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La réussite historique du contractualisme monarchomaque

Par Monarchomaque
La réussite historique du contractualisme monarchomaque

Frontispice de l’Histoire ecclésiastique des Églises réformées au Royaume de France, par Théodore de Bèze, 1580.

Une excellente synthèse de la Revue d’histoire de l’Université de Sherbrooke

Résistance et révolution politique dans la postérité calvinienne

« C’est le peuple qui établit les rois, qui leur met les sceptres dans les mains, et qui par ses suffrages approuve leur élection. »
— Hubert Languet (1518-1581)

« Christ, not man, is King. »
— Oliver Cromwell (1599-1658)

« Where the Spirit of the Lord is, there is Liberty. »
— II Corinthiens  3:17, cité sur une bannière du bicentenaire de la Révolution américaine (1776-1976)

L’année 2009 a marqué le 500e anniversaire de la naissance du réformateur protestant Jean Calvin (1509-1564). Dans le cadre de cette commémoration internationale, des chercheurs se proposent de prendre la pleine mesure de l’influence et des limites de son influence historique au fils des générations et à travers le monde. Tâche gigantesque s’il en est une ! […] J’aborderai d’abord brièvement la théorie de la résistance aux tyrans dans le contexte des Guerres de religion en France au XVIe siècle. Ensuite, je montrerai la résonance que cette pensée, pleine de potentialités, a trouvée dans trois exemples historiques, soit :

  1. la Guerre de la Liberté aux Pays-Bas du Nord (1568-1648) ;
  2. la Guerre civile sous Olivier Cromwell (1642-1649) suivies de la Glorieuse Révolution (1688) en Angleterre ;
  3. la postérité révolutionnaire calviniste dans la Guerre d’Indépendance américaine (1776).

Dans sa synthèse sur l’histoire du protestantisme, É.G. Léonard a qualifié Calvin de « fondateur d’une civilisation ». À la fin de son premier tome, il soutient une thèse forte : « Il était réservé au Français et au juriste Calvin de créer, plus qu’une théologie nouvelle, un homme nouveau et un monde nouveau. L’homme “réformé” et le monde moderne. » La question est donc lancée : Calvin et ses héritiers ont-ils fondé la civilisation moderne ?

On sait qu’à la suite des travaux de Max Weber, toute une historiographie a tenté de démontrer que l’ethos du travail dans le calvinisme a contribué au développement du capitalisme. Cette interprétation a depuis été nuancée. On laissera donc ici de côté la portée économique de l’éthique calvinienne pour s’intéresser aux rapports qui unissent la réflexion théologique du réformateur et de ses héritiers et leurs prolongements dans la sphère politique appliquée. Ceci mènera, en conclusion, à s’interroger sur l’importance de la religion dans les mutations sociales et au sens qu’il faut donner au terme révolution dans les sociétés d’Ancien Régime (i.e. avant 1789).

La question au cœur de cette réflexion se trouve posée par un passage du Nouveau Testament qui a fait l’objet de nombreux commentaires aux cours des siècles. Dans l’Épître aux Romains (13:1-2), Saint Paul a édicté les normes suivantes concernant l’obéissance des sujets aux autorités politiques :

Que tout homme soit soumis aux autorités qui exercent le pouvoir, car il n’y a d’autorité que par Dieu et celles qui existent sont établies par lui. Ainsi, celui qui s’oppose à l’autorité se rebelle contre l’ordre voulu par Dieu, et les rebelles attireront la condamnation sur eux-mêmes.

[Selon une lecture irréfléchie], l’obéissance aux pouvoirs établis doit être totale. Toute possibilité de révolte est exclue. Or la difficulté à laquelle les protestants furent confrontés était la suivante : quelle obéissance devaient-ils à un roi, à un prince ou à un magistrat qui se comportait en tyran et qui s’opposait à la vraie foi en persécutant ses propres sujets ? Une telle autorité était-elle légitime et approuvée de Dieu ? Plus concrètement, le (la) fidèle devait-il (elle) soumission et obéissance à un tel pouvoir ? La question n’était pas récente. Elle remontait à l’Église primitive, persécutée par les Césars romains dont Dioclétien fut le dernier en date.

La réponse à cette interrogation, au XVIe siècle, connut un développement long, complexe et parfois contradictoire. Calvin et ses coreligionnaires ont, pour la plupart, repris les thèses développées par les juristes et les théologiens luthériens qui furent, avant eux, confrontés au dilemme de l’obéissance à des princes catholiques et à l’empereur Charles Quint qui voulaient abolir la foi nouvelle après la Diète de Spire (1529). Le temps manque ici pour citer les textes des premiers théoriciens de la résistance aux magistrats. Contentons-nous de relever trois étapes importantes dans le traitement de ce problème.

Premièrement, les réformateurs reconnaîtront aux sujets protestants le droit à la désobéissance, droit qui doit être distingué de celui à la résistance active contre le tyran. Ensuite, émerge l’idée d’un droit à la résistance, mais qui exclue derechef toute sédition armée et privée. Dans cette optique, seuls des magistrats dûment institués peuvent s’opposer à des magistrats iniques qui, par leurs comportements, se sont privés de leur devoirs conférés par Dieu. Finalement, sous la pression de luttes antagonistes, apparaît l’idée que la résistance aux tyrans est non seulement un droit, mais un devoir. Le fait intéressant à relever est que les théoriciens réformés ne se limitèrent plus à des arguments tirés des Écritures Saintes, mais qu’ils élargirent leurs investigations à l’histoire gréco-latine et aux chroniques d’histoire médiévale.

Les guerres de religions en France contribuèrent à la radicalisation du discours sur la résistance politique. Après les tentatives d’« accommodements raisonnables » entre les deux confessions religieuses lors du colloque de Poissy en 1561, les tenants d’une réconciliation entre protestants et catholiques durent déchanter. En 1562, éclatait la première des huit guerres civiles qui allaient déchirer le royaume jusqu’à la proclamation de l’Édit de Nantes (1598). Entre ces deux dates, la Saint-Barthélemy (1572) jeta les Huguenots dans une opposition ouverte contre les Valois.

Les développements politico-religieux sur le droit et le devoir de résister trouvèrent un écho à la même époque dans les communautés calvinistes des Pays-Bas, soumis à la domination de Philippe II. Guillaume d’Orange le Taciturne, converti au calvinisme en 1573, justifia sa prise de pouvoir à la tête des Provinces-Unies contre l’Espagne en s’inspirant de la doctrine calviniste des contrats et de la responsabilité représentative. On citera à ce chapitre les lignes célèbres de la Déclaration d’Indépendance hollandaise de 1581 : « Dieu n’a pas créé les peuples esclaves de leurs princes pour obéir à leurs ordres, qu’ils soient bons ou mauvais ; mais plutôt il a créé les princes pour leur sujets. »

Dans les années 1550, des calvinistes anglais et écossais tentèrent aussi de résoudre le problème de la résistance aux autorités de façon satisfaisante. Il s’agit de John Ponet, de Christopher Goodman et de John Knox. Rappelons que depuis la mort d’Henri VIII, le calvinisme avait largement pénétré le gouvernement anglais du jeune Edouard VI sous la régence d’Edward Seymour, duc de Somerset, et de John Dudley, duc de Northumberland. Peu avant, en 1553, Marie Tudor épouse de Philippe II, avait reprit le pouvoir et tenta d’éradiquer le protestantisme par la force. Plus au Nord, Marie d’Écosse, fille de Jacques V et de Marie de Guise-Lorraine, était revenue dans son royaume après treize années passées en France. Cette reine papiste, figure d’intrigues internationales, devint la cible des attaques féroces du terrible Knox. À la mort d’Élisabeth 1ère (1603), Jacques VI d’Écosse (devenu Jacques Ier d’Angleterre), fils de Marie Stuart et de Charles Ier, monta sur le trône pour gouverner une nation divisée politiquement et religieusement. On constate à partir de ce temps, un divorce progressif entre la couronne et le parlement londonien. Les politiques absolutistes des deux premiers souverains Stuarts aboutirent aux guerres religieuses avec Cromwell. Les historiens nomment cette première révolution, qui conduisit à la décapitation de Charles 1er (1549), la Guerre civile, réservant le terme de révolution aux événements de 1688. Avec l’exécution du roi, la résistance protestante franchit l’étape du régicide. On relèvera avec intérêt que l’acte d’accusation porté contre le monarque fut lu « au nom du peuple d’Angleterre ». On reconnaît ici l’affirmation du concept de souveraineté populaire, à l’instar de Déclaration hollandaise de 1581. Avec la Glorious Revolution (1688), le parlement déclara souveraine la fille de Jacques II, Marie, et son époux George d’Orange, mais il leur imposa le Bill of Rights qui consacra la suprématie parlementaire dont l’autorité du roi découlait. Le principe de souveraineté du peuple était désormais acquis en Angleterre… un siècle avant la Révolution française.

L’influence du calvinisme se fit aussi sentir dans la Guerre d’Indépendance américaine. Les principes de la Constitution de 1787 inspireront plusieurs révolutions en Europe et dans le monde. Il est connu que la Déclaration d’Indépendance s’inscrit sous l’adage du « consentement des gouvernés » (consent of the governed), notion qu’on ne saurait plus à cette date séparer de la souveraineté populaire défendue par les calvinistes depuis près de deux siècles. Vers 1776, les presbytériens représentaient 20 % de la population de la Nouvelle-Angleterre, sans compter les baptistes et les congrégationalistes sympathiques aux thèses réformées. Selon Thomas Jones et Joseph Galloway, deux loyalistes exilés, les presbytériens jouèrent un rôle important dans le Congrès Continental. Pour les calvinistes, la Guerre d’Indépendance unissait de façon insécable des éléments politiques et religieux. On ne saurait trop souligner combien le cadre théorique, élaboré notamment par Locke, puis revu et appliqué par de nombreux acteurs, contribua dans la culture populaire au désir de se gouverner eux-mêmes. La Révolution américaine ne saurait donc se comprendre sans référence au puritanisme. La postérité politico-religieuse calvinienne est donc indéniable tout au long de la modernité. Ce qu’il faut retenir, cependant, c’est que le concept du devoir religieux de résistance fut transformé, ultérieurement, en un concept moderne et politique de droit moral à la résistance dont nous sommes aujourd’hui les héritiers.

Tout ceci m’amène à soulever deux questions. Premièrement, la place prépondérante de la religion dans les mutations sociales invite à se demander si les concepts politiques occidentaux ne proviennent pas directement de la théologie ? La question n’est pas naïve et mérite une attention sérieuse. Deuxièmement, quels sens précis faut-il donner au vocable révolution dans les sociétés d’Ancien Régime influencées par le protestantisme réformé ?

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Voici le sceau que Thomas Jefferson (auteur de la Déclaration d’Indépendance puis 3e Président américain de 1801 à 1809) et Benjamin Franklin (ambassadeur en France de 1776 à 1785 puis Gouverneur de la Pennsylvanie de 1785 à 1788) proposèrent pour les États-Unis naissants. Il portait la sentence « RÉBELLION AUX TYRANS EST OBÉISSANCE À DIEU » :

La réussite historique du contractualisme monarchomaque

Arrière-plan : Moïse guidant les Israélites hors d’Égypte. Avant-plan : Pharaon et son armée engouffrés par la Mer Rouge. Au centre : Un pilier de flammes dans un nuage exprime la présence et le commandement divin.

Pour un exposé plus détaillé de l’impact positif des monarchomaques dans l’histoire occidentale, je suggère la dissertation L’origine protestante du contrat social, rédigée par moi-même.


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