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La fille qui venait de soigner son panaris infecté à coup d’extrait thyroïdien de canard colvert

Par La Chose

Pharmacienne

Ce qui est bien, dans le quartier où j’habite, c’est qu’il y a tout ce qu’il faut pour vivre au quotidien, tout près de ma maison.
Bien sûr il y a la boulangerie de m’âme Nedelec, et aussi le café de Nénesse, où on va se réfugier avec mon copain Gégé pendant la fête de l’école de Sainte-Fistule (et cette année c’était très chouette à la fête de l’école de Sainte-Fistule, le Comité des Parents d’Élèves de la Fraternité Saint Pie XII avait monté un spectacle avec les petits de la moyenne section de maternelle, ils dansaient sur une musique à base de flûtes traversières et ils avaient une chorégraphie où ils faisaient semblant de conduire des homosexuels, des Juifs et des gauchistes sur un faux bûcher en carton pâte).
Tout près de ma maison, il y a aussi une pharmacie, et ça c’est très pratique quand on est un peu hypocondriaque comme moi et qu’on alterne régulièrement entre un cancer de l’oreille et une tuberculose vésicale.

La pharmacie où je vais chercher tous mes médicaments, elle a un seul petit inconvénient, c’est qu’elle vend beaucoup de choses à base de "produits naturels" et de plantes.
Tu me diras qu’en soi, c’est pas très grave, parce que les plantes ce sont des médicaments naturels très efficaces, il n’y a qu’à voir le cannabis.
Mais le problème dans ma pharmacie, c’est qu’ils ne vendent pas de cannabis (sinon ils auraient des clients plutôt jeunes et assez rigolos) mais toutes les autres plantes (et du coup ils ont des clients vieux et moins rigolos). Et comme ils sont très réputés  à cause de leurs plantes et du reste, ils ont beaucoup de clients.

Du coup, quand je pars pour acheter une boîte de Doliprane 500, il faut toujours que je fasse bien attention à calculer la somme de l’heure à laquelle je sors de la maison, du temps de trajet aller, du temps d’attente et du temps de trajet retour, parce que sinon ben des fois je loupe "La maison France 5", même quand je pars de chez moi à 18h. Et après, Loutre me demande où j’étais et ce que j’ai foutu, et moi je réponds que j’étais à la pharmacie du coin de la rue, et Loutre me regarde avec cet air calme et réfléchi de médecin nazi à la retraite, et ça part un peu en sucette.

- T’étais à la pharmacie du coin de la rue? Il est 21 heures, t’es partie à 18h30, et t’étais à la pharmacie du coin de la rue?
- Ben oui…(pourquoi tu mets des italiques?)
- Regarde-moi bien en face et redis-moi que t’étais A LA PHARMACIE DU COIN DE LA RUE?
- Ben si je te le dis, bordel…(pourquoi tu mets des majuscules?)
- T’as un problème avec Stéphane Thebaut, en vrai.
- Même pas.
- Mais si.
- Mais non.
- Mais si.
- Mais non! C’est pas parce qu’il a une tête à reprendre le rôle de Gérard Klein et à jouer "l’Instit" dans un pensionnat catholique non mixte de la Sarthe que je l’aime pas, hein…c’est pas non plus parce qu’il présente des baraques d’expatriés millionnaires qui habitent à Agadir ou à Courchevel et qui ont tous l’air d’être sur le point de déclencher un mélanome généralisé tellement ils ont abusé des U.V…tu te fais des idées…

Et après ça fait des histoires parce qu’on se met à parler fort, à citer Mélenchon, Staline et Obama, et à la fin on ne se parle plus et moi je m’enferme dans la chambre pour faire une partie de jeu vidéo et je vois Loutre dans tous les zombies que je décapite et je ricane.

Donc quand je vais à la pharmacie, je sais que ça va durer un moment parce que systématiquement, les quatre guichets sont toujours occupés quand j’arrive, et il y a une file d’attente qui ressemble à la queue qu’on fait à La Havane quand on livre deux côtes de porc et trois œufs à l’épicerie du quartier.
La pharmacienne, c’est une dame très souriante et aussi très propre sur elle, qui va tout le temps d’un guichet à l’autre pour surveiller ses employées et vérifier qu’elles refourguent bien les bonnes plantes aux clients. Les bonnes plantes, c’est surtout celles qui coûtent plus de cinquante euros les trois cachets (c’est pour ça que la pharmacienne, elle a parfois du mal à choisir le matin entre son Audi TT et sa Mercedez "Classe S") (Loutre, qui n’aime pas la pharmacienne, a trouvé une signification pas très polie pour le "S", mais Loutre fait toujours du mauvais esprit).

Aux guichets et dans la file d’attente, il y a beaucoup de petits vieux et de dames un peu moins vieilles qui ont l’air très partantes pour participer à la prochaine "Manif pour tous". Les assistantes de la pharmacienne, elles écoutent tous ces gens leur raconter leurs petits problèmes de santé, et elles ont toujours une solution très adaptée (et qui coûte un bras) à proposer, comme l’essence de testicule de gnou de Tanzanie (seulement cinquante euros le flacon de 20 ml) ou la poudre à base de krill (moi non plus je savais pas ce que c’était,  je l’ai appris par hasard en regardant un documentaire sur la reproduction des baleines sur Planète). Sur les étagères, il y a beaucoup de boîtes et de flacons qui sont classées par problème ("Transit", "Jambes lourdes", "Détoxifiants", "Mémoire et concentration" et aussi "Troubles féminins"). Pendant que je fais la queue, je vois souvent des voisins de mon quartier, et du coup c’est très intéressant parce que j’apprends beaucoup de choses à leur sujet grâce à la pharmacienne, qui est très souriante comme je te l’ai déjà dit, et qui parle aussi très fort.

- Ah, monsieur Le Floch! Alors, ces HÉMORROÏDES? La petite cure de marronnier d’Inde a fait son effet? Madame Hubert, comment allez-vous? Et ce PROLAPSUS VAGINAL? Tiens, madame Leguerinel, vous venez reprendre de l’huile d’onagre de Mongolie pour ces méchantes RÈGLES DOULOUREUSES? Et monsieur Touzaint, il veut essayer le charbon végétal pakistanais pour ses BALLONNEMENTS et ses GAZ MALODORANTS?

Quand c’est mon tour, j’ai un peu envie de dormir, de faire pipi, de balancer un exemplaire de La critique de la Raison Pure à la face de quelqu’un, et parfois les trois en même temps.

- Ah…Une boîte de Doliprane…ça fera trois euros.
- Je vais prendre le générique.
- ….
- ….
- Ça fera un euro douze.

J’ai toujours l’impression que la pharmacienne et ses assistantes, elles me font un peu la tête. Je sais pas vraiment pourquoi.

L’autre soir, à mon retour, Loutre n’a même pas levé les yeux de son bouquin pour me lancer:

- Tu savais que Jacques Séguéla avait d’abord été pharmacien?
- Nan, j’ai répondu, mais Louis Jouvet aussi.
- Louis Jouvet a couché avec les Boches en 1942.
- Bah tu vois, tout s’explique.
- Tu veux regarder la fin de La maison France 5 avec moi?
- Plutôt coucher avec les Boches.

Et ça a fait des histoires.


Classé dans:Tourista, fièvre jaune et crash aériens

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