Magazine Humeur

Sainte Nitasse

Publié le 24 mai 2013 par Jlhuss

Carte IGN 2720 O le retour

Déprime, tristesse ou sinistrose, quel que soit le nom dont on baptise cette maladie du cœur et de l’âme, je ne lui connais pas de meilleur remède que la marche à pied. Chaussez vos godillots ! Réglez vos bâtons télescopiques ! Chargez votre sac à dos (modérément, la virée d’aujourd’hui atteint à peine les vingt kilomètres, qui font cinq lieues de Bourgogne) et en avant pour une cure anti morosité.

Sainte Nitasse
Le départ se situe à la sortie sud d’Auxerre, au lieu-dit Sainte Nitasse. A l’époque où, en l’absence d’autoroute (je vous parle d’un temps que les moins de soixante ans ne peuvent pas connaître) nous faisions chaque trimestre, le parcours Paris – Chalon sur Saône, par la Nationale 6, il y avait là une espèce de bar, installé dans une gigantesque bouteille de chablis. Mon père s’y arrêtait régulièrement, pour une pause-mâchon car le tenancier de l’endroit débitait de généreux sandwichs qu’il garnissait de pâté, de saucisson, de jambon et de rillettes. Les adultes arrosaient le leur d’un ou deux verres du blanc local, quant à nous, nous avions le choix entre le diabolo grenadine et la menthe à l’eau. En effet le Coca-cola était encore une boisson exotique, consommée seulement dans les cafés de Saint Germain des Prés ou les bistrots ouverts au voisinage des bases de l’OTAN. Le bar bouteille a disparu. Il est remplacé par un rond-point d’où part l’ex route Nationale 65 qui relie la préfecture de l’Yonne à Chablis, Tonnerre et Châtillon sur Seine. Suivez la pendant quelques centaines de mètres en passant sous un pont et vous garer sur le semblant de parking ménagé à l’entrée de la bretelle qui permet aux véhicules venant de Chablis d’accéder à la rocade d’Auxerre.

Au passage, vous aurez aperçu un restaurant routier. Il est placé lui aussi sous le patronage de Sainte Nitasse, tout comme la fontaine cachée qui coule à quelques centaines de mètres. Ici, je sens poindre une interrogation. D’où sort cette Sainte Nitasse dont le nom ne figure ni dans le calendrier des postes, ni dans le missel romain de votre grand-mère et encore moins dans la Légende dorée du regretté Jacques de Voragine. Or de l’interrogation au doute et du doute au scepticisme il n’y a qu’un pas que certains de mes lecteurs ont, sans doute, déjà franchi. Ils ont eu tort. Sainte Nitasse existe bel et bien. C’est le diminutif affectueux dont on usait jadis dans la région pour appeler Sainte Anastasie. Cette martyre eut ici une chapelle fondée par une dame auxerroise du XII° siècle qui portait ce prénom. Anastasie, la bourguignonne, connaissait bien le genre humain, car elle légua aux chanoines de la cathédrale « Une vigne excellente à condition qu’il n’y aurait que ceux qui assisteraient à l’office du matin qui boirait de son vin tant qu’il donnerait. » Bon moyen d’encourager les membres du chapitre à remplir fidèlement leurs obligations, puisque le climat de Sainte Nitasse était un des plus réputés du vignoble auxerrois.

Hélas le phylloxéra a eu raison des vins de Sainte Nitasse et il ne reste plus un seul cep sur la Côte Chaude, aux Pisse-Vins ou aux Monts-Mains, bouclez donc votre sac et laissant derrière vous ces lieux où prés, champs et bosquets ont remplacé la vigne, prenez, à droite de la route, le chemin qui monte en pente relativement douce. Au bout d’une cinquantaine de mètres vous trouverez une patte d’oie, engagez vous dans le chemin de gauche où subsistent quelques balises jaunes et rouge d’un sentier de pays. Un kilomètre plus loin, le chemin traverse une petite route, puis continue de grimper (la pente s’accentue, ménagez votre souffle). A votre gauche dans les Grains d’Argent comme, à votre droite, dans les Grands Champs, colzas, orges et blés se succèdent au fil d’assolements peut-être établis par les professeurs et les élèves du Lycée Agricole de La Brosse dont les bâtiments se dressent sur votre gauche. Par contre, impossible d’apercevoir les mystérieux Trous Saint Martin : ils sont cachés au milieu des cultures.

Le chemin se couvre provisoirement de bitume pour traverser le hameau de Nangis où d’anciennes fermes alternent avec divers échantillons de maisons individuelles. Plus ou moins réussis selon le talent du maître d’œuvre et les moyens du propriétaire, ces demeures offrent un aperçu assez complet des modes architecturales du dernier demi siècle.

A la sortie du hameau, un raidillon vous amène à une seconde patte d’oie. Cette fois, il vous faut choisir la droite (comme les électeurs français, mes itinéraires pratiquent l’alternance). La droite donc, non parce que la voie de gauche serait sans issue mais parce qu’elle mène à l’aire de service autoroutière de Venoy-La Grosse Pierre, lieu dont le charme risque de manquer d’évidence pour le piéton que vous êtes.

Toujours en grimpant, mais moins rudement, le chemin vient buter sur une piste. Tournez à droite et continuez entre Vaux de Nangis et Croix Carrée jusqu’à un carrefour. Vous voilà sur le Chemin du Roi. Prenez à gauche entre les champs des Châtaigniers et ceux de la Femme morte. Il n’est pas interdit d’avoir une pensée pour l’anonyme défunte qui a laissé son nom à ce lieu-dit. Qui était-elle ? Quels malheurs l’ont conduit là ? On peut y rêver un moment et, si l’on croit au ciel, lui faire l’aumône d’une prière. Si l’on n’y croit pas une pensée fera tout aussi bien l’affaire.

L’endroit incline d’ailleurs à la méditation sur la vanité des choses. Songez que, joignant le champ de la Femme morte, le bois du Château, cache sous ses branches, des ruines de murs, ultimes vestiges d’une maison forte. Qui l’a détruite ? Des routiers des Grandes Compagnies ou des paysans révoltés, des parpaillots ou des papistes, des frondeurs ou des mazarins ? Nul n’en sait rien. Mais pourquoi chercher ici les traces d’un drame alors qu’il n’y eut, peut-être, rien d’autre qu’une très banale histoire d’héritage. On ne compte plus les petits neveux ou les arrières cousins qui ont récupéré les pierres du manoir médiéval de leur grand-oncle pour se faire bâtir une très élégante folie Louis XV.

A force de monter, le chemin vient butter contre l’autoroute. Elle passe en crête, recouvrant sans doute de sa masse un de ces vieilles pistes ligures chères à Gaston Roupnel. Laissez le Chemin du Roi poursuivre tout droit vers Montallery et Chablis et engagez vous sur la droite dans celui qui longe l’autoroute. Il faut le suivre pendant un peu moins d’un kilomètre jusqu’à un autre chemin partant vers la droite et passant à proximité de la borne géodésique de La Galarde. Du haut de ses trois cent quatre mètres, elle domine, à gauche la vallée de Sinanges et à droite le bois de Grand Mont.

Après un court passage sous bois puis le long d’un champ, vous débouchez au dessus des vignes des Champarts. Prenez entre les rangées de ceps un chemin d’exploitation qui dégringole vers le vallon. Le village vigneron de Chitry y entasse ses maisons autour d’une belle église fortifiée laquelle, tout comme Pise, est munie d’une tour penchée coiffée, à la différence de sa rivale italienne, d’un très bourguignon toit pointu.

Puisque nous sommes près de Chitry, je me permets d’attirer l’attention des connaisseurs sur les vins produits par cette commune qui présente la particularité d’appartenir à la fois au Chablisien par son canton et à l’Auxerrois par sa communauté d’agglomération. Ses vignerons ont mis à profit les dernières décennies pour améliorer considérablement leurs techniques de vinification d’où des vins blancs d’une très agréable verdeur et des rouges, à la fois frais et parfumés qu’il fait bon boire pour accompagner un déjeuner sur l’herbe.

Dès que vous apercevez les toits du village, obliquez à gauche pour gagner, au fond du vallon, le bois de l’Étang. Un chemin s’offre à vous. Prenez le à gauche (ou plein sud si vous êtes muni d’une boussole). Il arrive à une piste qui passe sur l’ancienne digue de l’étang aujourd’hui remplacé par un marais où prospèrent les frênes, les saules et les broussailles indéterminées.

Tournez à droite et grimpez entre les vignes jusqu’au Bois Regnault que vous traversez pour atteindre les champs de la Croix Rouge. Ici il serait dommage de ne pas vous arrêtez un instant. Le paysage en vaut la peine. Droit devant vous, derrière Auxerre et les tours de ses églises, s’étend la vallée de l’Yonne, barrée par des coteaux que coiffe la forêt d’Othe. A votre droit, ondulent les collines de Puisaye et de Forterre. Enfin, derrière vous, à condition que le temps soit clair et si vous prenez la peine de tourner un peu la tête, les moutonnements bleus du Morvan. Tout cela couvert de champs, de prés et de bois, semé de bourgs et de villages, tissé de routes et de chemins qui disent à qui veut bien prendre la peine de voir au lieu de simplement regarder, le long travail des femmes et des hommes qui, de siècles en siècles ont donné à notre pays sa beauté et sa force.

Rompue à toutes les formes possibles du guignon, les bravant toutes

Par son rire clair et sain, ce bouclier des Gaules,

Furieuse au plaisir, indomptable au travail,

Terrible par les forces qu'elle tire d'un sol infatigable,

Juge exigeant de son mérite, bienveillant pour l'effort d'autrui,

Ivre des vérités nouvelles, entêtée des vieilles vérités,

0 France, chère à toute âme éprise du genre humain !...

On ne saurait mieux dire que Kipling, et on peut réciter (mentalement) ses vers en descendant vers le lieu-dit Gale Bique où, après avoir traversé la petite route qui relie les villages de Quenne et d’Augy, vous trouverez en face de vous, filant vers le nord-ouest un chemin qui, entre la Croix Boucher, la vallée Lelu, la Corbe Verte, les Longues Raies et les Becs d’Oiseaux vous amène à proximité du vallon de la Grande Goulotte. Là il tourne brusquement à droite pour venir se fondre dans une belle piste empierrée. Tournez à gauche et continuez votre tranquille descente en longeant les prés et les champs des Coutarnoux et des Folles Pensées vous ramène à votre point de départ.

La partie pédestre de votre balade est terminée, mais tout n’est pas fini. En effet, que vous l’ayez commencée au moment de l’Angélus du matin, ou au début de l’après-midi, il est l’heure de reconstituer vos forces. Aussi, pourquoi ne pas avoir la pensée, pas si folle, d’en profiter pour un déjeuner sur l’herbe ?

Dans le coffre de votre voiture, deux ou trois glacières ont conservé leur fraîcheur :

- au saucisson de ménage,

- au jambon persillé (préparé secundum artem),

- au pâté en croûte,

- au poulet rôti,

- à la salade de haricots verts,

- aux œufs mollets,

- à la terrine de petits légumes nouveaux,

- à la salade niçoises,

- au brie,

- au fromage blanc aux herbes,

- au Comté,

- au Brillat Savarin,

- au cake,

- à la tarte à la rhubarbe,

- à la brioche,

- aux pêches, aux brugnons, aux cerises et aux fraises, mûres à point, cela va sans dire

Vous pouvez, bien sûr, rayer les mentions inutiles et compléter, si vous le jugez bon, par des comestibles à votre convenance : je ne prétends pas à l’exhaustivité. Une autre glacière préserve de la chaleur les bouteilles de Chitry que vous avez choisies pour rester dans le ton de la balade (n’oubliez ni l’eau, ni les boissons gazeuses, il en faut pour les enfants, les abstinents et pour vous, car entre blanc et rouge, il est bon de se refaire le palais). Si vous visez la perfection, emmenez un réchaud, il vous sera utile pour faire bouillir l’eau du café « à la Dubelloy » que vous passerez dans la cafetière de faïence achetée, il y a deux ans, au vide-grenier de Mézilles. Si l’opération précédente vous paraît trop compliquée, utilisez votre bouteille thermos pour transporter l’arabica que vous aurez préparé à l’avance. La vaisselle, les nappes et les couverts sont rangés dans les paniers ad hoc ainsi que, dans une corbeille les pains de campagne et, dissimulés dans le vide poche, une fiole d’Armagnac et une topette de VRAIE liqueur de Cassis. Voilà de quoi, j’espère, terminer agréablement cette demi-journée. Les bons coins ne manquent pas. Vous trouverez sans peine votre bonheur et celui de vos convives (prévenus par téléphone portable, il faut bien que cet accessoire ait une utilité) près de l’Yonne, notre paresseuse et souriante rivière, en haut de la colline d’Irancy ou sur celle du Douzain (vue sur Vézelay garantie pour qui sait observer), dans une clairière du Bois de Senoy ou sur la pelouse d’un jardin (le vôtre ou celui d’un ami compréhensif).

Au fait si, par malheur, le temps ne vous était pas favorable. Ne vous désespérez pas : il y a au déjeuner sur l’herbe de multiples alternatives qui vont du restaurant à la consommation d’un de ces plats robustes, cassoulet, coq au vin, bœuf en daube ou Bourguignon, qui sont toujours meilleurs réchauffés et ils s’accommodent, eux aussi, d’un Chitry bien choisi. Vous voyez bien qu’il ne faut jamais désespérer.

CHAMBOLLE


Retour à La Une de Logo Paperblog

A propos de l’auteur


Jlhuss 148 partages Voir son profil
Voir son blog

l'auteur n'a pas encore renseigné son compte l'auteur n'a pas encore renseigné son compte

Magazines