Magazine Cinéma

Lieux enchantés (Les aventures de Joris)

Par Bathart
Cuzco

Cuzco (Pérou)

La calle es una selva de cemento… Une entraînante mélodie de salsa retentit sur une vieille enceinte au milieu de la pièce. Affalés sur des vieux canapés déformés, de jeunes gens tissent des bracelets en macramé. Autour d´eux, des jongleurs occupent dangereusement l´espace, s´entraînant à la massue, au monocycle, à la balle de contact… Les relents de marijuana envahissent l´air du patio depuis les premières heures du matin.

La scène se déroule dans l’un de ces hôtels absents des pages des guides touristiques, que seul vous y amène le bouche à oreille. Ils s’appellent Casa Inn à Cusco, Bégonia à Iquitos, et sont le point de ralliement de tous les viajeros vivant de la route. On pourrait les surnommer Casas Argentinas tant les voyageurs argentins y sont nombreux, et tant on s’y sent à la maison.

Ici, le bordel général, les nuits bruyantes et l’absence de confort rebuteraient la grande majorité des touristes. Quotidiennement, le son des djembés, guitares et accordéons retentit jusqu’au beau milieu de la nuit. Dans la cuisine commune règne une philosophie du chaos effrayante. Deux jeunes chiots occupent la scène et le fait qu’ils fassent leurs besoins au beau milieu de l’hôtel n’effraie plus personne.

Malgré cet effrayant tableau, prendre le temps de vivre au rythme de ces lieux d’échange constitue une véritable expérience de voyage. On y découvre des scénarios de vies tous aussi surprenants les uns que les autres. Les occupants des lieux sont souvent des voyageurs au long court, bien différents du touriste lambda qui vient à Cusco pour visiter le Machu Pichu. Un séjour dans ce type d’hôtel est un vrai apprentissage de la vie et de la débrouille.

Emilio, 25 ans passés, est sur la route depuis plus de quatre ans. Au fil du temps, le voyage lui a apprit à se débrouiller et à subvenir à ses besoins jour après jour. Son truc à lui, c’est le jonglage, sous toutes ses formes. Balle de contact, jonglage avec chapeaux haut de forme, massues… Continuellement, il réapprend sa passion, devenue son gagne-pain. Quand les sous lui manquent, il va jongler aux feux rouges des grandes villes. Sur le continent sud-américain, le malabarista de sémaforo est presque devenue une profession institutionnalisée tant elle est répandue. Généralement, une pleine journée passée à jongler permet à Emilio de vivoter quelques jours, de se payer l´un de ces hôtels à bas coût, de manger à sa faim et parfois de s’offrir le luxe de faire la fête jusqu’au bout de la nuit. Et de continuer sa route quand l’envie lui en prend.

Colin, 23 ans, Francais, voyage depuis quelques mois entre le Pérou, la Bolivie et l’Equateur. Séduit par le lieu, il s’est arrêté depuis un mois à l’hôtel Casa Inn à Cusco. Au fil des rencontres, sa vision du voyage a changé. Depuis deux semaines, il s’est mis à faire de l’artisanat, décidé à financer de cette manière la fin de son périple. Dans les hauts lieux touristiques d’Amérique du sud, les vendeurs de bracelets, colliers et autres bijoux en tous genres ont envahi les rues. Rien qu’à l’hôtel, ils sont une dizaine à tisser à longueur de journée, à partager leurs savoir-faires et à vendre leur art dans les ruelles coloniales de Cusco.

A la nuit tombée, chacun ayant finit de vaquer à ses occupations, le patio se remplit. Les artistes, les poches pleines de piécettes, viennent s’ajouter à ceux qui, toute la journée durant, sont restés affalés dans les canapés. Commence alors un tourbillon d’échanges, de discussions, de rires. On parle en espagnol,  en grande majorité, et l’accent argentin domine largement. Au centre de la pièce, les jongleurs se relaient sous les regards admiratifs. Un spectacle à en faire frémir d’envie les troupes de Patrick Sébastien. Un guitariste gratte des mélodies latino. Les joints et les bouteilles de bière passent de main en main autour de la pièce. Quand la bière ou le vin manquent, quelqu’un récolte les fonds de poche de chacun pour aller faire le plein à la tienda du coin. Les soirées à l’hôtel se transforment alors en de véritables moments d’échanges interculturels. Des voyageurs du monde entier partagent leurs expériences, leurs galères, leurs bons plans, leurs idées…

Lieux enchantés (Les aventures de Joris)
Au cour de la soirée, le patio continue de se remplir de gens. Raoul et Ernesto rentrent de leur tournée nocturne. Plusieurs fois par semaine, ces deux Argentins louent son four au boulanger de la rue voisine. Après une heure de cuisson, ils en sortent des dizaines de petits pains aux herbes et aux olives de leur propre confection. Leur huche à pain sur le dos, ils arpentent les rues de l’ancienne citée inca jusqu’à vingt-deux heures, vendant leurs pains aux passants. Lorsqu’ils rentrent à l’hôtel, les fêtards éméchés se précipitent sur les pains restant dans la huche des deux Argentins.

Quitter ces lieux est une vraie épreuve, qui peut prendre plusieurs jours. Aux adieux émouvants avec les dizaines de voyageurs devenus amis, s’ajoute le sourire du maître des lieux que l’on ne peut se résoudre à laisser derrière soi. L’on promet de revenir au plus vite, tout en sachant qu’un retour prochain est très peu probable. Triste épreuve que doit braver le vagabond.

Joris Raut



Retour à La Une de Logo Paperblog

A propos de l’auteur


Bathart 421 partages Voir son profil
Voir son blog

l'auteur n'a pas encore renseigné son compte l'auteur n'a pas encore renseigné son compte