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Henri Guillemin : Malheureuse Eglise

Par Alaindependant
lundi 3 juin 2013

  

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Henri Guillemin : Malheureuse Eglise

HOURDIN GEORGES - Publié le 17 décembre 1992 - La Vie n°2468


Bienheureuse Eglise


Henri Guillemin nous a quittés le 4 mai 1992. Cette mort laisse un vide important chez ceux d’entre nous qui aiment à la fois l’Eglise et la pleine liberté de penser. Guillemin venait de donner à son éditeur un dernier livre de propos critiques. Il l’avait intitulé Malheureuse Eglise. Si, pour en rendre compte, je dis Bienheureuse Eglise, ce n’est pas en esprit d’opposition à ce grand écrivain qu’était Guillemin mais parce que l’institution Eglise, c’est-à-dire l’ensemble des croyants, sort également grandie de la lecture de ces 250 pages *.
Guillemin était un ancien élève de l’Ecole normale supérieure. Il avait été enseignant, puis attaché culturel à Genève, en Suisse. Sillonniste, il était resté fidèle à son idéal de jeunesse en continuant de collaborer à La Nouvelle République. Il fut un critique redoutable. Il dénichait souvent des textes inédits et révélateurs. Il a publié une soixantaine d’ouvrages sur un certain nombre de grands écrivains (Lamartine, Hugo, Vigny, Péguy...) et de points chauds de l’histoire du XIXe siècle, fertile en révolutions. Il était d’ailleurs devenu un spécialiste de cette période.
Les livres de Guillemin présentaient, sous une forme nouvelle, ce que l’on croyait être depuis toujours la réalité. Ils provoquaient des débats féconds. Cette promenade continue, tout au long et dans tous les coins du siècle passé, ne l’empêchait pas de suivre d’un œil exigeant l’évolution de l’Eglise. Il était –et il est resté– un catholique pratiquant jusqu’à sa mort. Il assista à la réunion du concile Vatican II. Il constatait l’inaptitude des catholiques à répondre aux besoins nouveaux d’une société postindustrielle et mondiale. Il pensait les catholiques responsables de cette crise ecclésiale sans précédent dans laquelle nous sommes plongés. Il voulait comprendre pourquoi la foi des Evangiles sortie intacte de dix-sept siècles de christianisme avait pris peu à peu la forme d’une sorte de monarchie autoritaire et d’institutions sociologiques.
Guillemin habitait le sud de la Bourgogne. Il regardait autour de lui. Il savait, par exemple, qu’à Mâcon la pratique religieuse est tombée à 10% et que, dans la campagne alentour, elle est à 2%. Ces chiffres sont vrais, avec plus ou moins de retard, pour toute l’Europe occidentale. Guillemin a donc voulu comprendre, textes en main, ce qui se passait. Son livre, qui est comme son testament, nous offre le résultat de son enquête. Non pas sous la forme d’explications discutables mais sous la forme de faits, de textes et d’une histoire. En le lisant, vous constaterez d’une façon indiscutable comment la foi des Evangiles synoptiques et des Actes des Apôtres, si sensible au cœur, s’est, au cours des siècles, transformée en une institution trop juridique et trop hiérarchisée. Vous trouverez comme pièce de résistance une étude de l’évolution de chaque dogme. Il y est montré que les vérités doctrinales ont trouvé leur forme d’expression au bout de quelques siècles d’Eglise et progressivement. En parcourant ces pages, vous vous direz peut-être: "Guillemin y va fort." Mais il n’y a rien à opposer aux textes. Ils sont là avec leurs dates et personne ne les conteste plus. Ce n’est pas Guillemin qui a dépassé les bornes, c’est... l’Histoire. Et pour exprimer aussi sa fidélité maintenue, pour montrer l’autre face de l’Eglise, l’auteur présente quelques portraits de chrétiens créateurs: Marcel Legaut, agrégé de mathématiques, devenu agriculteur et apôtre dans la Drôme ; Hans Kung, théologien libre de l’œcuménisme; le père Congar, dominicain, que nous aimons toujours et qui a gardé une grande liberté d’expression. Il suffit à Guillemin de deux pages pour nous montrer où le père Congar en est.
Ce que je trouve merveilleux dans l’Eglise, c’est ceci: dans un bateau qui va faire naufrage, semble-t-il, il existe des hommes de foi, en plus grand nombre qu’on ne le pense, qui s’acharnent sans illusions excessives à redresser le bateau. Henri Guillemin a gardé envers et contre tout l’espérance. Ses récentes conversations avec Jean Lacouture ** le font penser. Nous verrons une autre fois ce qu’est cette espérance-là.
* "Malheureuse Eglise" est publié aux éditions du Seuil.
** Henri Guillemin : "Une certaine espérance", conversations avec Jean Lacouture, éditions Arléa.

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N°3535 Édition du 30 mai 2013

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