir est loin d’être envisageable.

Des ajustements du score attribué ici ont fréquemment lieu en ce qui concerne les pays directement impactés par un organisme supranational, tel que l’Union Européenne dans le cas de la France. En effet, le score s’ajuste à la hausse si l’appartenance à l’union facilite par exemple l’accès aux sources de financements  exceptionnels. Dans le cas contraire, la note s’ajuste à la baisse. Il est donc envisageable que la mise en place du mécanisme Européen de stabilité (MSE) MSE cette année ne fait que renforcer un score maximal dans cette catégorie.

Le facteur économique  repose sur une évaluation du potentiel de croissance économique compte tenu de la structure et de la richesse de l’économie réelle. Le score ci-attribué se base sur des critères, là encore quantitatifs et qualificatifs en tenant compte des éléments tels que le PIB par habitant, les perspectives d’évolution de celui-ci ainsi que la diversité  et la stabilité du tissu économique.

Dans le communiqué de presse diffusée le jour de la dégradation en 2011, Standard & Poor’s précise le fait que sa décision continue à « refléter son économie saine, diversifiée et solide dont la main d’Ĺ“uvre est hautement qualifiée. » En effet, la France reste parmi (source FMI) les 20 pays les plus riches du monde en termes de PIB par habitant. Avec une valeur d’environ 41 000 dollars, ce chiffre est en baisse de – 4,5 % depuis 2011 et une hausse ne semble pas envisageable dans un proche avenir. De plus, les dernières prévisions de l’OFCE anticipent une croissance économique de 0% du PIB en 2013 et un taux de chômage qui atteindra 11% de la population active en 2013. Ajoutons la valeur de l’indice des prix à la consommation (IPC) en hausse d’environ 2% en moyenne sur l’année sans une augmentation du salaire moyen, il semblerait évident que le score attribué ici sera ajusté à la baisse. Par ailleurs, des vagues de désendettement qui frappent actuellement la quasi-totalité de l’euro zone ne faciliteront pas les mesures visant à amplifier la croissance économique de la France.

Le facteur extérieur, quant à lui vise à étudier la balance des paiements d’un pays par rapport au reste du monde. Sont analysés ici des ratios de dette et de liquidité extérieure ainsi que le statut de la devise du pays dans les transactions internationales. Un avis par rapport au ratio de la dette extérieure constitue un poids important du score attribué pour ce facteur.

La dette extérieure  de la France s’élève à environ 7,8 milliards d’euros le mettant à la  troisième place des pays  les plus endettés au monde juste derrière les Etats-Unis et le Royaume Unis. Un ratio de dette important n’est problématique que lors qu’il devient insoutenable c’est-à-dire lorsqu’un pays doit aux prêteurs étrangers plus que ce qu’il emprunte aux contreparties étrangères, dépassant de manière importante son PIB. Jusqu’à  présent ce facteur n’a pas contribué à la dégradation de la note française, eu égards à la faiblesse des taux dont a bénéficié le pays pour se refinancer. Cependant, cette situation pourrait s’inverser dans un avenir proche si les marchés financiers réagissaient de manière négative à la situation actuelle de l’Etat français. De plus, les engagements colossaux pris pour soutenir les pays en crise  (Grèce en tête) de l’Eurozone ne peuvent qu’aggraver la situation.

Le facteur budgétaire  consiste en une évaluation des futures performances budgétaires compte tenu des perspectives d’évolution de la dette de l’Etat au sens large, des risques hors-bilan et de la flexibilité budgétaire de manière globale.

Depuis les années 80, la dette de l’Etat français a augmenté de façon continue. Au deuxième trimestre 2012, la dette globale de la France s’établit à 1832,6 Mds d’euros et s’élèvera à environ 91% du PIB à la fin de 2012. Malgré une capacité de soutenir des soldes budgétaires positifs notamment grâce aux très faibles taux d’intérêts auxquels l’Etat a pu se refinancer et contenir par conséquent la charge de la dette, le chiffre en lui-même est particulièrement alarmant. Ce dernier atteint un niveau qui freine la croissance économique selon la plupart des études statistiques.  Le seul espoir que le score soit réajusté à la hausse pour ce facteur réside dans l’efficacité des mesures de réduction du déficit publique à court terme et dans la capacité de l’Etat français à contenir ses risques hors bilan en veillant notamment à la santé de son système bancaire.

Le facteur monétaire évalue, quant à lui, les capacités dont disposent les autorités monétaires à limiter la détérioration de la qualité de crédit d’un Etat en période de crise économique ou financière à  travers la politique monétaire. Pour les pays appartenant à une union monétaire le score attribué s’établit  à un double niveau afin de prendre en compte également la flexibilité de l’union dans son ensemble.

Dans le cas de la France, il s’agira donc d’évaluer la capacité de la Banque Centrale Européenne à soutenir la croissance économique en période de crise. Compte tenu des difficultés de l’euro zone on pourrait imaginer que le score attribué pour ce facteur ait été ajusté à la baisse d’environ un cran. Au-delà des capacités potentielles du mécanisme de stabilité européen  dans le cadre de l’aide aux pays en difficulté, il faut bien garder en tête le fait que les autorités de la zone monétaire européenne doivent faire face aux besoins de l’ensemble des pays qui la compose. De plus, la valeur relativement élevée de l’euro en tant que devise n’aidera pas la croissance économique de la France qui pourrait potentiellement être freinée dans sa quête d’une  augmentation des exportations par exemple.

Retrouver  la précieuse notation AAA : rare mais pas impossible :

Bien que loin d’être la règle au cours des vingt dernières années, l’observation empirique des pays ayant perdu leur triple A et qui ont réussi à la regagner dans les années suivantes permet de se rendre compte que ce processus reste possible. Il faut cependant en moyenne un minimum de dix années pour reconquérir le triple A:

L’Australie a perdu son AAA chez Standard & Poor’s et Moody’s en 1986 et l’a regagné par la suite en 2002. Le pays a  reconquis le triple A suite à une sensible progression de sa croissance économique obtenue grâce à une vaste transformation de l’économie. La dérégulation de plusieurs secteurs qui avaient perdu en termes de compétitivité a été la clé de voute de cette croissance.  Le pays a également pu s’appuyer sur une riche industrie minière qui a notamment bénéficié du décollage économique de la Chine.

Le Canada quant à lui, a réussit à réduire sa dette de 98% du PIB en 1995 à 75% en 2002. Le pays s’est restructuré en mettant en Ĺ“uvre une politique rigoureuse : le gouvernement a ainsi limité les dépassements budgétaires, tant au niveau national que régional (ciblant notamment l’Ottawa), et n’a pas hésité à remodeler le visage de son modèle économique et de son projet de société en supprimant par exemple environ 25% des postes de fonctionnaires publiques. En 2002, avec un taux de croissance proche de 3,3% du PIB, le gouvernement canadien avait réussi à afficher un surplus budgétaire lors des cinq exercices précédents.

La Suède a pour sa part, perdu son triple A en 1991 lorsque le pays a vu son ratio dette / PIB passer d’environ 43% en 1990 à environ 78 %  en 1994. Suite à une période d’austérité budgétaire qui n’a pas duré plus de 5 ans,  le pays a réussi à réduire ce ratio de 26 points et à générer un surplus budgétaire d’environ 1,7 % du PIB.

Quant à la Finlande, elle est revenue de loin. Suite à une perte initiale de son triple A en 1990, le pays a vu sa note baisser d’un nouveau cran encore deux ans plus tard. Afin d’obtenir un premier upgrade en 1998, le pays a fourni de solides efforts en termes de réduction de la dette publique en privilégiant la privatisation de plusieurs entreprises clés afin de faire face à la récession inhérente à cette période. Le deuxième upgrade a lui eut lieu, lui,  après l’annonce de l’adhésion de la Finlande à l’Union Européenne.

Peut-on envisager une situation d’upgrading pour la France ?

Quel est le point commun entre tous ces pays ? De par une forte capacité à améliorer un voire plusieurs critères impactant le score attribué à un « facteur » donné, tous ces pays ont su convaincre les agences de notation. Est-ce que la France pourrait, elle,  espérer retrouver son triple A de la même manière? Cette hypothèse semble très improbable dans un proche avenir. Comme le montre l’analyse des pays cités précédemment, la reconquête du triple A doit s’accompagner d’actes forts permettant de démontrer aux agences de notation, la capacité de la France à tenir ses engagements sur le long terme. Compte tenu des principaux facteurs impactés dans le cas de la France (3 voire 4 sur 5), il faudrait non seulement de solides programmes de transformation économique et budgétaire mais aussi une véritable mise en Ĺ“uvre de ces derniers de façon à ce qu’ils aboutissent à des résultats à la fois concrets et exceptionnels.


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