On trinque?

J’y ai passé de très longues heures qui m’ont semblé n’être que des minutes.
A l’inverse j’y ai aussi passé quelques minutes qui m’ont semblé durer des heures.
J’ai bu, beaucoup. J’ai bu, de tout.
J’ai célébré des exploits, des réussites professionnelles, amoureuses.
J’y ai versé des larmes, de peur, de tristesse, d’amertume.
J’ai rencontré des cons, des drôles, des chiants.
J’ai rencontré des amis, des vrais, ceux d’une vie.
J’ai chanté, dansé, hurlé, ri.
J’y ai pris l’habitude de dévisser l’ampoule suspendue au dessus de la table pour éviter la lumière trop crue.
J’ai donné des premiers rendez-vous.
J’ai aussi donné des derniers rendez-vous.
J’y suis allée, le soir, la nuit, en fin d’après-midi.
J’ai souvent fait la fermeture.
J’y ai rencontré un coup d’un soir.
J’y ai embrassé l’Homme qui partage ma vie pour la première fois.

Dans ce bar j’ai fait tellement de choses que j’avais coutume de l’appeler "ma seconde maison".
Hier soir, j’y suis allée avec une amie.
Assise, un verre posé devant moi, quelques amis autour, je me suis sentie dépassée.
Avant dans ce bar, je prenais minimum dix minutes pour dire bonjour, je connaissais quasiment tout le monde.
Aujourd’hui ça me prend deux minutes à peine.
Les têtes ont changé, je ne connais pas ces gens qui crient, rient, boivent, parlent fort.
Je les regarde, ils sont heureux, ils draguent, blaguent, refont le monde, tanguent, se cognent aux murs.

"Mais ils sortent d’où ces jeunes?"

Ils sont la relève, nos remplaçants. Aujourd’hui nous sommes les habitués, les anciens.
Nous avons été comme eux.
Nous avons changé avec les années.
C’est risible, nous sommes encore jeunes, la vingtaine. Et pourtant.
Pourtant nous pouvons déjà constater que les années ont passé, emportant avec elles l’insouciance et l’ivresse mais nous offrant confort et stabilité.
Aujourd’hui ce bar n’est plus ma seconde maison, il est devenu ma douce nostalgie.
Dans chaque coin du bar, une histoire. Sur chaque tabouret une confidence, un soupir. Devant la façade un baiser donné, un autre volé.

Hier soir je me suis souvenue, comment c’était, avant. Nous avons évoqué nos coups de folies, nos pulsions amoureuses d’un soir, nos bruyantes ivresses, nos chagrins déversés dans des litres de vodka. Et nous avons ri, tellement.
Nous avons regardé les nouvelles têtes autour de nous et nous avons trinqué.
A la relève!