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Le web est-il 68tard ? Episode 2

Publié le 24 avril 2008 par Yulgrejes

Communauté, partage, gratuité : Internet est-il hippie ?

Internet ou l'utopie communautaire

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Bande, groupe, communauté, réseaux... Internet, c’est la construction d’une communauté sans les inconvénients matériels des potes qui squattent le canapé et dévalisent le frigo. Chacun chez soi, mais en communication perpétuelle… Loin de partir vivre dans le Larzac, les internautes vissés derrière leurs écrans s’amusent à créer une grande communauté. Sites de socialisation comme Facebook, Myspace, LinkedIn, forums, autant d'outils qui permettent aux Frères du web d'échanger et d'interagir. Langage mystérieux: protocole, widget, flux RSS, Netvibes… Autant de codes qui éloignent les non-initiés et soudent les membres de cette communauté particulière.

Etats-Unis, France, Allemagne, Mexique, République Tchèque, au printemps 68 des mouvements éclatent de manière simultanée dans différents pays. Mais il est difficile de communiquer et ces foyers de contestation n’ont pas vraiment les moyens de s’organiser et d’échanger. Aujourd’hui, Internet permet à tous les adeptes d’idées nouvelles de se retrouver sur la toile et de faire fi des distances pour laisser place à une communauté mondiale d'internautes.

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S’il n’y a plus de fromages de chèvres à fabriquer, il est de nouveau temps de faire preuve de créativité. Logiciels à inventer, sites à créer, réseaux à construire, le web stimule l’innovation et lance des appels à contribution. A l’heure de la société de consommation intempestive, le web fait l’éloge de la gratuité, du partage. Sur Internet 1+1=3, ce qui équivaut à dire que la somme des contributions dépasse la mise initiale ou que « la communauté se renforce des contributions de chacun de ses membres ». Un véritable mantra qui pourrait préfigurer un nouvel idéal hippie.

Autogestion, intelligence collective, l’utopie du « tout est possible en unissant nos forces », autant  d’idées en vogue en 68 qui semblent (enfin !) ressuscitées par le web.

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Exemple du genre : Wikipédia. L’idée est simple. Il s’agit de mettre en commun tous les savoirs dont nous sommes titulaires pour permettre que tout le monde y ait accès gratuitement. Contrairement aux encyclopédies (payantes) régies par des choix éditoriaux qui déterminent la valeur d’une information et son utilité pour le lecteur, toutes les connaissances trouvent leur place sur Wikipédia. Un savoir illimité dans tous les domaines accessible à titre gratuit. En dépit des critiques souvent faites au site, voilà ce qu’on peut appeler une révolution !

Pour le fondateur de Rue 89, Pierre Haski, « l’aspect collaboratif des sites d’information  permet une amélioration de la qualité des débats ». Imprégné par l’esprit idéologique « vaguement soixante-huitard »,Rue 89  a choisi d’« adhérer à la culture de gratuité et de partage » du web. Le site utilise DRUPAL, un logiciel développé par un ingénieur belge afin de permettre à chacun des utilisateurs d’apporter sa contribution pour améliorer le logiciel.


Même mantra, autre réalisation, le navigateur web
graphique gratuit au code source libre, Mozilla Firefox. Précédemment appelé Phoenix puis Mozilla Firebird, ce logiciel est l’un des fleurons du phénomène du « logiciel libre ». Son succès est fulgurant : le 19 octobre 2005, moins d’un an après sa sortie officielle, le nombre de téléchargements avait atteint 100 millions, jusqu’à atteindre un demi-milliard en février 2008. Si le nombre de téléchargements ne reflète pas le nombre réel d'utilisateurs du logiciel, il est ainsi devenu le principal concurrent d’Internet Explorer, le navigateur web de Microsoft.

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La théorie du logiciel libre est simple : les développeurs de logiciel laissent en libre accès les codes sources, c'est-à-dire l'architecture de leurs créations. Chacun a le droit d'utiliser, d'étudier, de modifier, de dupliquer, de donner et de vendre ledit logiciel. N’importe qui peut améliorer l’outil en fonction de ses propres besoins et des bugs rencontrés. Ce mode de développement de l’informatique a été formalisé par Richard Stallman dans les années 80 en s’inspirant des habitudes universitaires des années 60. A cette époque (avant l’ère de l’individualisme acharné), chercheurs et développeurs partageaient tous leurs travaux et leurs résultats. Il aura d’ailleurs fallu attendre les années 70 et la lettre ouverte aux hobbyistes de Bill Gates pour voir arriver la notion de droit d’auteur en informatique. Depuis lors, deux visions du monde s’affrontent à la pointe de l’informatique : « logiciels propriétaires » contre « logiciels libres », le mercantilisme et monopole de Bill Gates contre l'attitude de recherche et de partage de Richard Stallman et Linus Torvald. Attention toutefois à ne pas tomber dans une vision manichéenne : de très grandes entreprises comme Sun Microsystems s'investissent dans le logiciel libre. Même Microsoft commence à s'y mettre...
 

Longtemps confiné à un milieu très réduit de « geeks », le logiciel libre a pu sortir du bois avec la diffusion d’Internet. Ainsi Microsoft voit arriver de nouveaux concurrents, organisés en réseau et qui essaient de diffuser leurs outils, gratuits, généralement plus performants mais moins intuitifs, via le bouche à oreille. Ils portent le combat sur tous les fronts : systèmes d’exploitations (Linux contre Windows), logiciels de bureautiques (Openoffice contre Word), navigateurs (Firefox contre Internet Explorer). Dans une interview à Programmez (le portail des développeurs), Richard Stallman résume ainsi son message : « Je puis expliquer la base philosophique du logiciel libre en trois mots : liberté, égalité, fraternité. Liberté, parce que les utilisateurs sont libres. Égalité, parce qu'ils disposent tous des mêmes libertés. Fraternité, parce que nous encourageons chacun à coopérer dans la communauté ».

Autre point de vue cependant pour le créateur de Linux, Linus Torvalds qui ne s'exprime pas sur la portée politique du principe des logiciels libres et met plutôt en avant l'efficacité de la coopération technique que le libre rend possible.

Guerre des égos et sociabilité au rabais

Les accros du web sont-ils tous pour autant adeptes de partage et de solidarité ? Attention, à trop se pencher sur l’idéal communautaire, on oublierait presque que rivalités et conflits d'ego persistent sur la toile. Internet, c’est avant tout une addition d'individualités qui s'expose. Des personnes qui n’ont pas forcément comme objectif de se mêler aux autres. Chacun bien calé dans son fauteuil s'applique à faire son blog. A ce titre, la multiplication des pages personnelles des adolescents, notamment par le biais de la plateforme Skyblog, est-elle autre chose qu'une affirmation égocentrique du moi, un journal intime d’adolescent exposé au vu et au su de tous ? Comme l'explique Pascal Lardellier dans "Le pouce et la souris. Enquête sur la culture numérique des ados", le jeune affirme son identité, marque sa différenciation par le biais du blog, bien plus qu'il ne s'y construit un réseau amical. 

Pour Emery Doligé, "l'idéal communisant et collectiviste de 68 " s'oppose donc à "un web de plus en plus individualiste" où les réseaux sont "atomisés". Provocateur, le blogueur estime qu’alors que " 68 rêvait de partouze, le web finit tout seul dans son coin devant son écran ». Le "monde des blogs" s'apparenterait ainsi à "une guerre des égos" où chacun cherche à créer du « buzz » autour de lui afin de prouver qu' "il en a une plus grosse que l'autre". 

boomp3.com

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Le fantasme du "plus jamais seul" ne se réalise pas toujours sur la toile.

Bien sûr, il y a les optimistes. Pour Carlo Revelli d’Agora Vox, « des gens sans vie sociale peuvent trouver une forme d’épanouissement en écrivant sur AgoraVox. Certains rédacteurs allant même jusqu’à se rencontrer pour créer des communautés dans la « vraie vie ».

Mais attention, le blogueur ou le web-addict n'est pas un être sociable. La tendance est plutôt à l’isolement. Une inquiétude pour certains blogueurs comme Guy Birenbaum qui avoue ne pas aimer les rassemblements de personnes.

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ll s'inquiète d'ailleurs même de l'état de misère sociale dans lequel se trouvent certains acteurs de la blogosphère qualifiés d' "intellos précaires". 

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 Plus grave, les « No life ». Passé dans le langage courant, cette expression permet de décrire ces « geeks » ne parvenant pas à décrocher de leur ordinateur et des jeux vidéos en réseau comme World of Warcraft. Des jeux on line qui induisent un sentiment de toute puissance chez certains adolescents. Profil type : l’adolescent ou adulescent (90% des joueurs sont exclusivement masculins). Effet d’insensibilisation à la violence et augmentation de la dopamine sous l’effet de la tension, les jeux en réseau peuvent même être mortels. Un coréen de 28 ans s’est ainsi effondré foudroyé par une crise cardiaque alors qu’il jouait depuis quelques dizaines d’heures sans parvenir à s’arrêter.

Sociabilité au rabais ou par le biais de l’écran, c’est aussi cette image que nous renvoie Clément, « un no life », sujet central d’un reportage d’ARTE. A 17 ans, il passe toutes ses soirées sur Internet. Lieu de drague et de visionnage de films porno, c’est le seul moyen par lequel il aborde des filles lui qui se décrit comme « timide ». Comme l’affirme la journaliste, « dans sa chambre, ni télé, ni radio, ni livres, ni journaux, pas besoin » car selon lui « sa vie est toute entière sur Internet ». Vie virtuelle, sociabilité au rabais, une réalité pour une minorité d’adolescents qui se sont pris au jeu du web.


La journée de clement le no-life

Sidonie Ebrevouma


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